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dimanche 15 février 2015

Oncle DanJe brûlais de vous le raconter…

Nous étions le jeudi 14 janvier 1960. Oui, un souvenir de cinquante-cinq ans, à classer dans les inoubliables.

La nuit tombait, ainsi qu'elle a pris l'habitude de le faire depuis fort longtemps, et les poètes que nous étions déjà savouraient les subtiles transformations du ciel quittant sa tunique de lumière brodée d'or en se dissimulant derrière un voile aux teintes changeantes. La couleur paille fût d'abord gansée d'un fin ruban saumon qui dessinait l'horizon. Puis ces délicates nuances de roses laissèrent la place à des rouges plus intenses qui se violacèrent progressivement. D'ordinaire, cet immuable scénario se terminait dans un ultime trait de fusain qui marquait la fin du jour.

Mais ce soir-là, le charbon de la nuit paraissait avoir des difficultés à s'imposer. Le scintillement des étoiles restait imperceptible. Une lueur pourpre persistait à l'est, au dessus du bâtiment central. C'était inhabituel, inexplicable, inattendu. Enfin, c'était nouveau. A l'ouest, rien de tel, bien sûr.

Les esprits les plus perspicaces s'interrogeaient sur les débordements horaires de notre récréation. Les jeux avaient peu à peu cessé. Les plus folles suppositions commençaient à circuler entre les différents groupes qui s'étaient formés dans la cour. Bientôt, cette lueur suspecte s'intensifia. Sous la poussée d'une gerbe d'étincelles plus importante que les autres, elle prit une teinte rougeâtre qui ne laissait guère de doutes sur ses origines.

C'est alors que le pion siffla précipitamment la fin de la récréation et nous fit rapidement monter en salle d'études, sans chercher à imposer le silence dans les rangs où les commentaires allaient bon train.

L'étude de "travail" qui nous était imposée d'ordinaire à ce moment de la journée, se transforma rapidement en étude de "lecture", sous la pression de la nervosité ambiante. Mais c'était encore trop nous demander alors que l'incendie, qui faisait rage de l'autre coté de la cour, colorait la porte vitrée de notre salle d'études de taches rougeâtres qui dansaient sur le verre dépoli.

Lorsque notre étude fut déclarée "libre", c'était vraiment à titre de régularisation. Il n'y avait plus grand monde à sa place, chacun cherchant à obtenir des informations sur un événement que l'on voulait encore nous dissimuler par crainte de provoquer l'affolement. Pour ne pas ajouter à la confusion, ou par souci de discipline, quelques potaches trompaient difficilement leur émotion par une occupation sur laquelle ils avaient du mal à se concentrer. Au fil des minutes, la nervosité augmentait. Un, puis deux, puis trois élèves, s'enhardirent à sortir de la salle d'étude pour regarder le sinistre spectacle par une des fenêtres du couloir attenant. Cela leur fut d'autant plus facile que les pions avaient tous été réquisitionnés pour faire la chaîne avec des seaux d'eau.

L'incendie avait pris des proportions inimaginables. Le vent attisait un feu qui se nourrissait de poutres centenaires, et le poussait jusqu'à l'extrémité du bâtiment. Le lycée qui se trouvait de l'autre coté de la rue était sur le qui-vive, dans la crainte de voir ce brasier se propager sur ses propres toitures.

Les flammes claquaient derrière les vitres cassées qui vomissaient de gros nuages de fumée noire. De longues gerbes d'étincelles zébraient le ciel de leurs sinistres étoiles filantes. Les pompiers des casernes avoisinantes arrivaient en renfort dans la cour d'honneur du collège, car les températures exceptionnelles de cette nuit-là créaient des difficultés inattendues.

Soudés à leurs échelles par l'eau de leurs lances que le vent glacial gelait instantanément, ces courageux soldats du feu étaient aveuglés par d'épaisses nuées, farcies d'étincelles, qui s'abattaient sur eux au gré des bourrasques sibériennes. Vingt degrés en dessous de zéro les avaient transformés en statuts de glace.

Nous en avions déjà trop vu et ne verrions pas la suite. On nous rassembla pour nous conduire dans un autre collège et nous partîmes en rangs par deux.

