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samedi 15 janvier 2011

Saoul-FifreLa honte à la fugure

Tunis. Aout 80. Titine et moi mangeons notre assiette de couscous dans un boui-boui de la vieille ville. En fait je ne l'ai jamais appelée Titine, je déteste donner des surnoms, on m'en a tellement affublé dans ma jeunesse, mais bon. Le restant du resto est désert, à part un autre couple, beaux, beaux comme seuls savent l'être des arabes, et un peu plus âgés que nous. Nous nous rapprochons et entamons la conversation. Ils sont de Lyon et rentrent en vacances au bled pour quelque temps. Titine est née à Bordj el amri, un village pas trop éloigné du leur, et ils nous proposent sans façons de nous embarquer avec eux. Un regard échangé avec Titine et nous disons oui. Nous passons sans regrets prendre nos sacs à l'hôtel pourri conseillé par le Guide du routard pour son tarif très abordable. Nous prenons le bus avec eux jusqu'au "village des bouchers". Devant chaque boutique à toit plat de la rue principale sont suspendues des carcasses en plein soleil, auxquelles des nuées de mouches font de l'ombre. Spectacle apte s'il en est à conforter un végétarien dans ses choix.

Un gars arrive dans sa belle 404 Pigeot à plateau. Il a un grand sourire, il est en train de faire construire une énième boucherie dans le village. Il engueule le maçon pour le principe, juste pour que tout le monde sache qui est le patron. Le maçon rigole : quelle que soit sa vitesse, il ne touchera rien de plus que le forfait convenu. Nous sautons sur le plateau et commence le secouage. Le seul membre de la famille qui possède un véhicule veut nous montrer comme ses amortisseurs sont robustes. Il roule à fond sur des pistes innommables, change brusquement de direction. On dirait qu'il cherche à nous envoyer en l'air avec ses ruades mais nous nous agrippons aux ridelles. Un nuage de poussière enveloppe la voiture qui saute en zig-zags de piste en piste à travers le djebbel. Cela fait bien une heure que nous sommes partis, je regarde avec un peu d'inquiétude derrière nous, je n'ai vu aucune maison, aucun point de repère, je serais bien en peine de retrouver mon chemin.

Nous arrivons enfin, au bout d'une éternité, dans un endroit magnifique et sauvage. La ferme est au flanc d'une colline, les bâtiments de pisé en forme de U tournent le dos au vents dominants. Le silence est absolu après la cacophonie du voyage et le coucher de soleil rougeoyant ajoute à la solennité de l'instant.

On nous présente au patriarche, un chibani enturbanné qui nous vrille en profondeur son regard noir et bienveillant, un rien moqueur à mon endroit, il faut dire que j'ai une coiffure affro du plus ridicule effet, je m'en aperçois brusquement à cet instant. On nous amène dans une salle où tout le monde s'assoit sur ses talons donc nous aussi. On nous passe un plat garni de quelques poignées d'eau. Aïe. Dans un coin si paumé d'un pays aussi sec, l'eau est une denrée rare, de l'ordre du symbole. Je me rends compte avec terreur que je ne sais rien de leurs traditions. Visiblement, ils veulent nous faire honneur en nous tendant l'eau propre en premier. On préfèrerait de loin qu'ils nous montrent comment faire, nous n'aurions plus qu'à les imiter ? Je leur demande avec insistance de commencer. Ils croient à un effet de politesse et se récrient : l'hôte doit faire ses ablutions le premier. Et merde. Je trempe un doigt dans la bassine et esquisse un rapide signe de croix totalement inepte en ces lieux, qui commence par la bouche, passe par les oreilles et finit sur mes sandales. Et je passe le bébé à Titine, guère moins empotée que moi. Nous touchons le fond, personne n'a compris mais tout le monde respecte cette toilette de chat qui souhaite se débarrasser des poussières du chemin.

Nous ressortons dehors pour la cérémonie du thé à la menthe. Jamais je n'ai goûté un tel breuvage. Une sorte de liqueur forte, dense, brûlante. Je sais comment éviter les brûlures, c'est la même technique que pour déguster les grands crus : on glouglougloute en mélangeant de l'air au thé qui s'en trouve de suite refroidi, ce qui permet de le boire presque cul-sec. Le verre aussitôt redéposé sur le plateau, on me le re-remplit à ras bord. Je suis tellement émerveillé par ce breuvage épatant que je mets plusieurs verres à me rendre compte de leur manège. Attends attends, me dis-je, car il m'arrive de me parler in-petto, mais ce que tu es en train de faire est totalement impoli, espèce de brutos mal dégrossi ! Oui mais comment faire ? Ils me resservent mon verre à peine fini ? Et ben, vous me croirez si vous voulez, j'ai trouvé tout seul la solution : il faut laisser un peu de thé au fond du verre. Ça ne veut pas dire "Elle est dégueu ta bibine", comme en France, mais bien "Je suis déjà au Paradis, comment pourrais-je me sentir mieux ?".

