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mercredi 19 janvier 2011

AndiamoLe pousseur (Chauguise revient)

Clémence Marchaleau, son petit chapeau grenat posé sur sa tête toute blanche, son grand sac noir, bien trop grand pour elle, pendu à son bras…

« Mais c’est fou, tout le fourbi que tu peux trimballer ! », lui a déjà reproché Jeannette sa grande sœur, à qui elle va rendre justement visite aujourd’hui.

A treize heures ce vendredi, elle a soigneusement fermé la porte en chêne verni de son petit appartement du 6 de la rue Béranger, dans le 3ème arrondissement de Paris, puis s’est dirigée vers la station « République », afin d’emprunter la ligne de métro numéro onze, en direction de la mairie des Lilas.

Oh ! Un petit voyage : six stations pour atteindre « Télégraphe », ensuite un peu de marche à pied, la rue de Romainville où habite sa sœur est toute proche.

Elle aime bien se rendre chez sa sœur car elle a LA TÉLÉ ! Son mari décédé voici trois ans avait une bonne situation. Pensez donc, il était responsable des achats au rayon « voilages » de la Samaritaine !

Clémence regarde les grandes affiches multicolores qui ornent les quais : la vache dessinée par Savignac pour « Monsavon » ; les frères Ripolin, à la queue leu-leu, l’un écrivant dans le dos de l’autre ; et bien sûr le livreur de chez Nicolas, casquette à l’est, tablier vert, avec ses kils de treize degrés de déménageur plein les pognes.

Tout à l’heure dans le tunnel, défileront : DUBO, DUBON, DUBONNET…

Elle s’est levée en entendant arriver la vieille rame Sprague-Thomson. Il faut dire qu’elle n’est pas discrète : les bogies font un foin dans les virages !

Clémence s’est approchée du quai, à distance respectueuse. Déjà elle aperçoit la voiture de tête, d’un vert pisseux. Aux commandes : le machiniste, casquette à visière négligemment rejetée en arrière.

Soudain, la vieille dame est brusquement poussée en avant. Un hurlement épouvantable, ses bras font des moulinets, le sac choit lourdement. Mouchoir, poudrier, miroir, petit carnet à couverture de moleskine, s’éparpillent sur le quai bitumé.

Le machiniste a aussitôt actionné le frein, un réflexe au centième de seconde…

Trop tard ! Le corps a roulé sous la voiture de tête. Un horrible craquement. Le cri perçant d’une des rares voyageuses présentes.


Chauguise, le célèbre commissaire Chauguise, a été appelé. Clémence est la cinquième victime de celui que toute la presse appelle : « le pousseur ».

La station a été fermée, le corps de la vieille Dame est allongé sur l’un des bancs de bois qui la jalonnent. Par pudeur, l’un des flics en képi a étalé sa pèlerine sur le corps sans vie.

- Le salaud ! C’est déjà la cinquième. Que des vieilles femmes… Quel courage ! Une ordure capable de s’attaquer à pareilles victimes ! Il manque de couilles, si tu veux mon avis, Dugland.

Crafougnard, dit « Dugland », jeune inspecteur, c’est un peu le protégé de Chauguise, mais il ne le lui montre pas.

- Manquerait plus que j’te borde ! lui a-t-il un jour balancé, alors qu’il se plaignait d’un gros rhume qui l’empêchait de respirer !

Il est là planté devant l’immense carte représentant le plan du métro parisien.

- Vous avez vu, patron ? Il opère toujours à République ! C’est un malin, car depuis ces stations, et quel que soit le niveau, on a accès à tout un tas de correspondances. Ligne 3 : Pont de Levallois - Porte des Lilas. Ligne 9 : Mairie de Montreuil- Pont de sèvres. Ligne 11 : Mairie des Lil..

- Bon, ça suffit, Dugland ! Tu ne vas pas me réciter le plan « Taride » de long en large ! J’chu pô né à Boue sur Vase non plus… Non mais !

Chauguise a interrogé les rares témoins. En ces années cinquante, guère de monde dans le métro aux heures creuses !

