Ici, le dérèglement des sens est roi, la perversion gangrène nos goûts. Quand vient l'été, nos penchants nous marginalisent aux yeux de nos contemporains, tous avides de ce soleil brûlant symbole de désir torride et haletant.

Ici, une certaine douceur s'empare du ciel, les cumuli s'amoncellent, s'agglomèrent, leur épaisseur augmente, leur poids nouveau les rend proches de nous, la lumière s'assombrit, on dirait que le soir descend en courant, un friselis des feuilles annonce que le vent s'accélère en s'engouffrant en coin sous la dépression. Ici, les sourires des gens s'élargissent, les têtes se tournent vers le ciel noir plein de promesses, de grondements lointains évocateurs d'espoir...

Un peu plus loin, les dents grincent, les insultes claquent, des divorces s'initient, des vacances sont gâchées, des chiffres d'affaire s'écroulent. Des malins qui comptaient sur les 3 mois estivaux pour vivre tranquilous le restant de l'an sont au bord de la crise d'hystérie. Des locataires de gîtes ruraux tentent d'obtenir un remboursement sur le prix du séjour. Des fourmis speedées empêtrées dans des K-ways démontent leur tente en catastrophe. L'oreille vissée aux messages enregistrés de la météo nationale, ils rouleront sous le plafond bas et noir à la recherche d'une trouée de ciel bleu horizon pour accueillir leurs tendances UMP. Leurs marmots, drogués à l'iode, infra-rougeauds-dépendants, hurlent leur inquiétude à l'idée de quitter la bande côtière civilisée pour l'inconnu des terres encore sauvages où le pire peut arriver. Si la pluie continue, les indigènes auront-ils un simple jeu de 1000 bornes à leur vendre ?

Ici, les grosses gouttes se déposent à nos pieds comme autant de présents. Nous restons dessous cet arrosage naturel pour bénéficier d'un rafraîchissement à bas prix après cette suffocante période de canicule. Les arbres entonnent un hymne à la joie en l'honneur du grand Aigadier, leurs tiges se redressent sous la caresse liquide, leurs racines sont tendues dans les starting-blocks pour se gorger les cellules d'eau bienfaisante, s'en bâfrer, reconstituer leurs stocks de guerre, le vert des feuilles tourne au luisant, au vif, il se lave des poussières poussées par le vent sec. Le troupeau de cabres, statutairement sevré de piscine, de brumisateurs et autres jacuzzis, frétille sous cette vague fraîche bienvenue, cette douche à poils, cette trempette revigorante.

Le monde végétal, animal, paysan connaît la liesse absolue.

Partout ailleurs, les airs catastrophés s'installent. Les présentateurs de JT se confectionnent un masque misérabiliste et contractuel. Lors de congés pluvieux, le deuil national et solidaire est de rigueur. Les señors y señoritas météos sont les proches parents du défunt beau temps. Par symbiose, osmose, somatisation, analogie, déformation professionnelle, mais surtout par crainte d'une foule toujours prompte à se choisir des coupables parmi les innocents présents, ils laissent couler leurs larmes sans pudeur, elles ruissellent, creusent des canyons, emportent des ponts... Leur tristesse a des zèles, ils s'excusent, ils mouillent la chemise à vos côtés, ils souffrent, ils compatissent. Vous ne méritiez pas que l'horreur la plus inhumaine depuis Hiroshima vous tombe dessus : un orage estival.

Ici, l'eau, c'est le Messie. Qu'on l'attende ou non, on sait qu'il ne viendra pas en Été, alors c'est Fête quand il arrive. La pluie, on la voudrait au quotidien. Je suis content même si elle me mouille du foin sec, prêt à rentrer : mon revenu est écorné, mais la Nature entière autour de nous a la banane, elle susurre un grand Ouf de soulagement. Une bonne pluie, ici, sauve la vie d'un arbre en train d'agoniser, freine un feu, réalimente une source, une nappe, elle reverdit les gens, met de bonne humeur tout ce qui est vivant. Car sans Eau, la Vie ne serait jamais apparue sur la Terre.

Et sans Eau, elle disparaîtra.

Je radote, hein : le nombre des billets sur le même sujet commence à prouver un côté obsessionnel certain. ici , ici , ici et