Allez un petit dessin :

Je suis nul en dessin, mais j'ai toujours aimé laissé courir mon stylo sur du papier. Ça me destressait pendant les cours, je recherchais des formes, en fait j'évitais au maximum de réfléchir pendant que je dessinais, je visais le "poème graphique", le truc qui sort naturellement, qui pouvait éventuellement me révéler quelque chose sur mes profondeurs. Mais je ne me suis jamais crû aucun talent d'artiste. Ce sont des choses qui se ressentent : je savais que je n'avais pas "l'œil". Je n'avais pas cette capacité à traduire le monde en images.

Au début des années 70, la société ABC (vous savez écrire, donc vous savez dessiner) inondait les journaux de ses pubs pour des cours de dessin par correspondance. J'avais demandé à ma mère de m'inscrire, nous avions demandé les tarifs, une représentante était venue à la maison et ma mère, toute gênée, avait répondu que ce n'était pas dans ses moyens. Et je voyais cette nana d'ABC faire son boulot, c'est à dire culpabiliser ma mère à donf en lui disant qu'elle était en train de briser dans l'œuf la carrière de son petit génie potentiel (moi, si vous suivez bien). Grand moment de cynisme et de sadisme social. Il paraît que les gens en contact avec le public se font de plus en plus agresser. C'est bien triste, mais des fois, ils le cherchent, aussi ?

J'ai plus de penchant pour la construction, la vision 3D, les formes... J'ai dû dessiner des dizaines de plans de maisons, toutes baroques, pour finalement revenir à l'humilité, la seule attitude vraie, l'intégration dans le paysage, l'adaptation au climat, à la tradition, une sorte de fondu enchaîné entre l'architectural et l'humain, quand il s'est agi de construire la nôtre.

Je préfère manier la terre, les idées, les mots, tripatouiller, prendre le monde à pleines mains, quoi ? On peut croire à cette analogie, à cet air de famille entre la peinture et l'écriture. Il y a une "mise à plat" dans les 2 cas, le volume de la réalité se résume à 2 dimensions ? Je pense qu'elle n'est qu'apparente. Pour le lecteur, la page n'est que le support de sa reécriture. Les phrases ne sont pas des objets, le lecteur les parcourt, son imagination se met en marche et recrée un monde tel qu'il est suggéré dans le livre avec ses rues, ses personnages. La planéité de la page se boursoufle, les idées lui donnent de l'épaisseur, le livre est un vrai truchement pour appréhender le vrai monde réel bien joufflu.

La toile, elle, est un objet à part entière. Elle émeut, elle évoque, elle fascine, elle crée autour d'elle une épaisseur de sentiments, mais l'œil revient toujours se poser sur cette surface plane, le monde est bien écrasé, dans les limites d'un cadre. L'image est finie, rangée, suspendue.

Mais il arrive qu'on se dispute pour un poisson , hein ?