Puis nous mangeons avec les doigts, à même le plat commun. Le patriarche pousse les meilleurs morceaux vers nous. À part le couple qui nous a invités, personne ne parle français. Tout passe par le regard, les gestes, les sourires. Puis tout le monde se lève pour aller au lit. Nous nous alignons, hommes et femmes dans une pièce minuscule, sur des nattes. Nous, nous avons nos duvets issus de la recherche spatiale, eux, leurs couvertures de laine tondue cardée filée tissée à la main, aux motifs hérités d'une tradition millénaire.

Le lendemain, le rêve et la réalité refusionnent pour nous convaincre que ce lieu à l'écart des impatiences du siècle existe bel et bien. Ils ont décidé de nous faire un cadeau. Nous remontons sur le plateau de la 404 mais cette fois-ci la piste est quasi inexistante, nous roulons directement sur le rocher, nous quittons vraiment le monde dit civilisé et, sur une crête la voiture s'arrête et nous découvrons à nos pieds une ville. Morte, en ruines, mais tous les éléments de son ancienne magnificence sont là : colonnes rainurées avec leur chapiteau brisé, un grand amphithéâtre où nous gambadons de gradins en gradins, un temple, des thermes, des canaux, des constructions d'époques diverses. La boucle continue de se dérouler : d'arabe, nos hôtes ont essentiellement la langue. C'est la richesse génétique des peuples du pourtour méditerranéen, c'est ce mélange qui en fait la beauté. Djurdjura, Tyr, Corinthe (anagramme de "chieront", petite parenthèse, d'où l'effet laxatif du raisin, fermez la parenthèse), Alexandrie, Byzance, Rome, puis à nouveau Constantinople, Médine, Cordoue puis encore l'Istambul des Ottomans, sans oublier Paris via Marseille.

Mais loin des revanches, nous sommes ici chez les gardiens de l'éternité. Ils vivent et mangent comme le faisaient les bergers du Livre, de mouton, de blé, de fruits et d'huile d'olive.

Au moment du départ, le patriarche tiendra à me réparer mes sandales de skaï qui partent en lambeaux, avec de petits clous. Nous avions tout reçu et nous n'avions rien à donner. Je leur laissai un miroir de voyage, du shampoing, un sac de toilette mais comme nous voyagions vraiment légers, rien d'autre. Ils refusaient l'argent, bien sûr. Je les ai photographiés, et leur mechta aussi. De retour en France, je devais leur envoyer les tirages et j'ai toujours remis au lendemain. Aujourd'hui, ces photos, je ne les ai pas. A pus photos, a pus leur adresse et a pus Titine.

Restent le remords et l'image dégradée que nous avons dû laisser, de petits francaouis sans parole ni reconnaissance. Et la honte d'avoir imaginé le pire, prise d'otage, viol (Titine, surtout) lors de notre périple brinqueballant vers l'inconnu, alors que nous roulions vers la générosité.

Mais reste aussi tout ce qu'ils m'ont appris en une journée, dont je garde le souvenir précieux et que j'essaye de transmettre à qui veut bien.

mardi 11 janvier 2011

Tant-BourrinLes billets, ça se trouve pas sous le sabot d'un bourrin

Il faisait beau ce dimanche. Recevoir la douce chaleur de ces quelques rayons après trois mois de pluie et de neige ininterrompus a envoyé mon esprit vagabonder du côté de l'été et j'ai commencé à rechercher un gite digne de ce nom pour les vacances.

Petite masure sympathique sur la Côte d'Azur

Mouais... passable ! Et avec tout ça en tête, vous auriez voulu que je vous écrive un billet digne de ce nom ?


La saison des prix littéraires est passée et, malgré cela, vous auriez voulu que je vous écrive un billet digne de ce nom ?


En allant acheter ma baguette à la boulangerie du coin l'autre jour, je suis tombé nez à nez avec Eric Charden.

Eric Charden au siècle dernier

Heu... non, Eric Charden (ma boulangerie n'est pas située dans une faille spatio-temporelle !)...

Eric Charden tel que je l'ai vu

Et vous auriez voulu, avec une telle charge émotionnelle (presque aussi forte que celle du jour où j'ai croisé Jacques Ballutin), que je vous écrive un billet digne de ce nom ?