Ils ont aperçu une vague silhouette, celle d’un homme grand, pardessus gris ou noir selon les témoins, genre « loden », serré à la taille par une ceinture du même tissu, ou pas de ceinture, un feutre noir sur la tête, ou un béret. Pour les lunettes, les avis divergent également : deux témoins ont vu des lunettes, trois n’en ont pas vues !

- Comme d’hab', grommelle Chauguise, pour les uns il est grand, pour d’autres petit ! Bientôt, y’en a un qui va me sortir qu’il portait un short ! En attendant, la mémé, maintenant qu’elle est passée sous les bogies, elle ne les soufflera plus !

- Quoi donc, patron ?

- Ben, ses bougies pardi !

Et il se fend d’un large sourire, content de sa connerie.

- Oh, patron ! bredouille Crafougnard.

- Allez môme, on y va ! Tiens, v’la la chiave, tu vas nous driver jusqu’au 36.


Crafougnard gare la quinze dans la cour pavée du quai des orfèvres, puis suit son patron jusqu’au troisième.

- Tous les inspecteurs dans mon casino (c’est ainsi qu’il nomme son bureau)… Et fissa ! gueule Chauguise au passage.

Chauguise est là, debout, il jette un regard sur la dizaine de gars présents.

- Bon ! Faudrait le piéger, ce connard. J’ai une petite idée : on va déguiser l’un de vous en « vieille dame » et monter une planque. On finira bien par le coincer, ce fumelard !

Son regard se porte sur Crafougnard...

- Ah non ! Pas moi, patron, je suis trop jeune, je ne serais pas crédible ! Et puis matez la tête de vos inspecteurs : le plus vieux, c’est Charly, et il n’a que trente-huit ans ! Par contre vous…

- Quoi ? Tu voudrais que ce soit MOI qui m’y colle ? Dis que je fais vioc pendant qu’tu y’es !

Charly se lève alors :

- Sans vouloir vous vexer Boss, Crafougnard n’a pas tort : celui qui ferait une vieille dame plausible, c’est vous !

- Putain, c’est une cabale ! Un coup monté ! Mais bon, vous n’avez pas tort, allez ! Je m’y collerai.

Toute la salle applaudit.

- Bon, bon, ça va ! Allez, au boulot ! On se mettra en planque dès lundi.


Lundi, treize heures. Chauguise, affublé d’une perruque blanche, une robe noire à col Claudine, un sac à main vernis et un manteau en lapin authentique, avance en direction de la traction avant, au volant de laquelle Crafougnard l’attend.

Bien qu’il ne porte que des chaussures à petits talons, notre commissaire se tord les pattes pratiquement à chaque pas ! Crafougnard derrière le volant se mord les lèvres afin de ne pas se marrer puis, voyant son supérieur entrer dans la caisse en écartant les jambes, il éclate de rire.

- Si tu t’fous encore de ma gueule, Dugland, j’te fous aux archives jusqu’à perpète ! Verstehen ?

Crafougnard ne moufte pas, les yeux rivés sur la route, il n’ose regarder le commissaire de peur d’éclater de rire.

- Remarque, j’te comprends môme : j’suis plutôt croquignolet, sapé façon rombière !

Boulevard Beaumarchais, puis le boulevard du Temple. Crafougnard gare la pompe place de la République, juste devant « la toile d’avion ». En ces années, aucun problème pour trouver une placarde, les zones bleues n’existaient même pas !

Escorté par Crafougnard et Charly, Chauguise s’engouffre dans le métro. Afin de passer vraiment inaperçus, ils tendent même leurs tickets au poinçonneur, stoïque dans sa petite guérite.

La longue attente commence… A chaque arrivée d’une rame, la « vieille dame » s’approche du quai.

Quatre jours se sont écoulés. Ce vendredi ressemble aux jours précédents. Le poinçonneur, un peu intrigué par le manège, a été mis au courant bien sûr.

- Si tu la ramènes, toi, le tringlo, a déclaré Chauguise en lui soufflant dans les narines, j'te fais bouffer ta poinçonneuse ! Capito ?