Spectacle étrange que ces potaches déambulant dans les rues glacées, au milieu de la nuit, à la recherche d’un dortoir...

mardi 3 février 2015

FrançoiseFaites l'humour, pas la guerre

Marcel Bozec s'asseyait à côté de moi à l’École nationale des Services du Trésor (ENST) où nous étions Inspecteurs stagiaires. Ce Breton pur beurre avait la particularité originale d'exhaler en permanence une forte odeur de cassoulet, agréable avant midi, légèrement écœurante à 15h, et la particularité plus répandue de lever le coude avec des alcools à plus de 40° qui le laissaient quelque peu H.S passé 22h. A tel point que lors d'une soirée arrosée, nous l'avions enfermé, endormi, dans un des sacs postaux transportant le courrier de l'ENST. Il s'était réveillé à l'aube sur un tapis roulant de tri postal devant les facteurs médusés!

Un jour, Marcel me dit : « Tu connais la bande à Charlie ? J'habite juste à côté. »

C'est ainsi que je pénétrai en 1973 au 10 rue des Trois-Portes, dans le 5ème et fis la connaissance de ces gaillards ô combien paillards, nettement plus vieux que moi mais plus potaches que des collégiens hyper pubères : Cavanna, Bernier dit Choron, Gébé, Reiser, Wolinski, Cabu, Willem ... Durant 5 ans, j'y allai très souvent les soirs de bouclage, posai pour des photos dans « Hara-Kiri mensuel » et finis par bosser trois ans pour « la Gueule Ouverte », hebdomadaire d'écologie politique où officiaient également Isabelle, première femme de Cabu et Fournier (mort à 35 ans).

Cette bande n'était pas issue de milieux intellectuels, encore moins parisiens. Cavanna, rital fils de maçon, Gébé employé à la SNCF, Choron ancien légionnaire, Reiser élevé sans père dans un milieu de femmes dont il me disait: « Pour elles, se reposer c'était s'asseoir pour écosser les petits pois. », Wolinski pied-noir très tôt orphelin de son père juif polonais, tous avaient une vision lucide du monde parce qu'ils étaient passés de la pauvreté à l'aisance et voyaient la différence. Croquée dans une planche de Reiser sur « les riches et les pauvres » dont une phrase: « Les riches bronzent, les pauvres ont des coups de soleil » résume en un trait l'inégalité et l’humiliation…

Ce Charlie s'est arrêté en 1982, faute de sous et de lecteurs. Comme aurait pu s'arrêter bientôt celui d'aujourd'hui, faute de sous et de lecteurs. Si tout le monde est Charlie aujourd'hui, bien peu l'étaient il y a 6 mois, et ça souciait bien Charb, en ajoutant à l'atmosphère menaçante dans laquelle il vivait, des problèmes de gestion dont il se serait bien passé…

Entre les deux, il y eut la période Val, rue de Turbigo, où l'hebdo perdit beaucoup de son insouciance. Finis les « soirées bouclage » délirantes où les portes s'ouvraient dès la couverture trouvée pour laisser entrer qui voulait boire, manger et plus si affinités, les éclats de rire tonitruants firent place à des notes de service affichées dans la salle de rédaction…

Tout a été dit et écrit depuis le 7 janvier sur le Charlie actuel. Moins sur celui d'avant, de l'époque où ni les religions ni l'économie ne saturaient l'actualité, ce qui leur laissait du temps pour réfléchir à l'utilité du travail, de la consommation, aux conditionnements qui nous minent, à l'amour, bref à la vie... sans ligne politique autre que la lutte contre « la connerie » chère à Cavanna (La publicité nous prend pour des cons, la publicité nous rend cons ») et pour seule arme l'humour, politesse du désespoir qu'inspire parfois l'état du monde. Mais un humour brut, voire brutal et de mauvais goût : « L'humour est féroce, toujours. L'humour met à nu… L'humour est un coup de poing dans la gueule. L'allusion, l'ironie, la rosserie bien française nous semblaient pipi de chat. Rien n'est tabou, rien n'est sacré. Foutons dehors à coups de pied au cul les vieux interdits, à commencer par le bon goût. C'est du pire qu'il faut rire le plus fort, c'est là où ça fait le plus mal qu'il te faut gratter au sang. (Cavanna, « Bête et méchant, Belfond/ Livre de Poche).

Ce talent à être « bêtes et méchants » sur le papier ne les empêchait nullement d'être attachants dans la vie, parfois attachiants, c'est le propre des natures entières. Ils rêvaient d'une société plus ouverte et sans tabous, mais pas de prendre le pouvoir.