J'ai encore la crève, le nez qui coule, la voix toute éraillée et, dans cet état, vous auriez voulu que je vous écrive un billet digne de ce nom ?


Je me rends compte que j'ai vécu plus de 25 millions de minutes et, avec un tel fardeau, vous auriez voulu que je vous écrive un billet digne de ce nom ?


Avec tous les jeux de société que Tant-Bourriquet a reçu pour Noël, de "Chaud l'éléphant" à "Gla-gla le pingouin" en passant par "Qui l'a vu ?", je n'ai plus un instant à moi. Et vous auriez voulu, dans ces conditions, que je vous écrive un billet digne de ce nom ?


Au cours de mes pérégrinations internautiques, je suis tombé sur cette chanson, que je ne connaissais pas, de Gérard Lenorman.

Je réalise que la carrière du "petit prince de la chanson française" aurait pu avoir une toute autre dimension s'il avait laissé plus souvent tomber ses rôles de gentil dauphin pour celui de violeur psychotique. Et après avoir découvert ça, vous auriez voulu que je vous écrive un billet digne de ce nom ?


La touche "L" de mon clavier est presque entièrement effacée. C'est étrange, car ce n'est pas la lettre la plus utilisée dans la langue française. Et avec une ettre en moins, vous auriez vouu que je vous écrive un biet digne de ce nom ?


Johnny Hallyday s'apprête à sortir un nouvel album. Et vous auriez voulu, au risque de lui faire de l'ombre, que je vous écrive un billet digne de ce nom ?


Après plus de cinq ans de blogage intensif et 463 billets de haute tenue, j'ai les neurones aussi carbonisés que s'ils avaient subi une douzaine d'heures de pyrolyse dans un four, et vous auriez voulu, avec un encéphalogramme plat, que je vous écrive un billet digne de ce nom ?


Hein ? Comment ? Oui, vous auriez voulu ?

Ah ben zut, c'est ballot, ça ! J'ai rien préparé !

jeudi 2 décembre 2010

AndiamoLe bistrot de Mémée


Je vous l’ai déjà dit : dans ma banlieue et ses voisines, pratiquement à chaque coin de rue, fleurissait un rade.

Le bistrot de ma grand’mère, ça n’était pas le Fouquet’s, loin de là !

Son rade, comme celui des voisins, c’était un petit troquet pour les assoiffés du coin. Le p’tit bleu pratiquement à la pression. Pour le kawa, point de perco : ma grand-mère passait chaque matin une grande cafetière. Du café « à la chaussette », puis elle poussait son antique et imposante cafetière émaillée bleue sur un coin de sa cuisinière allumée en permanence, afin qu’il restât tiède.

Pas très savoureux le café à la fin de la journée, mais la clientèle n’était pas très regardante, et puis le coup de gnôle versé dans le breuvage lui arrangeait bien les patins au kawa de la Mémée !

Ce rade appartenait à mon grand-père… Enfin, celui qui en faisait office, le mien, le « biologique », pour faire savant, était mort des suites d’une saloperie contractée au cours de la grande guerre.

Nous l’appelions : Pépère, il en était ravi. Il m’appelait : « mon p’tit gars ». Je l’aimais bien, il avait gardé l’accent de son pays : l’Auvergne, il roulait gentiment les « R ».

Pas très grand, Pépère, ni bien épais, mais d’une résistance ! Ainsi très souvent il allait chercher son pinard, quai de Bercy, là où était située la halle aux vins, remplacée aujourd’hui par la faculté de Jussieu, quel crime… Enfin !

A pied, trainant sa charrette à bras, une bricole passée en travers de sa poitrine. Je pense qu’il ne suivait pas les Maréchaux, cela rallonge le trajet. Il devait atteindre la porte de Pantin (depuis Bobigny, 6 kilomètres déjà !) puis descendre l’avenue Jean Jaurès, et emprunter les avenues bordant le canal Saint-Martin jusqu’à la Bastille… Une sacrée trotte !

Il rentrait tard le soir, avec son chargement de tonneaux de pinard. Des petits fûts de cinquante litres, je suppose. J’étais très jeune (eh oui !), je ne me souviens plus très bien.

Le bistrot était de dimensions modestes, des tables aux pieds de fonte couvertes de « vrai faux marbre » ! Des petits rideaux blancs façon « crochet » toujours impeccables : Mémée ne rigolait pas, ni avec l’hygiène, ni avec la propreté !

Une odeur de café un peu caramélisé flottait dans la salle. L’hiver, ça sentait le Viandox, j’aimais bien cette odeur. La grande tasse blanche fumante, posé à coté le flacon de verre, genre « salière » au bouchon percé d’une multitude de trous, contenant le sel de céleri.