- Oui, oui, Inspecteur !

- COMMISSAIRE, s’il te plaît !

Un peu las, machinalement, le commissaire s’est levé à l’approche d’une rame qu’il a entendu venir. Lentement, il s’est rapproché, comme le ferait n’importe quel usager.

Alors que la voiture de tête entre dans la station, il se sent violemment poussé. Il résiste, se retourne, mais « le pousseur » semble costaud, et surtout Chauguise a été surpris !

Il va pour être précipité sous la rame, il peut apercevoir le machiniste horrifié. Soudain, la pression cesse, c’est alors qu’il voit son « pousseur » étalé par terre. Debout à coté de lui, Crafougnard se frotte le poing droit.

- La vache ! Je lui en ai collé une bonne à c’t’enfoiré !

- Merci, môme, merci, déclare Chauguise en prenant Julien dans ses bras. Tu m’as sauvé la vie !

Aidé de Charly, Julien a relevé l’individu qui commence à récupérer. Son bada a volé à quelques pas de là, une longue chevelure brune lui couvre en partie le visage. Chauguise a écarté les cheveux, découvrant la tête de son agresseur.

- Bon Dieu, c’est une gonzesse !

La femme lève des yeux enamourés vers Chauguise :

- Célestine Piedboeuf commissaire, c'est un honneur d’être arrêtée par vous !


(Chtiot crobard Andiamo)

vendredi 7 janvier 2011

AndiamoAndalous, bijoux, tripous

Tout d'abord : j'ai planté mon ordi !

Un vilain virus m'a tout infesté. Je ne peux plus ouvrir mes documents. Pourtant je vous avais préparé une ou deux bluettes bien romantiques !

Alors je suis allé puiser dans un vieux (très vieux) billet écrit par T-B et sur lequel j'avais laissé un commentaire.

Copié-collé, retour dans l'interface Blogbo, petites retouches et voilà !




J'ai fait la connaissance des tripous il y a fort longtemps !

J'étais en vacances pour quelques jours en Auvergne, invité par une tante... Mais non une vraie tante, je vous vois venir ! La soeur de ma mère !

Etaient également présents : sa fille âgée de dix-sept ans et un cousin à peine plus âgé. A l'époque j'affichais vingt-cinq balais au compteur.

Un soir, comme nous rentrions après une virée, je pousse la porte de la cuisine, et alors... L'indicible, l'horreur, la pestilence, bonjour la fragrance !

Je m'inquiète : kestufècuire? M'enquièrès-je.

- Des tripous, me répond la joviale.

- Des quoi ?

- Des T.R.I.P.O.U.S., mijotés spécialement à l'intention de ton oncle par un ami.

Un ami ? Ah la vache ! S'ils n'avaient pas été copains, qu'est-ce qu'il lui aurait concocté le vachard !

Je pense que le tonton lui avait fait une vacherie au poteau, genre j'te chourre ta gonzesse, un croc aux pattes bien dégueu. Il avait la rancune tenace le revanchard !

Lui refiler une charogne pareille : c'était pas chrétien !

On passe à table, le cordon bleu nous apporte la caisse du chat ! Et commence à servir les portions.

D'autor la cousine décline :

- Pas question que j'bouffe de la merde !

Le cousin sournois prétexte une gerbe imminente, consécutive à un trop plein de glaces aux fraises. Tu parles ! Le pingre, il n'aurait jamais allongé un fifrelin pour casquer un cornet, même à une boule ! M'enfin!

Il n'en restait qu'un : ma pomme ! Invité j'étais : je ne pouvais pas refuser ! Pas correct, déplacé, incongru. Ah putain ! Fallait y passer.

Je suis plutôt du genre morfale, un vrai tout-à-l'égout, j'bouffe de tout, au moins je goûte, pas chochote sur la tortore. Mais là : se taper une couche-culotte genre celle du matin (les ceusses qu'ont des chiarres comprendront), jamais j'avais fait.