Je me souviens de Wolinski m'expliquant que son obsession des femmes venait de ses frustrations adolescentes : « Je suis juif né à Tunis, pied noir, ni très grand ni très beau. Ça cumule les handicaps pour plaire aux filles ! A présent que je publie mes dessins, elles se bousculent au portillon, alors je me rattrape. » Il n'en revenait d'ailleurs pas d'être aimé de sa blonde Maryse à qui il voulait offrir tout ce qu'elle souhaitait, « même toute la collection des valises Vuitton si ça lui fait plaisir ! »

Je me souviens de l'appartement de Reiser, dans le 14ème, éclairé à l'énergie solaire (un précurseur!). Nous avions parlé deux heures durant des femmes qu'il dessinait souvent plus grandes que les hommes parce qu'il les trouvait plus malignes. Il avait eu des mots intenses sur le chagrin d'amour, « le plus injuste qui soit, parce que tu n'as rien fait pour qu'on ne t'aime plus, tu souffres atrocement et tu ne peux pas obliger l'autre à t'aimer ». Je me souviens de son sourire lumineux la dernière fois qu'on s'est croisé sur un quai de métro : « Faut qu'on se voit vite, je t'appelle ». Il marchait bizarrement ce jour là, je me suis demandé pourquoi et j'ai compris quand peu de temps après j'ai appris qu'il était mort à 43 ans d'un cancer des os. Charlie-Hebdo avait titré : « Reiser va mieux, il est allé au cimetière à pied ». « Reiser : je ne serai jamais un vieux con ». Là encore, rire de tout, même au plus fort du chagrin.

Je me souviens du jour de bouclage tombant un 21 janvier où ils m'avaient fait la surprise d'une énorme tarte aux fraises pour mon anniversaire sur laquelle Wolinski m'avait assise comme la cerise sur le gâteau. Mon éclat de rire quand Choron trouvait que je buvais trop, et sa réplique : « Ça fait 30 ans que je bois, c'est foutu pour moi, mais toi, tu es jeune, ne te gâche pas. »

Je me souviens de deux journalistes venues l'interviewer. Nu comme un ver, excepté son fume-cigarette, comme souvent après le bouclage, Choron s'était avancé pour leur serrer la main et les avait vues reculer, effarées. «  Ben qu'est-ce qu'elles ont ? » - T'es à poil, avait commenté sobrement Cavanna tandis que Reiser et Cabu se tordaient de rire comme des gamins qui jouent à « caca-boudin ». Les féministes les trouvaient machos et vulgaires, ils étaient juste paillards, sans une once de mépris pour les femmes. J'appréciais leur gourmandise joyeuse pour le sexe quand partout ailleurs on le culpabilisait comme un vice ou une violence.

Je me souviens de Cabu croquant fébrilement des scènes de rue aussi rapidement que s'il les avait filmées, avec un sens du détail qui échappe parfois aux caméras. Son œil enregistrait tout avec une clairvoyance subjective.

Et puis Gébé, mon préféré, caricaturé par Gotlib dans la Rubrique-à-Brac (le commissaire Bougret, c'est lui), son univers insolite, surréaliste, ses mots d'une précision de scalpel, sa sensibilité affûtée, son sourire ravageur. Une nuit entière passée à bavarder en bord de Seine... Nos déjeuners rituels pendant 30 ans d'amitié. Fin janvier 2004, il espérait qu'on puisse se voir début février. «  Je ne te promets rien, tu sais. Se sentir mieux avec un cancer, ça veut juste dire qu'on a moins mal ou qu'on a pu manger normalement. » Il est mort en avril 2004. Son livre « l'An 01 » lu et relu a fondé mes désirs de société solidaire, chaleureuse et joyeuse, surtout, joyeuse.

En mars 2004, au Salon du Livre, j'avais parlé de Gébé avec Cavanna: « Pauvre petit Gébé, avait-il dit, si discret que les gens n'ont pas assez vu son immense talent. » C'est aussi lors d'un Salon du Livre, plus tard, que Cavanna m'a fait ce si subtil compliment: « Le temps est galant avec toi .»

