Tout d'abord, le titre. Un titre plein de mordant, surprenant, dérangeant. La force est en effet l'attribut, dans la pensée populaire classique, du sexe masculin et est - paradoxe savoureux - du genre féminin. Ici, l'auteur déstructure le langage pour mieux générer un processus restructurant de la pensée : la force est masculinisée, comme pour mieux éclairer la phallocratie d'une société en mal de parité. Dès le titre, le dessein social est donc évident. "Quel force dans ce titre !", serais-je malicieusement tenté d'écrire.


Placid, le plus socialement inadapté de nos deux héros, est à la porte. Il souhaite pénétrer dans la demeure mais ne le peut point, car Muzo a fermé la porte à clé. La dimension métaphorique de cette scène n'aura pas échappé à la sagacité du lecteur.

Placid symbolise assurément le lumpenprolétariat : il est frustre, sa faible éducation n'a d'égale que l'épaisseur de son raisonnement, et il est toujours affamé, une constante dans les aventures de Placid et Muzo. Ajoutons également qu'il est en grande partie noir de peau, ce qui en fait définitivement le symbole des opprimés.

Muzo, en revanche, est bien blanc de peau, et sa culture, ses manières affectées, en font le symbole de la haute bourgeoisie.

Aussi la situation décrite dans cette première vignette est-elle particulièrement emblématique : Muzo, le bourgeois, le possédant, la France d'en haut, est réfugié dans la maison, symbole évident du pouvoir. Placid, le peuple affamé, la France d'en bas, souhaite entrer dans la maison et participer au pouvoir pour instaurer une autre politique, une plus grande justice sociale. Mais la réponse du pouvoir, sourd à toutes ces légitimes revendications, est cinglante : "Non !" (on notera d'ailleurs la taille démesurée du point d'exclamation).


L'exaspération est à son comble : Placid, le peuple, serre les poings, baisse la tête, et lance un ultime avertissement au pouvoir. On peut bien évidemment penser aux grands mouvements sociaux de ces dernières années (grèves de décembre 1995 par exemple), mais on peut aussi y pressentir une période pré-révolutionnaire : l'enfermement du pouvoir, Muzo, sur lui-même et sa surdité aux plaintes du prolétariat ont rendu la situation par trop explosive.

Et ce ne sont pas les vagues mesures gouvernementales, vague replâtrage démagogique symbolisé ici par la modification de l'emplacement des moellons dans le mur par rapport à la première vignette, qui y changeront quelque chose.


Le mouvement social est lancé, magnifiquement représenté ici par le mouvement - dans le sens littéral du mot - de Placid, fonçant la tête la première vers la porte.

Coup de théâtre : le pouvoir en place, Muzo, ouvre précisément la porte aux négociations à cet instant précis, sentant la grogne du corps social à son paroxysme ("Je l'ouvre, il est capable de...").

La coïncidence temporelle est bien évidemment troublante. On ne peut pas ne pas voir ici une référence explicite au principe de synchronicité de Jung, récurrente dans l'oeuvre de Nicolaou.


Toute la violence de l'embrasement révolutionnaire est résumée dans ces quatre lettres. Derrière ces quatre lettres, on devine la lutte armée, la faillite du pouvoir, le sang, la sueur et les larmes.

Mais tout le génie de Nicolaou est de n'en avoir donné qu'une formulation implicite : il appartient au lecteur de faire oeuvre d'imagination, de créativité pour reconstituer le story-board d'une guerre civile.

Le lecteur est ainsi appelé à initier sa propre révolution intellectuelle et à modifier son point de vue sur la gouvernance mondiale.


L'histoire aurait pu s'en arrêter là. Mais l'auteur veut aller encore plus loin et ouvrir un bien plus vaste débat.

Le prolétariat a fait une entrée fracassante - là encore au sens littéral du mot - dans le sein du pouvoir : Placid est allé défoncer, d'un grand coup de tête, le mur opposé de la maison, qui a cédé sous la violence du choc.

Ce gag final n'est bien évidemment pas là par hasard : il symbolise un appel à une autre politique, dans le sillage du mouvement altermondialiste. Car, en effet, cette brèche dans le mur que creuse le peuple révolutionnaire, c'est bel et bien une ouverture vers les autres peuples opprimés qu'elle symbolise, un appel à un dialogue Nord-Sud, et la lumière qui pénètre désormais dans la demeure par ce pan de mur écroulé est hautement révélatrice de l'humanisme profond de l'auteur ainsi que de son optimisme en des lendemains sociaux qui chantent.


Voilà, j'espère que cette trop succincte explication de texte vous aura dessillé les yeux et que votre perceptions des aventures de Placid et Muzo ne sera plus jamais la même...

Merci qui ?

Merci Blogborygmes !