Les techniques médicales avaient connu une fantastique accélération au cours des premières décennies du XXIème siècle. Oui, qu'il paraissait déjà loin, le temps des premières télé-interventions chirurgicales, où un praticien de Melbourne opérait de l'appendicite un patient à Chicago !

Et pourtant, dieu sait que cela avait fait les gros titres des journaux de l'époque ! Mais, la chose devenant rapidement banale, on s'en était vite blasé pour s'intéresser à d'autres révolutions, déjà en marche.

C'est ainsi qu'il ne fallut guère plus d'une dizaine d'années pour que l'on annonce la première intervention chirurgicale entièrement automatisée, sans qu'aucun chirurgien n'ait à manipuler le moindre scalpel. L'humanité toute entière applaudit, émerveillé par la prouesse technique que cela représentait.

Et, après la première mondiale, il y eut la seconde, puis la troisième, et la technique se diffusa, s'affina, fut diversifiée sur les différents types d'interventions chirurgicales possibles.

Le saut technologique, en moins de cinq ans, fut considérable : on avait déjà atteint un stade industriel, fiable et relativement peu coûteux. La profession de chirurgien s'en trouva considérablement dévalorisée, et les facultés de médecine désemplirent, avant de fermer les unes après les autres.

Il faut dire que l'automatisation médicale avait atteint des sommets : n'importe quel type d'intervention était alors géré par l'appareil. Il suffisait d'installer le patient à l'intérieur du caisson, de saisir au clavier le type d'intervention souhaitée, et la machine y procédait avec une rigueur, une méticulosité et un niveau d'hygiène dépassant tout ce qui eût pu être obtenu manuellement par une équipe médicale humaine.

De fait, les dépenses de santé se réduisirent considérablement et le trou de la sécu ne fut vite plus qu'un lointain souvenir, la gestion des hôpitaux n'étant plus assurée que par des équipes extrêmement réduites et de moins en moins qualifiées.

C'est ainsi qu'un jour de 2033, un homme débarqua dans une de ces usines à santé, se plaignant d'éprouver une légère douleur au niveau d'un gros grain de beauté sur son abdomen.

Le soignant-homme de service-technicien de surface, comme à son habitude, ne chercha pas la complication.

- Tenez, installez-vous dans le caisson, s'il vous plaît. Ne vous inquiétez pas, je vais refermer le couvercle et la machine va vous faire automatiquement un petit prélèvement et l'analyser.

Une fois le couvercle hermétiquement refermé, le soignant-homme de service-technicien de surface s'installa au pupitre, sembla hésiter une fraction de seconde, puis tapota sur le clavier. Un ronronnement se fit entendre : l'automate initiait son intervention.

Sachant qu'il y en avait pour un petit quart d'heure, le soignant-homme de service-technicien de surface sortit de la pièce pour aller discuter avec un de ses collègues en sirotant une bière.

- Ouais, mon vieux Mathurin, j'te l'dis, je commence à en avoir plein le dos de ce boulot de merde !
- Je te comprends, j'ai aussi envie de tout lâcher. Je vais d'ailleurs pas tarder à le faire, vu que j'en perds le sommeil. Même mes gosses ont honte de dire ce que fait leur père !
- Ouais, c'est moche de chez moche. Moi, j'arrive plus à me concentrer sur rien et je ne retrouve souvent plus mes mots. Tiens, pas plus tard qu'il y a quelques minutes, j'arrivais plus à me souvenir de comment qu'on appelle les prélèvements pour analyse en langage machine.
- C'est "biopsie", non ?
- Heu... ah ouais, t'as raison !... Mais merde, qu'est-ce que j'ai bien pu taper, moi, alors ? J'ai un doute d'un seul coup...

A l'autre bout de l'usine à santé, la machine continuait à ronronner. Mais son ronronnement était couvert par d'atroces cris de douleurs qui sortaient du caisson. Des cris de souffrance qui faiblirent peu à peu et s'éteignirent totalement, avant que le ronronnement n'en fasse de même.

Sur l'écran de contrôle, un message clignotant s'afficha : "procédure d'autopsie terminée".