Il s'agit d'un concept inventé par Lanza del Vasto, et en usage au sein de la Communauté de l'Arche. Le Dedans de quelqu'un, c'est sa personnalité intérieure, ce qu'il a dans le ventre, ce qu'il croit, ses valeurs... Son Dehors, c'est son look, son apparence. Selon Lanza, il convient que le Dehors soit l'expression du Dedans, qu'à une force de caractère corresponde une tenue impeccable.

À une soirée autour du feu, où Lanza nous avait régalé de sa "Légende de Saint Christophe", long poème déclamé et rythmé au tambourin, une jeune stagiaire s'avança au centre du cercle et nous dit un poème de son cru qui parlait des liens passionnés qui l'unissaient au barbu stigmatisé. À la fin, un des Compagnons de l'Arche se pencha vers un de ses collègues et lui murmura : "Son dedans vaut mieux que son dehors", et je me fis in petto la réflexion que tous les goûts étaient dans la nature, et que cela était bel et bon, car ainsi tout le monde avait une chance de trouver chaussure à son vié.

Moi, la petite brunette poétesse, je la trouvais bien gironde avec son jean moulant et son tee-shirt laissant deviner ses œufs d'autruche au plat. Son Dehors, j'y serais bien rentré dedans, mais je préférais qu'elle me laisse en dehors de son Dedans, ne me sentant pas de taille devant la grosse épine charismatique du qui a cru s'y fier.

Mon dehors, je ne crains pas de le dire, je m'en suis toujours désintéressé. Jusqu'à l'adolescence, ma mère ayant la haute main sur mon aspect extérieur, j'arborais un look classique, simple mais digne : chemise, pull ras de cou, pantalon à pli, et elle m'envoyait à rythme fixe me faire raccourcir les tifs chez un professionnel du ciseau. Ce jour là, j'avais environ 14/15 ans et je bavais devant la vitrine d'Au Vieux Campeur, à Bordeaux, dans l'uniforme sus-décrit. Pour ceux qui ne connaissent pas, le trottoir ne fait pas plus de 40 centimètres, devant le Vieux Campeur. Arrive en face de moi un prolo, l'archétype, le prolo-mannequin de base, la gapette vissée sur le crâne, petit, rond, voûté, toute la fatigue du monde sur le visage, et, cerise sur le gâteau, tenant à la main un tout petit sac de sport, du genre qui se ferme en tirant sur une ficelle qui coulisse dans des œillets, qui devait contenir sa gamelle de midi.

Le trottoir étant trop étroit, la politesse eut voulu que j'en descende pour laisser le "haut du pavé" à plus âgé que moi, oui, je n'ai pas reçu une éducation de racaille, moaaa, mais il fut plus rapide, sauta dans la rue, et en me croisant m'asséna un coup moral d'une force extraordinaire. Sans élever la voix, sans agressivité, d'un ton plutôt plein de regret, de déception, il me lança distinctement : "Fils de bourgeois".

Et il fila sans se retourner.

Je trouve qu'il est bon que quelqu'un d'extérieur vous renvoie votre image ainsi. Sur le moment, j'ai été knocked out : j'étais fils de paysan récemment débarqué à la ville, ma veuve de mère faisait des ménages pour nous nourrir, je ne me voyais pas trop dans la peau d'un bourge ? J'étais hyper vexé, en plus, car nous avions "Les bourgeois" de Brel dans nos vinyles, et je me retrouvais associé à ces notaires ridicules ! Mais ce gars a eu, sans le savoir, une influence énorme sur mon avenir. J'ai entamé une réflexion sur le paraître et l'embourgeoisement. Compris que ce n'était pas une question d'argent mais plutôt de sclérose intellectuelle, de posture méprisante, d'acceptation de l'existence de classes. Autant dire tout de suite que je n'ai pas adopté l'attitude de mon prolo déclencheur de prise de conscience. Mais mon premier boulot a été l'usine, j'ai connu le paiement au rendement, le travail a la chaîne, et, moi qui ne connaissais pas les ouvriers, je me suis régalé. J'étais plus à l'aise à beugler des chansons à boire avec eux dans un bal popu qu'à un apéritif dînatoire pincé entre cadres supérieurs grignotant les 2/3 canapés par convive, pas plus, car ils viennent du traiteur le plus cher de la ville...

Bien plus tard, j'ai connu un peu la même expérience. J'aime les vêtements en coton, agréables à porter, et on m'avait donné une chemisette kaki que j'avais adoptée et que je portais quasi en permanence. Elle avait des poches de poitrine, c'était pratique. J'habitais en Ariège à la grand époque où les hippies l'avaient envahie et y vivaient dans des tipis, des huttes gauloises ou les premières maisons solaires et un soir, pour un anniversaire, je fus invité dans une communauté voisine. Plutôt timide, je regarde plus que je ne parle, et cette attitude réservée, sans doute interprétée comme une critique de leur mode de vie, fit qu'une des nanas s'en prit à ma chemise, qu'elle qualifia de "militaire", et qui voulait que je l'enlève, et tout... Pour l'insoumis au service national que j'étais, ça fout un choc, aussi, mais surtout de voir de soi-disant libertaires voulant m'empêcher de porter ce que je veux !

Je n'ai vraiment pas de succès, et dans tous les milieux, avec ma façon de m'habiller.