Il grelottait de froid comme tout le clan, malgré les peaux d'ours. Il faut dire que les nuits étaient plutôt frisquettes au paléolithique moyen.

Oug'hr cogitait dans sa tête pendant que, armé de sa massue, il montait la garde devant l'entrée de la grotte. Car Oug'hr était un penseur, une sorte d'intellectuel néandertalien, et les neurones turbinaient dur sous son épaisse calotte crânienne.

Or voilà ce que se disait Oug'hr dans sa petite tête : le clan, dans le passé, avait réussi par deux fois à se procurer le feu quand la forêt avait brûlé après que la colère du ciel lui soit tombée dessus. C'est très utile, le feu : ça monte tout seul la garde à l'entrée de la grotte, ça durcit la pointe des sagaies, et puis ça rend la viande toute goûteuse, miam, miam !

A l'évocation d'un cuissot d'aurochs grillé au feu de bois, Oug'hr saliva et un mince filet de bave finit par s'écouler de sa bouche.

Mais hélas, le clan avait par deux fois perdu le feu que la nature lui avait donné.

La première fois parce que Ikh'hr le paresseux s'était endormi alors que c'était lui qui était de garde pour nourrir le feu pendant la nuit. La quarantaine de coups de massue qu'il avait reçue pour sa peine sur le crâne à son réveil l'avaient d'ailleurs aidé à prolonger son somme.

La deuxième fois parce Arr'hr le curieux avait voulu essayer d'enflammer la rivière avec le feu. C'est d'ailleurs dans la rivière que les restes de Arr'hr le curieux avaient fini après que le clan l'eût réduit en charpie.

Hélas, cela faisait longtemps maintenant que la colère du ciel n'avait pas redonné le feu au clan, et Oug'hr pensait très fort dans sa tête et en arriva à la conclusion que ça serait vachement cool si le clan savait fabriquer lui-même le feu.

Oui, mais comment faire ? Au petit matin, son tour de garde terminé, Oug'hr alla se coucher au fond de la grotte sans avoir trouvé la solution.

Mais le jour suivant, un minuscule événement allait se produire, qui allait changer la face du monde. Alors qu'il coursait un aurochs avec les autres chasseurs du clan, Oug'hr remarqua un détail insignifiant : un gros silex, lancé violemment par Ulg'hr le fougueux en direction de la bête, manqua sa cible et heurta un autre silex sur le sol, faisant jaillir une étincelle de feu.

Oug'hr n'eut pas immédiatement l'opportunité de cogiter longuement là-dessus - quand on chasse l'aurochs, il est préférable de rester concentré sur ce que l'on fait - mais il enregistra cela dans un petit coin de sa tête.

Et toute la nuit qui suivit, il ne cessa de voir cette image du silex faisant jaillir une larme de feu en heurtant l'autre silex lui repasser devant les yeux. Car il y avait quelque chose à tirer de tout cela, il le sentait bien, même s'il cela lui échappait encore.

Il y pensa et repensa toute la nuit, tant et si bien qu'au petit matin, ses yeux étaient ornés de cernes violacés. Mais la fatigue importait peu, car il venait subitement de voir la lumière, il avait trouvé. Il se leva et hurla "oooourk uuuumga'hr !", ce qui signifiait "eurêka" en néandertalien (à condition de bien placer l'accent tonique sur le "ga'hr").

Quelques instants plus tard, il présentait, devant les yeux émerveillés de tout le clan, sa trouvaille qui allait bouleverser leur vie.

Oui, plus rien ne serait comme avant car, à partir de la simple observation d'un silex tombant sur un autre silex, Oug'hr venait d'inventer le jeu de pétanque !