J'attaque : narines fermées, apnée grande profondeur, j'enfourne, je mâche.

Ah saloperie ! J'étais en train de bouffer la baballe du chien ! J'avais une solide mâchoire, de bonnes chailles, mais trop c'est trop ! Je n'en pouvais plus ! Et la Marie-Besnard qui me guettait, attendant une reconnaissance, un satisfecit, un MMMMMHH j'en redemande ! Moi, la tronche tordue, j'moufte pas.

Fayot sans doute, cireur de pompes : jamais !

Je pensais à la rue Loriston : ils n'avaient jamais testé les tripous, les raffinés des aveux spontanés, les princes du hammam, les accros de la baignoire, les adorateurs de la gégène ! Sinon ils les auraient ajoutés à leur panoplie!

Tu imagines : le mec à table, en fond sonore un disque de Balavoine, posé devant lui, une bonne assiette de tripous, et enfin en guise de dessert : la lecture intégrale du discours de Malraux lors de l'entrée au Panthéon des cendres de Jean Moulin !

Sûr, au bout d'un quart d'heure, il t'avoue le meurtre d'Henri IV, la prise de la Bastille, les attentats du onze septembre, et même l'attaque de Pearl Harbor !

J'attaquais la seconde bouchée, quand tout à coup : le flash ! L'éclair de lucidité, le soir j'avais rencard avec une petite ligotée la veille, dans une boîte de Saint-Nectaire.

Je vous arrête tout de suite : ça n'est pas parce qu'elle était de Saint-Nectaire, que son clapoir refoulait le claquos, Hein ?

Ah la vache ! La pelle assassine, que j'allais lui rouler, l'haleine de cow-boy, la gamelle putride, j'pouvais pas lui faire ça ! Les tripous allaient me casser la cabane, sûr.

Elle va me j'ter, pensais-je ! Me larguer ! Elle va me demander si j'ai bouffé mes chaussettes avant de venir !

Lâchement j'ai battu en retraite, mis les pouces, déposé les armes...

Aveyronnaises, Aveyronnais : je connais un peu votre région, elle est magnifique il est vrai, mais de grâce : NO TRIPOUS... ADISHATZ !

jeudi 30 décembre 2010

Tant-BourrinUne nouvelle année va commencer...



Bonne année mon cul !


mercredi 22 décembre 2010

Saoul-FifreCartes postales

Blogbo, ces jours-ci, est plus vivant que le crane d'Henri IV récemment retrouvé, mais juste-juste, hein ? Quelques com's dithyrambiques mais l'ensemble est mou. J'attribue le phénomène aux vacances de Noël. Bon, nous ne partons pas pour ces vacances, c'est à dire qu'on fait attention sinon Anne va encore dire qu'on fout rien. Je ne dis pas qu'elle ait tort mais si elle voulait, elle pourrait partir aussi quand elle veut, avec tous les RTT de Bof, alors pouet-pouet camembert sur les vacances, hein, d'ailleurs ils sont en Normandie en ce moment, si je ne vous le disais pas, personne ne vous tiendrait au courant.

Pour être franc, on est monté à Lyon voir les illuminations de la Fête des lumières. Superbe, faut dire ce qui est, sponsorisé par EDF tout comme il faut. Une bien belle ville, Lyon. Et puis des habitants bien honnêtes : Margotte a perdu son portefeuille avec 75 € dedans et ils lui ont renvoyé tel quel à l'adresse qu'ils ont trouvé dedans !

Et puis on ira peut-être réveillonner en Italie, si ya pas trop de neige. Tout ça pour vous prévenir que j'ai un peu envie de vous faire le service minimum, vu que vous aussi vous êtes absents, ou en train de faire la queue dans les magasins, ou en train de vous amuser avec le jeu que vous comptez offrir à votre môme.

On a qu'à dire que je ne suis pas là et que je vous envoie des cartes postales. Ya pas assez d'images sur ce blog, je trouve.

Brème. Les touristes tripotent une de ces trois statues, devinez laquelle ?

