Étant le plus jeune d'une famille de 6 enfants, 3 garçons/3 filles, j'ai eu droit à un statut un peu particulier : 1/3 couvé, 1/3 badé et 1/3 moqué.

Faut dire que d'entrée de jeu, j'ai attrapé toutes les maladies qui traînaient, le genre de problèmes qui font s'assombrir la gueule des docteurs, on voit clairement qu'ils pataugent complètement, on comprend qu'ils ont sauté tous leurs cours et qu'ils ont eu le diplôme par piston et là, sur ce cas précis, ben ils ont pas la plus petite idée de ce qu'il faut faire, donner comme médoc, couper comme organe inutile... Instinctivement, ils ont envie de prendre ce gosse par les pieds et de le secouer en espérant un bon choc psychologique qui remettrait tout en place, mais ils sont un peu inquiets de la réaction de la famille réunie en cercle, attendant le diagnostic. Alors ils disent d'une voix blanche :

"Attendons de voir comment ça va évoluer..."

Bon, vous le savez puisque vous êtes en train de lire un de mes billets, mais j'ai envie de vous rassurer sans plus attendre : je ne suis pas mort ce coup là. Mais pendant des années, j'ai fait flipper mes parents, et par voie de conséquence, mes frères et sœurs, et même ma santé une fois consolidée, je suis resté "le petit", "le fissou", et on me surveillait comme le lait sur le feu, j'allais faire une rechute, j'allais me casser en 2 comme une brindille, après tout le stress que j'avais provoqué à la famille, ce serait dommage et du vrai gachis que je leur claque entre les doigts, après toutes leurs attentions délicates, quelle ingratitude ce serait de ma part, il fallait continuer les efforts, les soins et la surveillance.

Oui, je suis un ingrat, oui, je me sentais profondément brimé de voir ma liberté encadrée, bornée ainsi. D'accord, comme ma sœur aînée me collait aux basques en permanence, ça lui a permis de me sauver la vie une fois que je me baignais dans l'étang sans savoir nager, et que ma bouée s'était dégonflée. D'accord. Mais elle me l'a fait payer cher, ce sauvetage, en me le rappelant systématiquement et à voix haute, debout sur une table et dans un micro si ça lui pétait, à toutes les fêtes de famille. Quand on s'est marié avec Margotte, elle a repéré la sono, l'a squattée pour nous narrer à nouveau l'anecdote, et a conclu son discours en disant qu'elle m'appelait "petit Saoulfifre" pour la dernière fois. J'avais trente ans, ça m'a fait plaisir.

Et tenez, je suis tombé sur un tas de cartes d'anniversaires de la famille. Oui chacun se fendait d'une carte personnalisée. Moi, je les fabriquais généralement, mais les nuls en Arts Plastiques ou les fiers achetaient des modèles du commerce. Voici un exemple de la prose pondue par cette sœur aînée, particulièrement "poule couveuse" (j'avais 12 ans, Toto était notre chien et Mémère, notre grand-mère) :

Cher petit Saoul-Fifre, Tu m'as souvent écrit des gentils mots qui m'ont fait très plaisir. C'est très gentil de me donner des nouvelles de Toto, mais je vois que tu es toujours méchant avec les animaux. Et tu dois être bien content que je ne suis plus derrière toi pour t'empêcher de les embêter.

Objection, votre honneur ! Ma sœur fait allusion aux tests de QI pour dindes que je mettais au point, dans ma soif de connaissance du monde animal. Rien que du scientifique éthique !

J'ai beaucoup apprécié ta façon de me souhaiter une meilleure année. Moi je te souhaite surtout une très bonne année scolaire. Tu as eu de bonnes notes ce 1er trimestre de 6ième. Mais tu peux certainement en avoir de meilleures encore. J'ai été très contente de savoir que dès le début, le lycée t'a plu et que tu t'es fait beaucoup de camarades. Je t'embrasse maintenant très fort. Continue à bien t'occuper de Mémère. C'est très bien.

Bon, j'avais quand même envie de hurler : "Mais de quoi, tu t'mèles, tu va m'lâcher la grappe, un jour". Ma seconde sœur a le ton plus naturel :

Cher petit Saoul-Fifre, (Encore !) Je te souhaite un très joyeux anniversaire pour tes 13 ans. J'espère que tu fais toujours des poésies aussi belles et je pense que tu as eu le journal du lycée où il y a ta première. Je t'embrasse bien fort.

Mais la même m'écrivait sans façons, l'année suivante :

À notre cher œuf, de grosses bises pour son anniversaire !

Sur la même carte, ma mère m'écrivait :

Heureux anniversaire à mon grand fils (Ha, quand même !?) pour ses 14 ans, avec tout de même, en réserve, un billet pour récompenser de bonnes notes... Gros baisers, Maman

Là, je sais pas si vous avez capté la carotte, mais je n'ai pas eu de billet. J'avais des notes catastrophiques, c'est l'année où j'ai redoublé, je venais de perdre mon père et Mémère coup sur coup... Le billet dont ma mère parle, "en réserve", c'est le billet qu'elle me donnerait si ma moyenne remontait. Un billet virtuel, en l'occurrence... Et ma 3ième sœur, 3 ans de plus que moi, brillante élève, toujours à m'asticoter, et sans doute ravie de l'engueulo qu'elle espérait me voir prendre, qui rajoute :

Gare au tape-cul à la maison !

Je n'ai pas retrouvé de cartes de mon frère aîné, mais j'en recevais, toujours dans le ton "travaille bien à l'école". Sarkozy n'a rien inventé. Et mon 2ième frère s'essayait à un ton un peu distancé, mais toujours avec cette obsession des études, alors que je n'ai jamais été scolaire pour 2 sous.

Cher Saoul-Fifre, je te souhaite un joyeux anniversaire pour tes 16 ans. Tu sais que ta lettre et tes cadeaux m'ont fait énormément plaisir. Je souhaite que tu gardes longtemps cette manière de voir les choses. D'après ce que me dit Maman, tu as beaucoup d'activités. C'est très bien. J'espère que tu continues à très bien travailler en classe, que tu fais du sport (notamment de la natation) et que tu es gentil à la maison. Je n'ai pas encore utilisé le pétard, mais je n'y manquerai pas. Je t'embrasse très fort.

C'était un pétard à faire exploser, que je lui avais envoyé, soyons bien d'accord, hein ?

Cher Saoul-Fifre, Je viens te souhaiter un joyeux anniversaire pour tes 17 ans. Et puisque j'y suis, je te présente mes Meilleurs Vœux (il faut bien liquider les vieux stocks) (c'était une carte de Nouvel An) J'espère que quand je ne suis pas là, tu t'arranges pour mettre de l'animation dans la maison, raconter des bêtises, faire des calembours toujours bien venus, mettre le sourire sur toutes les lèvres et qu'en plus tu travailles un peu (ne force pas trop si tu veux vivre vieux) J'espère que Maman ne te fait pas trop de remontrances (je ne voudrais pas que tu nous fasses un gros complexe). Pour te remercier d'être présent sur cette terre depuis tant d'années, je t'offre une raquette de ping-pong avec 6 balles qui se trouve quelque part sur un meuble dans la maison. Puis tu demandera à Maman de te donner 50 F sur mon compte. Je t'embrasse sur les 2 oreilles (ou joues, au choix)

Bon, c'est bien mignon, c'est gentil, tout ce qu'on veut, mais la famille, j'ai toujours trouvé ça assez lourd, trop présent. Alors par opposition, mes gosses, je leur ai peut-être un peu trop laissé la bride sur le cou ? On verra bien. Ça n'a pas l'air la cata, pour le moment...