Je me souviens que Charb et Cabu, retrouvés en 2012 sur France-Inter dans le « Bazar organisé » par Laurence Garcia ne cessaient de dessiner des grivoiseries sur les assiettes en carton du petit déjeuner et proposaient à Laurence d'aller les afficher dans le bureau de Philippe Val. Cabu n'avait pas changé de tête, de sourire et de tenue. Il a réussi cette prouesse Brelienne de devenir vieux sans être adulte : « Une heureuse nature, Cabu. Son rire est toujours là, pas bien loin, prêt à fuser… Il trimballe une dégaine escogriffe qui use les fringues du grand frère, superpose les pull-overs tricotés par la tante restée demoiselle, une tignasse de chien briard taillée au bol… Cabu est resté le môme qui traîne son cartable sur le chemin de la communale… fendu jusqu'aux oreilles aux cochonneries que lui débite un copain.(Cavanna, opus cité)

Ils auraient bien ri d'être traités en héros et en militants, eux qui refusaient les étiquettes, le pouvoir, la guerre et les dogmes et voulaient simplement vivre libres et heureux.

samedi 24 janvier 2015

Oncle DanFemme libérée

Dans mon collège de jésuites, au début des années soixante, tout était spartiate, sauf les WC qui étaient turcs et où on allait plus par besoin que par envie, tant ils évoquaient la campagne automnale au moment de l'épandage fertilisateur.

Les salles de classe, les salles d’études, les réfectoires et les dortoirs étaient empreints d'une austérité ascétique. Cette règle de pauvreté souffrait cependant quelques entorses, comme toute règle qui se respecte. Le paradoxe trouvait certainement son apogée avec la piscine qui fut longtemps la seule de tout le canton. Mais l'exception la plus courante était l'incroyable quantité de pianos, qui conférait à ce prestigieux instrument une banalité déconcertante en ces lieux. En outre, le professeur de piano du collège avait la réputation d’être l’un des plus grands organistes de France.

Je me souviens de ce dimanche d’été où j’entendis à travers une porte l’interprétation magistrale d’un morceau de musique classique. Je ne pus résister à l’envie de connaître celui qui déployait tant de virtuosité. Il s’agissait d’un élève de ma classe, particulièrement doué en musique, et qui savait jouer de plusieurs instruments : Christian Dingler, connu aujourd'hui sous le pseudo de Cookie Dingler.

jeudi 8 janvier 2015

AndiamoNon Charlie n'est pas mort : car il bande encore !

J'ai toujours pensé qu'un ch'tiot crobard valait (beaucoup) mieux qu'un long discours...

(ch'tiot crobard Andiamo)





(ch'tiot crobard Célestine)





Un discours, Saoul-Fifre ! Un discours !! (Non mais ?)

En ces heures sombres où le spirituel a été remplacé par le consumérisme, où la foi aveugle, les convictions fortes, l'abnégation devant sa propre mort sont remisées dans le placard aux vieilles lunes, je vous propose de relever la tête et d'entonner avec moi ce cantique païen et laïque :

Je suis Charlie
Voilà ma gloire
Mon espérance
Et mon soutien !
Je suis Charlie !!
Je suis Charlie !!!

Oui je suis Charlie depuis mon plus jeune âge, qu'est-ce qu'elle était belle la fille du proviseur ? C'est sûr qu'elle était pas voilée et je vous parle même pas de "Catherine saute au paf" non mais ce Cabu, à toujours provoquer comme ça les fondamentalistes, tu crois qu'il va avoir droit à son paquetage de houris vierges en arrivant là où ils l'ont envoyé, toi ?

Mes rayonnages plient sous les vieux Pilote, les Charlie-Hebdo, les Charlie Mensuel, les Hara-Kiri, les Echo des savanes, les albums indispensables de tous ces génies, je les ai tous lus dans les bibliothèques et, de temps en temps je cassais ma tirelire pour m'en offrir un, pour rigoler un peu car, comme chantait Mano Solo, fils de Cabu : La vie c'est pas du gâteau.

Ceci dit, mes parents m'ont appris à ne pas croire mordicus tout ce qu'il y a dans les journaux.

Mais là, ya des analphabètes paumés de la vie, sans espoir, crédules... Ils ont rencontré un séducteur causant bien, qui leur a parlé du LIVRE (un vieux grimoire écrit au moyen-âge) avec des yeux énamourés et qui a réussi à les convaincre que le LIVRE disait que la mort de dessinateurs de petits mickeys c'était chouette et que la leur en fait ne valait guère mieux.

Et ils sont partis, la fleur à la Kalachnikov.

Je suis effondré.





