Je l'ai déjà dit, mais un bon slogan publicitaire doit être rabâché pour pénétrer dans les cervelles malléables : "Ma foi, connais pas...". J'ai l'esprit beaucoup trop pinailleur, critiquard, coupeur de poils de cul en quatre, pour aller croire en un barbu au sujet de l'existence duquel les témoignages manquent cruellement, sont le fait de personnes peu fiables et de mauvaise foi, ou bien décédées de si longue date que leur existence même s'en trouve controversée.

Ceci dit, le fait religieux est une constante chez l'être humain. Dans la plus petite île, la jungle la plus profonde, les Hommes, loin de toute influence missionnaire, se sont inventés des Dieux, des cultes autour de la Mort, des prières au ciel, aux astres.

La science a reculé les limites de la connaissance, la civilisation s'est affinée (?), les techniques nous ouvrent des portes sur l'onirisme le plus fou, et les religions sont toujours là. Plus que jamais. Les esprits forts parlent de forme primitive de l'intelligence, d'étape juvénile dans toute civilisation, de la pensée magique nécessaire dans la formation de l'enfant, et qu'il convient d'abandonner à l'âge adulte. Mais le rationnel et l'irrationnel ont toujours coexisté à l'intérieur d'un même cerveau. Mais ce n'est pas un enfant qui a inventé le Père Noël. Mais les grandes gueules donneurs de leçons de liberté de penser sont eux aussi capables de comportements irresponsables et illogiques.

Tant-Bourrin a raison quand il souligne que la Science n'a pas pour but de calmer nos angoisses métaphysiques. En bon Dupon D, je dirais même plus qu'elle les exacerbe en repoussant et en complexifiant de plus en plus les questions. Mais certains esprits simples se contentent de ces explications mécaniques à la "six-quatre-deux". La Science leur devient un objet consolant et sécurisant. La Science leur remplace Dieu.

Dans ces référentiels de compensation de la peur face au divin, règne bien sûr en maître, à c'tt' heure, le Veau d'Or, qui a bien du boulot sur la planche (à billets). Le Pouvoir, le Pèze, la Possession, le "toujours Plus", dont parlait finement François de Closets, peut effectivement donner une idée de l'Infini. "L'Homme ne se nourrit pas seulement de pain, mais de toute parole divine", tentait d'aphorismer un optimiste. Mais pour arriver à rassasier Bill Gates et ses dents longues, il faut pas lui en promettre ! Quand lui et ses semblables boivent, c'est au tonneau des Danaïdes...

Les gens qui se réclament de Dieu ne lui font pas forcément de la réclame. Ces sous-fifres (tout lien de parenté entre eux et mézigue est à exclure sans pitié) peuvent aussi avoir, par la mauvaise image qu'ils en donnent, une responsabilité dans la désaffection de certains spectateurs face à l'Idole Absolue. Le résumé de cette histoire qui fait beaucoup de bruit en ce moment, c'est un peu celui-là : Dieu est innocent. Moi, je te l'acquitte d'entrée, en première instance, sans prendre la peine de consulter les experts psychiatriques. Par contre je me méfie salement de ses missi dominici, qui lui font dire un peu ce qu'ils ont envie qu'Il dise. Dans la même religion, ils sont pas d'accord entre eux. Dieu leur a pas dit la même chose à chacun, dis donc ! C'est dingue, non ? Moi je crois surtout que quand tu les vois les yeux fermés et les mains jointes, ils disent qu'ils prient, qu'ils sont en liaison satellite simultanée avec le créateur de toutes choses, mais ils réfléchissent surtout à ce qu'ils vont dire aux crédules, pour renforcer leur influence sur eux.

J'ai rencontré de vrais croyants. On les reconnaît à leurs fruits, dit-on... Et c'est vrai que les fruits étaient beaux. Un en particulier, qui était très attaché au sens étymologique du mot religion, qui vient de religere, relier. Relier les hommes. Dit comme ça, cela ressemble à un gag. Il n'échappe à personne que la différence de religion est un facteur aggravant, pour ne pas dire suffisant, à une bonne guerre de derrière les fagots ? En tout cas, les dirigeants, les chefs, les rois, se sont très souvent servis de cet argument, souvent soufflé sur les braises de cette différence, pour galvaniser le moral de la chair à canon éternelle : le peuple. Sus à l'infidèle.

