Vous souvenez-vous de votre première pelle, galoche, saucisse, gamelle, patin, etc., etc ? Moi, OUI !

Mais je soupçonne tout le monde de s'en souvenir, même ceux qui jouent les blasés, les repus, les "j'en ai rien à s'couer" !

La première fille que j'ai embrassée, vraiment j'veux dire (le palot quoi !), j'avais une quinzaine d'années. Pas en avance ? Dans les années cinquante, c'était pas si fastoche que ça, et puis t'as fait beaucoup mieux toi ?

Donc, ma première "fiancée", on l'appelait "Pépée", va savoir pourquoi. C'était la frangine du beau-frère d'un copain, pas très grande, moi non plus à l'époque, brunette, frisée, pas très expansive, tout le contraire de moi, mais les extrêmes... dit-on.

Un dimanche, on avait rencard au cinéma "Le Prado", LE ciné chicos de Drancy : fauteuils rembourrés partout et, surtout, le balcon !

Nous prenons nos places, on n'offrait pas l'entrée aux demoiselles, trop fauchés pour ça, juste de quoi casquer notre ticket, et encore...

Nous nous installons, au balcon, dernier rang, le dos contre la cabine du projectionniste. Au-dessus, les rais de lumière, changeants, tourbillonnants, s'enchevêtrants dans une symphonie de couleurs, le film non-décrypté avant qu'il devienne visible sur l'écran !

Je me place à côté de Pépée... Première partie, les actus, dessins animés, documentaire : la préparation des rameurs pour la course Oxford-Cambridge ! Hyper bandant pour une mise en condition !

De temps en temps, un regard furtif sur ma voisine, guettant un encouragement, un sourire, une invite, un "vas-y-donc grosse bête !", un p'tit quelque chose qui me fasse penser : "ça y est, ça va être le grand jour, ELLE veut bien que je tente" !

Mais rien, une statue, un marbre, pas un cillement de paupières, pas un p'tit coup d'cul qui l'aurait rapprochée de mon siège. Moi, je ne pouvais pas me serrer davantage : plus et je pétais l'accoudoir !

L'entracte.... Et je n'avais toujours rien fait ! Les potes, qui bien sûr nous mataient, se foutaient de ma gueule : "Ouais, tu t'déballonnes, tu flippes, les foies, et tout, et tout".

Moi, un peu gêné : "attendez, ça va s'faire". Une "HICHE-LIFE" - on ne disait toujours pas "HIGH-LIFE" - pour se donner du courage, sonnette aigrelette, début de la séance... "the film" ! J'me s'rais bien tiré, oh oui, tout abandonner, prétexter la chiasse du siècle, le dégueulis latent, la nausée tord-boyasse, le "j'ai oublié le lait sur le feu" si j'avais pu ! Vite, un bonbec à la menthe ! J'peux pas lui rouler une pelle comme ça, j'viens de fumer une taf ! Putain l'haleine de cow-boy, ça va fouetter grave ! Michel me tend une "Valda", c'est bien, sauvé, merci la sève des Vosges !

Je crois bien qu'il passait "Thérèse Raquin" de Marcel Carné, avec Simone Signoret, Raf Vallone (tu sais le mec qui ressemblait à Burt Lancaster,et non pas Brut Lancastré !), Jacques Duby, etc.

Le film commence, j'aurais bien voulu qu'il soit déjà terminé, je n'en menais pas large, pourquoi fallait-il que ce soit toujours les garçons qui prennent l'initiative ? Aujourd'hui, si un mec plaît à une nana, elle est capable de lui faire du rentre-dedans ! Autrefois, lapuche, nada, et elles qui nous croyaient vachement courageux, entreprenants même, tu crois qu'elles se rendaient compte que l'on pétochait grave ? Dis, tu crois ?

Je me rapproche, pas fier, j'en mène pas large, j'ai l'bigorneau qui frémit même pas ! Je sens bien que mes copains me guettent, j'entends leurs ricanements à la con, les coups d'coude, l'air faussement détaché du greffier qui vient de lâcher une pêche sous le buffet, et qui se tire en loucedé, innocent, faux-cul, sournois, et tout...

Puis, hardi, je passe mon bras, le gauche, sur son épaule, elle ne moufte pas, mais ne tente pas un rapprochement non plus, faut que j'fasse tout, bordel, comme dans la vie (vont pas être contentes, tant pis !). Je me liquéfie, je transpire, je ruisselle, faut y aller, ne pas se dégonfler, je penche ma tête vers elle, elle ne tourne même pas la sienne ! Pas coopérative, c'est plus de la pudeur, c'est carrément la mise à l'épreuve, le parcours du combattant, les trois jours des anciens appelés du contingent, l'épreuve initiatique des tribus primitives !

Je me suis encore approché, je peux sentir son parfum, un truc léger, de la lavande peut-être ? Le genre "sent-bon" que l'on mettait aux bébés. Ça me fait tout drôle, je n'ai jamais ressenti ça auparavant, cette peur, et à la fois l'envie d'aller plus loin ! Un bisou furtif sur la joue, le baiser "papillon", comme sa peau est douce ! TOC, TOC, dans ma poitrine. Y'a dix minutes, j'roulais ma caisse devant les potes ! Putain, il est moins fier le garenne !

Alors je me penche davantage, incline la tête, nos bouches se touchent enfin...

Et, tout à coup, la fougue, nos dents se heurtent (ben oui, on savait pô, t'as été plus malin toi ?). A quinze ans, les dents sont solides ! Et puis, c'est la galoche, l'éléphant bleu, le car-wash, la douche haute-pression, la glotte karchérisée ! Putain, le détartrage ! Plus un morceau d'ragoût dans les chailles, les amygdales explorées à donf, c'est niagaresque ! On bave partout, on sait pas, ça dégouline, mais tellement merveilleux !

Ça y est, je l'ai fait, j'manque d'air, je suffoque, elle aussi sûrement, mais on ne veut pas lâcher le morceau, c'est trop bon, trop bon!. Et puis, tout en bas de moi, mon bonheur qui grandit, qui grandit...


Dessin Andiamo 2007