Putain les mecs faut vous envoyer la cavalerie pour que vous vous décidiez à rappliquer ! Bordel, vous foutiez quoi ! C’est bien beau ici, mais ça manquait d’animation de ce côté du miroir et ça fait bonbon qu’on s’emmerde avec Choron et Reiser. Ici, il n’y a rien, pas un poivrot, pas de gonzesses pas un con, rien… Enfin rien, c’est pas tout à fait juste, on s’est fait trois potes sympas, de Dieu s’ils renaudent après les escrocs qui se réclament d’eux. Allez, grouillez-vous d’arriver que je vous présente Jésus, Mahomet et Karl.

François.

Retransmis à Blogbo par télégraphe visuel via Blutch.

dimanche 4 janvier 2015

BlutchGrand-père Emile

Je ne dénoncerai personne, mais j’en connais des qui me regardent d’un œil bizarre.

Il paraîtrait que Blutch n’est pas comme tout le monde et que lorsqu’il rouscaille, ce n’est pas seulement à l’apéro au bistrot du Père Tranquille. Ou que s’il joue les Saints-Bernard, c’est avec un tonneau de rhum comako ! Moi, j’sais pas, je me trouve normal.

Tiens, ça me rappelle une réflexion de Mouss Diouf (le flic noir de Julie Lescaut) :
- « Vous vous imaginez que les noirs en ont une grosse, mais ce n’est pas vrai…. Ce sont les blancs qui en ont une petite. »
Tout ça pour dire que la normalitude est toujours du côté de chez Swan… de chez soi.

Dans la Famille Blutch, en commençant par l’ancêtre, il y a le grand-père Emile. Il ne l’a pas fait exprès, mais il n’a pas eu le temps de s’emmerder dans sa vie.

Il débarque sur Terre vers la fin du 19ème avec un passeport qui n’est même pas du coin. Faut dire que son père avait refusé d’être bourgeois d’honneur (en raison des services rendus à la commune) dans le patelin valaisan où il habitait. « Je suis né rital, je mourrai rital. » qu’il avait dit ce loustic avant de laisser tomber la première tranche de sa descendance.
Manque de pot, Emile était dans cette première volée. Du coup il a dû se débrouiller très tôt pour ramener un peu de blé à la casa. Alors pour les diplômes et les certificats, il n’y avait même pas de quoi se rouler une clope avec.

Jeune arpète, il se fait écraser un pied dans un accident du travail. A l’époque, la chirurgie réparatrice consistait alors à greffer un sabot de bois après l’amputation du pied. Pas de chance, la gangrène s’en mêle et il y perd son tibia dans la 2ème opération. Re-gangrène et la coupe se fait à mi-cuisse au 3ème voyage sur le billard.
Emilio chope les foies, se barre de l’hosto, il noie son moignon dans de la graisse mécanique (à l’époque, du suif) et va se terrer comme un animal blessé. Il ré-apparaît guéri et commence sa vie d’indépendant, puisque personne n’engage un infirme et qu’il a eu cet accident 50 ans trop tôt pour bénéficier d’une assurance et d’une rente invalidité.
Dans la foulée de sa réinsertion individuelle, il s’accroche à une Louise fort avenante et lui fait cinq marmots.
Cordonnier dans le très catholique canton du Valais, il réparait, un dimanche, des souliers devant sa boutique lorsqu’une soutane se pointe. Pour ne pas choquer, il glisse le soulier sous son tablier et le curé lui dit : « Ne vous cachez pas Monsieur Emile, le travail est aussi une prière. » En 1920, ce n’était pas la norme dans la tolérance vaticane…
Il a tout fait grand-père au cours de ses pérégrinations : chiffonnier-ferrailleur, vendeur de glace ou de marrons chauds selon la saison (mettant en service sa progéniture pour tenir les étals au coin des rues), brocanteur, puis antiquaire.
C’est mon père qui se retrouve être son bras droit et accessoirement sa jambe manquante pour conduire le camion ou la bagnole lorsque dans les années de guerre, il se fait piquer trois fois dans la même journée pour excès de vitesse (plus de 35 km/heure…). Faut dire qu’avant les radars, la vitesse était calculée au pifochronomètre. Ce qui laisse une large place à la subjectivité du flic.
Trois amendes énormes pour l’époque. Grand-père pique la boule, il va chez le boulanger du coin acheter, au marché noir, trois pains frais de 2 kg (pendant la guerre, le pain devait avoir deux jours pour être mis en vente) . Il va au poste du quartier, pose les pains sur la banque avec les trois PV et dit au flic en poste que si la police crève de faim, il veut bien la nourrir, mais qu’il ne payera pas ces amendes. Les pains et les PV disparurent et mon père ne fut plus dénoncé pour excès de vitesse. Faut dire aussi que les colères du père Emile étaient… remarquables et il fallait d'autant moins lui marcher sur les pieds qu'il n'en avait plus qu'un.
La vie était si simple alors lorsqu'il fallait régler un différent.

