A Santo Antao, chaque centimètre carré de terre (volcanique essentiellement) est valorisé, sans machines agricoles qui ne pourraient pas circuler sur les pentes impressionnantes. L'eau est rare, mais la construction de retenues d'eau et la récupération de la moindre pluie ou brume humide permet d'irriguer les sols, au point que cette île est verte, avec parfois de faux airs Vosgiens !




La première nuit, nous avons dormi dans une maison en paille construite par Franck, breton têtu comme un Breton, qui a construit sa vision du monde avec les chansons de Bernard Lavilliers et décidé de vivre six mois par an en Bretagne et six mois dans une case surplombant la vallée de Paul, avec de l'eau de pluie ou de source et sans électricité. Soirée mémorable autour des pâtes aux légumes cueillis juste derrière la maison de paille et d'un ponche local rendant loquace.



A la variété végétale répond la variété culturelle de l'archipel, liée au métissage. Santiago est l'île la plus africaine : le marché de Praia rappelle ceux du Sénégal avec les mammas qui servent pour deux euros un repas complet riz/poissons/légumes/boisson, Mindelo est l'île culturelle avec de fortes influences latino-américaines : ses maisons colorées et ses fresques éducatives font penser à Cuba, son carnaval semble un petit cousin du carnaval de Rio… Sal et Boa Vista sont des îles balnéaires, Fogo le royaume du volcan récemment en éruption.




Ce métissage est né de l'histoire de l'archipel, longtemps étape des bateaux négriers qui y faisaient halte avant de traverser l'Atlantique avec leur cargaison d’esclaves. Né aussi de la colonisation par les Portugais et de l'immigration venue d'Afrique, notamment de la Guinée Bissau (Amilcar Cabral, né en Guinée Bissau de parents Cap verdiens, fut le fondateur du Parti Africain pour l'indépendance de la Guinée et du Cap Vert). Sans oublier les Brésiliens : le Brésil n'est qu'à 2700 km, Paris à 4400 km.

A partir de l'indépendance de 1975, plusieurs années de "communisme tropical" (nettement plus cool que le soviétique) ont favorisé l'éducation et la santé : « Le Cap-Vert a atteint l’objectif d’un accès universel à l’enseignement primaire et secondaire et a tissé un solide filet de sécurité sociale… L'État cap-verdien est largement considéré comme l’un des plus stables et les plus démocratiques d’Afrique subsaharienne. Il repose sur des lois respectueuses des droits de l’homme et des libertés civiles, notamment de la liberté de la presse. » (rapport de la Banque Africaine de Développement, BAD)

Est-ce pour cela que les Cap Verdiens, dont la devise cent fois répétée dans la rue est « no stress », sont majoritairement pacifiques ? L'éducation est le meilleur rempart contre la violence, d'ailleurs des personnes capables rien qu'en s'observant dix minutes, de jouer ensemble de la musique, ne peuvent pas être tout à fait mauvaises...

Toujours selon la BAD, « les politiques macroéconomiques du Cap-Vert ont acquis du crédit sur la scène internationale en ce qu’elles reposent sur une monnaie stable ancrée à l’euro et une bonne gouvernance caractérisée par de faibles niveaux de corruption, un système fiscal simplifié et un secteur bancaire réformé. » Considéré il y a trente ans comme un des pays les plus pauvres du monde, l'archipel est classé depuis 2008 dans les pays à revenu intermédiaire. Le revenu moyen par habitant y reste faible et des inégalités persistent, mais son développement se fait de façon plus harmonieuse que dans bien d'autres pays, et le passage du parti unique au multipartisme s'est déroulé sans heurts.

Ajoutons que le pays a la chance de ne posséder aucune richesse minière susceptible d'attirer les prédateurs multinationaux, ce qui le préserve théoriquement des dégâts écologiques et financiers que connaît par exemple le Niger, pays au sous-sol le plus riche du monde et un des pays les plus pauvres en surface.

La seule ombre au tableau risque d'être le développement actuel du tourisme. A Sal et Boa Vista, les investisseurs étrangers construisent des hôtels immenses, avec les conséquences habituelles : afflux de devises, choc culturel, et augmentation de la mendicité et de la criminalité. Alors qu'il y a quelques années le Cap Vert était une destination très sûre, on commence à mettre en garde les voyageurs contre le risque de vols et d’agressions.

Heureusement, la topographie des autres îles ne se prête pas aux grands consortiums et aux marinas sophistiquées. Le Guide du Routard lui-même n'a pas daigné leur consacrer un ouvrage sur papier. C'est ce qui pouvait arriver de mieux aux Cap Verdiens. Et aux voyageurs désireux de découvrir ces îles à travers les yeux de leurs habitants.

Laurent, français installé dans l'île de Sao Vicente depuis quatorze ans et marié à une cap-verdienne, nous a donné de l'île et des habitants une vision affinée par sa vie sur place, entre travail de chantier, accueil de voyageurs et restauration. C'est aussi lui qui peut vous concocter des escapades sur mesure à Santo Antao avec la participation des membres de sa famille Cap Verdienne.

Pour conclure, une minute magique improvisée tard un soir à Praia par un musicien Cap Verdien, Tcheka, après le dîner organisé chez lui avec ses voisins français Catherine et Serge.