Un nuage bleuté flottait dans la salle, les volutes de fumée montaient des cigarettes roulées à la main. Pas des cibiches blondes, on ne connaissait pas. Les blondes, c’était du perlot pour les gommeux !

Les clients du bistrot ne fumaient que du gris : celui que l’on tient dans ses doigts, et qu’on roule (air connu).

Le « zinc » impeccable, pas un rond de pinard… Mémée veillait. Les litres de rouge, de blanc, ou encore la limonade, bien en place derrière le comptoir, dans une sorte de casier en zinc lui aussi, agrémenté de trous circulaires destinés à recevoir les bouteilles, et bien sûr le grand bac rempli d’eau qui servait de rince-verres.

Derrière, le long du mur, une étagère en verre garnie de petits napperons formant guirlande. Bien sagement rangées, les bouteilles d’apéritifs : Clacquesin, Suze, Dubonnet, Pernod (père et fils), Martini , et surtout une bouteille bien mystérieuse sur laquelle on pouvait deviner plutôt que lire : arquebuse (alcool, menthe, verveine, génépi, mélisse, valériane, etc.), une liqueur pratiquement disparue aujourd’hui, comme l’absynthe… La fée verte !

Les murs ripolinés ton crème, et une jolie frise représentant des hirondelles.

Certains jeudis, j’allais rendre visite à ma grand-mère, un peu obligé par ma mère, car je préférais jouer avec mes potes.

T’aurais vu la populace, qui venait se rincer la dalle ! Des grands, des gros, des pochtrons, des philosophes à la p’tite semaine, des : ça s’rait moi l’gouvernement… Des va-t’en guerre… Et pourtant, on en sortait !

Pas de costars-cravates ! Des bleus de chauffe, ou alors du bénard en velours côtelé et la veste ad-hoc, la fouillasse ou le béret sur la tronche, cachant à grand’ peine les tifs un peu douteux !

C’était le petit monde du travail, des ouvriers, grandes gueules, mais durs au boulot : avaient-ils vraiment le choix ?

Les plus folklos, c’étaient les joueurs de cartes. La couleur des brêmes, pas racontable ! Crasseuses, et en plus les beloteurs mouillaient leurs doigts, afin de mieux saisir les cartons !

Dans ces années-là, les cartes à jouer étaient taxées. Eh oui ! On les achetait chez le buraliste, un tampon à l’effigie de la raie-publique était apposé sur l’as de trèfle, je m’en souviens encore : Alzheimer peut aller se faire coller !

Un tapis bien crade posé sur la table, et un langage bien mystérieux pour un gamin :

- Belote et re.

- Dix de der.

- J’te coupe ton as avec mon p’tit sept.

- J’annonce une tierce !

- Tu peux t’la foutre dans ton froc : j’ai un cinquante !

Parfois, certains se laissaient aller et risquaient un crachat par terre ! Alors ma grand’mère les engueulait, arguant que « son café » n’était pas une porcherie ! Et qu’ils ne se permettraient sûrement pas ça chez eux !

Elle était toute petite ma grand-mère, et de plus elle claudiquait, mais elle n’avait peur de rien, ni de personne ! La guerre (la grande) lui avait pris ses deux frères, ainsi que son mari, alors ça n’était pas un glavioteur à la p’tite semaine, qui allait l’impressionner !

C’était une Montmartroise, ma mère était la sixième génération de Parisiens (je suis la septième, du coté des femmes : mon père a un peu cassé la baraque !).

Autant vous dire que ma bistrote de Mémée n’avait pas sa langue dans la poche de ses grands tabliers, qui ne la quittaient jamais !

Ainsi allait la vie dans ces petits quartiers. Chaque soir, je piquais un sprint jusque chez elle, dix minutes en courant tout au plus, afin de récupérer le journal (peut-être Le Parisien ou France-soir, je ne sais plus) car y figurait un strip (4 images) des aventures de Pinocchio !

C’est curieux, un gamin, je me souviens qu’en allant chez Mémée, j’étais soit : un train, je faisais alors bouger mes bras à la façon des bielles des locos à vapeur, soit un avion, j’écartais alors les bras et j’imitais bien sûr le vrombissement du moteur, ou encore un cheval, je n’omettais pas d’hennir, surtout pas !

La force de l’imaginaire chez un gamin ! J’étais vraiment dans ces moments-là soit l’un, soit l’autre.