Lanza del Vasto, catholique "critique", dirais-je, est allé prendre des leçons de non-violence auprès d'un hindouiste, Gandhi. Il a considéré qu'un hindou était le plus à même de lui enseigner à approfondir le message de paix et de pauvreté du Christ. Ce en quoi il n'avait pas tout à fait tort, les cardinaux aux dorures chamarrées du Vatican étant assez nuls en la matière. Quand il a fondé sa, puis ses communautés de vie, il a écrit de très beaux textes : "Les prières pour ceux qui prient autrement". Chacun des jours de la semaine est consacré à une religion, et la prière correspondante est dite par tous les présents. Comme ils reçoivent des visiteurs de toutes confessions, cet œcuménisme vécu quotidiennement est la meilleure carte de visite de leurs convictions de paix.

Le lundi, prière pour les hindous.
Le mardi, pour les musulmans.
Le mercredi, pour les hermétiques.
Le jeudi, pour les boudhiques.
Le vendredi, pour les églises séparées.
Le samedi, pour Israël.
et le dimanche, jour du Seigneur, on mange des patates au beurre q:^) !

L'introduction a été un peu longuette, mais je voulais juste partager avec vous le plus beau poème que je connaisse, c'est de Lanza, bien sûr, Gilles, un ami, nous l'a lu dans l'église, le jour de notre mariage. Je sais pas si c'est ce texte qui lui a fait de l'effet, mais quelques années plus tard, il a trouvé la Foi. Plus calotin que lui, tu meurs ! Et depuis, il nous emmerde avec ses histoires de la Sainte Vierge et de ses saints...

LE VITRAIL

Nous verrons brûler l'être et l'apparence tels
Que leur étreinte brûle en cette rose ronde,
Quand morts et revêtus de nos corps immortels
Nous remonterons blancs comme un prêtre à l'autel
Les degrés de ce monde,

Quand nos corps décantés, nos corps de verre
Frappés de ciel et de splendeur sévère
Trahiront la couleur dont notre âme est chargée,
Quand nous verrons la vie en un cercle figée,
Et la matière hors d'elle-même sortie,
Et la terre allégée
Comme le pain transparent d'une hostie,

Quand le vide se peuplera de ponts et d'ailes,
Quand nous déchiffrerons le vol de l'hirondelle,
Quand nous saurons par cœur la mer, verbe de marbre,
Et quels longs souvenirs persuadent les arbres
De mener, par d'ambigus rameaux, jusqu'au bout,
Vers l'impassible ciel leurs fleurs fidèles,
Quand nous saurons pourquoi les saints poussent debout
Selon la loi des blés et la ligne des lis,
Et ce qui lie
Les vierges folles aux filets de leur folie,
Quand s'illuminera toute similitude
Comme lumière prise aux rayons de la pluie,
Comme l'étoile à la nuit se dénude,

Quand nous saurons le chat, le serpent et l'ibis,
Comment les rocs profonds méditent leurs rubis,
Ce que cherche le porc dans l'entonnoir du groin,
Et le jour que la limace crée avec sa bave,
Quand se détacheront, colombes dans le loin,
Du bord du dernier ciel des spirales, des cônes,
Trois triangles, un cube et deux dodécagones,
Pour choir et se résoudre en musiques suaves,

Quand tous nos pas portés çà et là, et leur route
Soudée derrière nous par le plomb de l'oubli
Se dresseront soudain dans nos yeux avec toutes
Nos tristesses, tous nos désirs et tous nos doutes
Perdus, et l'entrelac des actes accomplis,
Quand nous saurons pourquoi notre destin
Fut coupé par un autre, ou le coupe,
D'où vint le vin qui réjouit nos coupes,
Miracle inaperçu dans le bruit du festin,

Que le joug qui nous courbe le cou,
Que l'erreur qui nous roula si loin,
Que les deuils endurés coup sur coup
Ouvraient un trèfle et le bouclaient à point,

Quand s'épanouira notre passé
Lumineux de douleur et brodé de désastres,
Quoiqu'un rire distrait, au centre, l'ait cassé,

Quand notre esprit saura, comme ce vitrail sait,
Pourquoi l'éternité tourne en usant les astres,
Pourquoi Dieu, débordant de sa forme parfaite,
A fait ce monde et voulu nos défaites.