Maastricht. Un fabuleux carnaval, d'une inventivité et d'un dynamisme extrême. Sacrés Hollandais !

Munster. Des piliers de Carnaval. Pochetrons mais dignes.

Amsterdam. Un marchand de bouées avec beaucoup de stock !

Paris. Alors, on joue les crâneuses ?

Transhumance des vaches Aubrac. 20 kilomètres à pattes, ça use les sabots !

jeudi 25 novembre 2010

Tant-BourrinLe mur absurde

Je le sais bien, il faut laisser le passé au passé, ce qui est révolu ne doit plus entraver nos pas.

Et pourtant, je n'ai qu'à baisser le rideau de mes paupières pour revoir Resgaille, là-bas, si loin de la grisaille poussiéreuse de Paris. Revoir le vieux portail de bois branlant, fixé par un anneau de fer à un pieu, revoir la cour où vaquait la volaille et que la moindre averse suffisait à transformer en bourbier, revoir les vieux murs déjà marqués par le temps. J'ai cinq ans. J'ai dix ans. J'ai quinze ans. Guère plus : ma mémoire peine à franchir les frontières de l'enfance quand elle divague entre Eauze et Gabarret.

Oui, je sais, je t'ai déjà parlé de Resgaille, du temps où la Mamée y vivait, elle qui n'avait pu y mourir. Mais bien avant qu'elle ne se recroqueville sur elle-même jusqu'à devenir une statue d'os et de peau, bien avant que le chagrin ne l'attire vers la terre, le soleil avait brillé sur ce coin perdu.

Un coin si perdu que nous l'avions cru oublié du temps, nous, les cousins de la ville. Tout semblait s'y être figé pour nous offrir le spectacle de la vie quotidienne de nos aïeux, eux qui grattaient la glaise sans relâche pour tenter de subsister chichement. Mais nous, nous ne voyions que la liberté qui s'offrait à nos regards goulus, les prés sans barrières qui attendaient nos cavalcades de gamins enivrés par ce temps infini devant nous : celui des vacances scolaires.

Resgaille était alors dépourvue de tout ce que l'on appelle aujourd'hui le confort. La cheminée de la grand-pièce ne réchauffait guère, l'hiver venu, que les mains frileuses tendues vers les flammes. Les chambres suintaient d'humidité et exhalaient une légère odeur de moisissure. Aux jours froids, les draps, sous l'énorme édredon de plumes, étaient glacés et la Mamée devait y glisser un moine avec une casserole emplie de braises afin que nous, ses petits-enfants perdus de la ville, ne grelottions pas au moment du coucher. Mais je te parle de frimas alors que Resgaille reste pour moi à jamais noyée sous le soleil de l'été.

A la toute source de mes souvenirs, il n'y avait pas de toilettes dans la ferme : c'était dehors que l'on allait se départir de tout ce qui nous encombrait les boyaux, comme l'avaient fait des millions d'hommes avant nous, avant qu'ils ne commencent à cacher dans de minuscules réduits secrets l'animalité de leur métabolisme. Ce n'est qu'au milieu des années 60, je me souviens, qu'un fragment de ville est entré à Resgaille sous la forme d'une cuvette de toilettes.

C'est aussi à cette époque que l'oncle a acheté un tracteur. Une ruralité ancestrale, sans que je m'en rendis compte, mourrait sous mes yeux : j'étais né juste à temps pour imprimer dans ma mémoire le dernier cheval de trait de Resgaille. Mais je n'en percevais rien, tu sais : aux yeux d'un gamin poussé dans une H.L.M. de banlieue ouvrière, un tracteur semblait aussi fascinant qu'un cheval.

Tout alentours paraissait si vieux, si usé, comme patiné par des générations de mains. Le bois régnait alors en maître : les meubles, modestes et branlants, l'étable, la fenière, les enclos à lapin... Je ne mesurais pas ce qu'il avait fallu au Papé de courage et de sueur pour construire tout cela. Mais le progrès peu à peu dérangea cet ordonnancement qui paraissait immuable : l'étable menaçait de ruine, on en construisit une nouvelle avec de beaux parpaings, plus grande, plus robuste. Plus laide aussi, mais la vie était alors trop rude sur ce coin de terre pour s'embarrasser de considérations esthétiques.