Emile avait un problème. Il ne pouvait pas acheter une seule chaussure car personne n’acceptait de dépareiller une paire. Il avait eu connaissance d’un amputé, pauvre de son état qui vivait dans un asile de charité. Lors de chaque achat de godasses, il remettait dans le carton le soulier inutile et l’envoyait à cet asile tenu par des sœurs. Un jour, la mère supérieur lui écrit pour lui dire qu’il ne faut plus envoyer de souliers, car le monsieur est mort. Elle lui fait alors une confidence que le monsieur n’avait jamais osé dire : Il était amputé de la même jambe que grand-père…

Je vous ai parlé des colères d’Emile, en voici une belle.
Il avait son magasin à la limite du quartier des laborieuses du sexe (ce qui lui évitait parfois de grands déplacements).
Dans la brocante, on scelle une affaire devant un verre, enfin à l’époque d'avant les éthylotests. Sur les quatre bistrots qui cernaient son magasin, trois étaient plus ou moins dévolus au commerce de la chair. Ça resserre les liens et ça oblige aussi à des cohabitations pas toujours souhaitées. Pas que ces dames manquaient de savoir vivre, mais le travail à son compte n'était pas la règle dans ce turbin et grand-père avait une saine aversion pour les employeurs de ces dames...
Ainsi il assiste un jour à la correction d’une gagneuse par son mac, en plein bistrot.
Il interpelle le type pour lui dire d’arrêter.
Imprudemment, le mac rétorque :
- Oh toi l’infirme, ferme ta gueule.
Grand-père se lève, empoigne sa béquille comme une cognée, saute sur un pied vers le type et il lui plie sa béquille (en tube métallique SVP) sur la tête. Ben oui, faudrait voir à pas insulter les bons types, non mais des fois. L’enflure connaissait peut-être Raoul, mais pas suffisamment Mimile…
Ambulance, flics et tout le tralala
Au bilan :
- Coté marlou : deux jours de coma, une série de points de suture et des séquelles irréversibles pour son égo.
- Côté Emile : le retour dans sa boutique à cloche-pied et les félicitations du jury flicardier pour avoir donné une bonne leçon à ce salaud. C’était un temps où la poulaille savait vivre…

Emile a vécu ainsi 77 ans rythmés par son commerce six jours sur sept, et le dimanche sur son balcon à regarder sa devanture avec le gigantesque chaudron qui lui servait d’enseigne.
Puis un jour des toubibs l’entreprennent pour lui dire que sa Louise a un cancer du sein et que les pronostiques sont de l’ordre de six mois.
Ça lui a tourné la tête à Emile, il s’est fait un tel sang d’encre qu’il s’est fait péter des vaisseaux cérébraux. Ça ne s’appelait pas encore un AVC, mais c’était du même bois, sauf que les toubibs n’avaient pas encore le mode d’emploi.
C’était la première fois qu’il était malade à ne pas aller bosser. Il n’en avait pas l’habitude alors il en est mort en s’éteignant à petit feu. Perdant peu à peu ses facultés et sa mémoire. Ne reconnaissant plus personne, sauf sa belle-fille (ma mère) qu’il appelait toujours affectueusement « ma grosse toque ».

Mais Emile avait aussi des moments avec de meilleures connexions. Dans le personnel soignant, il y avait une jeune et jolie religieuse qui s’occupait de lui. Il lui faisait du rentre-dedans de première bourre.
- Vous et moi, on ferait de beaux enfants.
Elle n'a pas eu le temps de lui dire oui.
Il a finalement décaroché dix ans avant sa femme, dont le cœur avait juste un peu oublié de battre, puisque le cancer avait oublié de la tuer.
Quels cons ces toubibs, grand-père était bâti pour être centenaire…

Emile, somme toute, c’était un type... normal.

Blutch

jeudi 1 janvier 2015

AndiamoEt les vieux ?... Pardon les vœux !

