C'était pas facile, dans les années 60, moi je vous dis que çà ! Pour obtenir des infos. Les copains, il fallait même pas y penser, ils étaient encore plus ignares que moi. Et personne t'aidait, hein ? Le système tout entier était d'une solidarité sans faille avec les parents. J'allais à la bibliothèque du collège, je repérais un livre au titre prometteur, je sais pas, moi, au hasard : "L'Éducation sentimentale", je le posais sur le bureau de la dame, avec ma carte, la dame levait les yeux, bon, c'est vrai, j'étais petit, ça mettait pas d'huile de couille dans la relation, et elle me lançait, condescendante :

- "Mais tu n'as pas vu la pastille "3 ième", mon petit ? Tu n'auras le droit de lire ce livre que dans 2 ans..."

- "Ha bon, et pourquoi ?

- "Tu n'as qu'à demander à ta maman..."

La honte, quoi ? Tous ligués contre les honnêtes chercheurs de connaissance sur le cul. Le Larousse. Ha, parlons en, du Larousse ! En te rapprochant discrètement d'un groupe de grands, t'as réussi à capter un mot potentiellement "sexe". L'air niaiseux du gars qui le prononce, le rire agricole qui secoue les copains, sont des signes qui ne trompent pas. Tu reviens à la maison, et tu cherches "masturbation" dans le pavé de celle qui sègue à tous vents (hein, Byalpel, qu'on se sent plus intelligent ?). n.f. Action de se masturber. D'accord. Et dessous, t'as "masturber". v. Se livrer à la masturbation. Et merde ! Tout est verrouillé, je vous dis.

À force d'astuce et d'observation, tu subodores que "baiser" fait partie de ce lexique dont tu souhaites pénétrer les arcanes. v. Embrasser. Baiser la main de la reine. Et re-merde ! Je les aurai, je les aurai... Ne pas se décourager. Je ne prévoyais pas du tout de me décourager, mais bon, la recherche stagnait. Comme disait de Gaulle, mais à l'époque, je ne risquais pas de citer de Gaulle à la maison, c'était encore plus connoté "foutre-pipi-caca" que Sœur Soupirs des Anges se faisant administrer le Saint Sacripant dans le Fondement de la Doctrine, enfin, comme disait Mongénéral :

- "Des chercheurs qui cherchent, on en trouve... Mais des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"

Nous avons d'ailleurs là une très belle antimétabole, c'est un traité de rhétorique par le sourire qui me l'a appris, mais revenons à notre compulsif goût bien adolescent pour les mots sales. Alors je me rabattais sur l'Encyclopédie Familiale Larousse. Encore elle. Antenor ne va pas faire long feu sur ce billet, mais non, c'est pas elle, il s'appelait Pierre, reviens ?

Hygiène de la femme. J'avais vaguement rêvé d'une photo de nénette à sa toilette, mais j'en ai été pour mes frais. Les fiançailles ? Hé hé, c'est émoustillant, ça, les fiançailles... Voyons voir.

"Acte grave entre tous, l'un de ceux qui réclament la liberté la plus entière, qui font appel à la volonté la plus précise, qui exigent la prise la plus nette de responsabilités. Il n'est guère que l'obéissance mûrement réfléchie à une vocation religieuse ou l'acceptation parfaitement lucide de la mort qui soient des actes aussi révélateurs de la noblesse de l'homme"

Bon ben tout ça n'apporte guère d'eau à mon moulin.

J'ai continué à feuilleter, mais le cœur n'y était pas. Et le cul non plus, d'ailleurs. Et puis j'ai fini par tomber là dessus, coincé entre un truc bien paranangoissant sur les maladies vénériennes et un couplet sur les méfaits de l'alcoolisme, passage qui, je me le rappelle et je m'en souviens, m'avait laissé complètement indifférent.

RÔÔÔÔ, bé ça aura été largement suffisant pour initialiser un beau petit rêve bien chaud pour le petit 6 ième que j'étais ?

Mais c'était pas très "sexe", les sisties... Un peu la dernière année, peut-être ?