La mare aussi me captivait : c'était à qui construirait le plus beau bateau avec un vieux bout de planche et quelques clous rouillés et le ferait voguer au milieu de canards impassibles. L'eau grise et boueuse devenait océan, les cailloux de redoutables récifs, la vie une aventure.

Et puis il y avait la voiture : une vieille traction avant qui avait appartenu à mon grand-oncle et que l'on avait abandonnée des années plus tôt, quand elle ne fut plus réparable, au milieu d'un bosquet. Elle n'avait plus de roues, la rouille courrait déjà partout mais, tu sais, quel gamin n'a pas rêvé de pouvoir jouer ainsi avec une vraie voiture, même si, année après année, elle semblait se dissoudre un peu plus dans l'air ?

Oui, je te l'ai déjà dit, mais nous avions l'éternité pour nous, l'insouciance, le soleil, l'espace. J'étais heureux.

Oh, je sais, je t'ennuie avec mes vieilles histoires. Les souvenirs d'enfance sont impalpables et relèvent de l'indicible, et je m'escrime en vain à vouloir les partager. Cette époque est morte à jamais. Le Papé et la Mamée reposent sous terre depuis bien longtemps déjà. Les cousins ont préféré aller s'installer dans le confort, la terre est trop ingrate pour ceux qui cherchent à en vivre. Mon oncle et ma tante ont vendus les champs et fait construire une nouvelle maison, juste derrière la ferme : eux aussi, l'âge venant, voulaient leur part de confort.

Oh, je ne les en blâme surtout pas : comment le pourrais-je, moi qui vis à la ville et n'ai quasiment connu Resgaille que dans la douceur estivale, moi qui n'aurais sûrement jamais pu supporter la rudesse de leur existence ?

Mais, tu sais, la dernière fois que je suis retourné là-bas, du côté de Gabarret, cela m'a quand même fait mal. Je ne reconnaissais plus rien : la volaille, le bétail avaient disparu ; la mare, rebouchée, laissait place à un massif de fleurs ; rien ne subsistait de la porcherie ni des clapiers ; la rouille avait achevé de digérer la vieille traction avant. Et puis, surtout, c'est de voir la vieille ferme qui m'a anéantit : vidée de tout, les murs lézardés, à l'abandon. Le tombeau glacé et silencieux de tant de souvenirs, où la vie ne reviendra jamais plus et qui finira par s'écrouler un jour ou l'autre.

La nouvelle maison, juste à côté, est parfaite : lumineuse, saine, fonctionnelle.

C'est l'architecte local des Bâtiments de France, soucieux de préserver le tissus rural, qui, dans un excès de zèle, a exigé que celle-ci soit construite à proximité immédiate de l'ancienne ferme et même que l'ensemble soit d'un seul tenant. Au grand dam de mon oncle, il a fallu se plier à ce diktat borné. Mais comme on ne pouvait s'appuyer sur les murs fragiles de la vieille ferme de Resgaille, la maison a été construite à trois mètres, et un simple mur, inutile, a été érigé entre les deux, juste pour satisfaire la contrainte imposée.

Un mur de parpaings, dernier lien entre aujourd'hui et le passé.

Un mur absurde qui ne sert à rien.

jeudi 9 septembre 2010

AndiamoSidonie

Pour être une belle fête, ça allait être une belle fête !

Soixante ans, la retraite, ça se glorifie, c’est une date importante, et puis notre chère Sidonie le méritait bien.

C’est ce que pensait Valérie en préparant la liste des gens qu’elle allait inviter afin de célébrer l’évènement.