Un petit entre deux vite fait afin de vous souhaiter à toutes et à tous une BONNE ANNEE

Alors voilà pour l'an neuf, tout neuf, je me suis mis au taf (encore) et je vous ai brossé une galerie de portraits : l'équipe BLOGBO; pour certains c'est carrément l'équipe des bras cassés !

Bonnes fêtes à tous.

Vous l'avez remarqué les Demoiselles sont super belles, chez Blogbo elles passent un casting avant d'être embauchées, et le recruteur c'est ma pomme !

(ch'tiots crobards Andiamo)

samedi 13 décembre 2014

AndiamoNoëls

C'était hier, oui hier, ils préparaient dès la mi-décembre la maison, en vue des fêtes.

C'était hier, oui hier, ils descendaient tous les trois, le "grand" en tête dévalant les escaliers de la cave.

- Doucement, criait la Maman, tu vas te rompre le cou !

Derrière suivait la fille, longs cheveux châtains embroussaillés, et enfin mi-geignant, mi-riant le petit dernier du haut de ses trois ans, tête blonde frisée.

- 'Tendez moi, ze peux pas aller vite !

Ils ont ressorti les cartons poussiéreux rangés au sous-sol et contenant des trésors : la crèche avec son âne à trois pattes, l'ange "Bouffaréo" avé ses grosses joues gonflées comme celles de Dizzy Gillespie, le trompettiste, le bœuf "la vass" comme dit le dernier, bien écaillé par les longues années de service, les guirlandes dorées que l'on va étendre sur les étagères de la bibliothèque.

- Non, pas sur la cheminée ! C'est dangereux, ça pourrait prendre feu, a dit la Maman.

- Hein qu'après on s'ra brûlé de tout partout ? a dit le petit...

- Oui mon amour !

Et le baiser a claqué sur la joue rose.

- C'est quand qu'on achète le sapin ? demande cheveux châtains en bataille.

- Quand achètera-t-on le sapin ? rectifie Maman qui ne transige pas avec le français. Nous avons encore le temps, il va avoir trop chaud dans la maison, et il perdra toutes ses aiguilles.

- Moi z'aime pas les aiguilles, ça pique.

Et les deux "grands" se sont moqués de "tout p'tit".

C'était hier, oui hier ! Le samedi qui précédait Noël, ils allaient en famille acheter LE sapin ! Joyeuses disputes autour de l'enclos à "Normans"

- On prend ç'ui-là !

- Celui-là !

- Nan ! Il est moche comme toi, moi j'veux le gros là !

- Ze peux en soisir un petit pour moi ?

- Bon d'accord, c'est Papa qui choisit, comme ça tout le monde sera d'accord !

Ils sont rentrés, le sapin bien emmailloté remisé au fond du garage.

- Demain dimanche on décorera le sapin, a déclaré Maman le regard brillant.

Pas besoin de les réveiller, dès sept heures "ils" étaient tous les trois dans le grand lit.

Le sapin, on "fait" le sapin !

- MMMH on décore le sapin !

Le petit déjeuner avalé vite fait, les bols trainent encore sur la table, les trois "anges" sont déjà au garage, lorgnant, louchant, sur le bel arbre.

C'est Papa qui l'a dressé près du grand canapé, comme à l'habitude. Fébrilement les trois chamailleurs ont sorti les boules multicolores, et PAF la grosse bleue est tombée !

- Poussez-vous, Maman va ramasser, vous pourriez vous blesser.

- C'est Marie qui a cassé la boule !

- Même pas vrai, menteur !

- Moi ze l'aimais bien cette boule, SNIF !

Deux heures plus tard, le chef-d'œuvre est achevé, les guirlandes électriques fonctionnent, débauche de couleurs, un coup étoiles, un coup le noir, les trois enfants ont les yeux qui brillent.

- Qui va accrocher l'étoile tout en haut ? demande Papa.

Les trois "MOI" ont fusé ensemble !

- Eh bien ce sera Maman, parce que c'est notre fée, et que les fées ont toujours une étoile au bout de leur baguette magique.

Alors Maman est montée sur l'escabeau, avec d'infinies précautions elle a accroché l'étoile symbolique tout en haut du Norman.

C'était hier... Oui hier, aujourd'hui la grande pièce est vide, il n'y a plus ni guirlandes, ni sapin, ni étoile... Ni enfants !


Le petit dernier, tête blonde frisée...

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