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dimanche 27 juin 2010

Saoul-FifreNiolon

C'est une calanque de la chaine de l'Estaque, sur la commune du Rove, avé la vue dégagée sur toute la baie de Marseille. Va-z-y, répète cette phrase avec l'accent du Midi et tu commenceras à entendre grincer les cigales. Ô peuchère, qu'on est déjà le 26 juin et qu'elles n'ont même pas encore commencé à se racler la gorge et faire leurs vocalises. Tu verrais ça, toi, qu'il ait trop pleuvu cet hiver et qu'elles se soient toutes noyées ? Ça serait un coup à faire fuir les touristes ! Que c'est fragile, un touriste ! Pas de cigales, pas d'encouragement du commerce local. Pas de soleil, on retourne à Corbeil !

Nous, on s'en passerait bien, des cigales. Les cigales, c'est un peu comme si t'écoutais ta radio bloquée sur une fréquence linéaire, monotone, sans surprises, triste, conforme, uniforme... Oui, t'as raison, un peu comme une France-Inter rêvée par les duettistes Rudolf Hees et Philippe Pétain. Et leur sarco-trafiquant.

L'État, mon actionnaire, comme ils disent dans leur jargon baveux, ces limaces. Et le peuple, vos auditeurs, vous y pensez quelquefois ? On s'assoie dessus, on les tronche, aussi fort qu'on nous a tronché, aussi profond qu'on s'est laissé troncher. Transmets, corromps, projette, fais aux autres ce qu'on t'a fait, venge-toi. Et n'oublie pas que tu as fait tout ça pour avoir le pouvoir, et que le pouvoir, tu l'as.

Alors, de quoi te plains-tu ? Ben c'est à dire que ça ne ressemble pas trop à mes rêves de petit garçon ? Ah bé c'est qu'on peut pas tout avoir dans la vie, mon petit !

Finalement et tout bien réfléchi, je préfère les cigales.

Et puis Niolon, c'est adossé au massif, et avec le viaduc du chemin de fer qui fait barrage, tu sens pas le Mistral, même s'il boufe comme le soufflet de forge du diable. Et pis même en plein cagnard, tu as toujours la fraicheur de la mer. Oui car l'eau s'évapore et en s'évaporant, elle crée du froid, c'est le principe de la gargoulette de ma mère suspendue à une branche du poivrier. En gros, quand il fait chaud, la terre emmagasine de la chaleur et la mer, du froid. Donc à Niolon, sans Mistral et sans températures à te faire te dessécher sur place, tu peux supporter stoïquement le métronome rouillé des cigales.

C'est pourtant pas l'huile d'olive qui leur manque, dans le quartier.

Je te sens intéressé, tout à coup. Comment est-ce que l'on ferait-on si je voudrasse y aller, te dis-tu ?

Le mieux : tu prends le bus 36 sur la Canebière et tu descends à l'Estaque-port. Tu m'entends : tu descends pas à l'Estaque-plage, tu descends à l'Estaque-port ! Tu montes sur ton pointu et tu suis la côte jusqu'à Niolon. Là, tu te gâves. Tu te gâves les yeux de toute cette lumière qui fait reluire la mer et qui chauffe les rochers à blanc. Tu te gâves les narines d'iode, de sueur d'écailles et de poison d'oursin, à la saison. Ça sent tellement le large, le bouquet garni et le Guédiguian que tu resteras fidélisé le long de cette côte, scotché à vie, avec un désir comac d'y revenir le plus souvent possible.

Tu n'as peut-être pas de pointu, ni même d'anneau à l'Estaque, mesquin que tu es ? Alorsse il te reste une chance de faire le riche à peu de frais. Prends un ticket à la gare Saint-Charles sur cette ligne mythique, "Le petit train de la côte bleue", qui a coûté 20 millions de francs-or au début du siècle et au contribuable français. Ou, si nous sommes en été, monte sans payer dans un des wagons pleins de racailles des quartiers Nord qui vont se baigner sur les rares plages. Le contrôleur te laissera tranquille.

Tu peux choisir ta destination parmi ces noms qui ont fait briller tant de prunelles : plage Napoléon, La Couronne, Sausset-les-pins, Carry-le-Rouet, La Redonne-Ensuès, Le Rove....

...mais suis mon conseil et descends à Niolon.

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