J’avais un copain d’école qui, tenant une bougie de voiture devant lui, courait dans la cour : il « jouait » au camion ! Il fallait bien se distraire avec ce qu’on avait, et ça n’était pas grand-chose.

Tous ces petits bistrots ont disparu. Celui de Pèpère est devenu une maison d’habitation. L’autre troquet, situé à l’autre bout de la rue, a été rasé, afin d’améliorer la circulation.

Il m’arrive parfois de passer dans la rue, une bouffée d'autrefois, un petit pincement au cœur… Comme c’est loin… Comme c’est loin…

lundi 29 novembre 2010

Saoul-FifreMari(vaud)age mixte

Je sais, je vous avais promis un vrai feuilleton sur notre voyage en Algérie de ya deux ans, et puis je me suis retrouvé devant la dure réalité, à savoir que j'éprouve des difficultés à exprimer mon ressenti sur le sujet. Alors soyez aussi patient que je le suis.

Pour que notre visa algérien soit accepté, nous devions présenter, soit une réservation dans un hôtel, acquittée, soit un certificat d'hébergement. Ayant des amis sur place qui ont bien voulu nous loger, c'est cette solution que nous avons adoptée. Mais il faut savoir que le problème du logement est assez grave en Algérie, on en manque, la natalité est très forte et la moitié de la population a moins de 19 ans, si ça peut vous donner une idée de la situation à venir. Le couple qui nous a accueilli, à la retraite, avait quatre enfants, de 24 à 32, tous célibataires. Il faut dire que c'est une vaste affaire, le mariage. Des sous pour la fête, pour la dot, les robes, et puis ensuite se pose la question du logis. Avec le chômage endémique, ben on reste habiter chez ses parents. Pas comme des Tanguy mais parce qu'on a pas le choix.

On a donc colonisé (celle là, il fallait que je la fasse, obligé) leur petit appartement, mon frère ainé, mes trois gosses, mon autre frère, ses trois monstres et moi. Ceux qui ne connaissaient pas le sens du mot promiscuité l'ont appris à cette occasion. Nous, un poil claustrophobes, on avait qu'une envie : sortir, visiter Tlemcen, "notre" ville, celle qui nous a vu naitre, sillonner ce pays magnifique mais nos hôtes, plus au fait de la réalité sociale et politique de ce pays et se sentant responsables de notre sécurité, nous auraient bien gardé enfermés nuit et jour, nous gavant de tchorbas, de tajines, de boulettes et de leurs pâtisseries maisons que nous faisions glisser à l'aide de petits verres remplis au jet de la théière magique et inépuisable.

Nos enfants et les leurs se sont de suite entendus comme cochons en foire, non je déconne : comme "larrons" en foire. Ma fille de 15 ans voulait mordicus se convertir à l'Islam, elle qui avait craqué au bout d'une heure de catéchisme où elle s'était rendue d'ailleurs à sa demande, et trouvait le fils de la maison "beau, mais beau...", ce qui ne l'empêcha pas de garder son opinion par devers elle, apprenant qu'il était fiancé. Mon second n'aborda pas le sujet de son anticléricalisme viscéral. Il sentit intuitivement que ce n'était ni l'heure adéquate, ni le bon endroit. Quand à mon ainé, 22 ans aux olives, sa religion était faite, il fixait leur souriante dernière, 24 ans, avec des yeux brillants. Son sang lui grimpait aux joues à toute allure, puis redescendait aussi vite on ne sait trop où, enfin quoi : nul besoin de fluidifiant sanguin.

Il n'est pas dans mes habitudes de me mêler des affaires sentimentales de mes enfants. Ils ont toujours fait ce qu'ils voulaient, avec les personnes de leur choix. J'ai la faiblesse de leur faire confiance et de croire que leur tête est fixée solidement sur leurs épaules. Cependant, certains indices coopéraient à me faire soulever la paupière sur les agissements de ces deux jeunes excités. La petite avait passé la première et embrayé avec décision. Elle avait du talent : presque tous les soirs, elle nous faisait écouter de la musique de sauvages, enfin, du traditionnel tlemcénien, et nous faisait une démonstration de danse du ventre très très suggestive. Je dois à l'honnêteté d'avouer qu'elle nous invitait aussi, nous les adultes (elle nous appelait : "tonton"), et que j'ai par politesse répondu à ses invites, mais il me parait évident qu'il s'agissait de noyage de poisson, que le but de la manœuvre, la finalité de ses trémoussements étaient d'ordre séducteur et que la cible était mon fils. Elle lançait ses filets, c'est à dire qu'elle lui passait un foulard autour des hanches sans en lâcher les bouts, qu'elle utilisait pour le guider dans cette initiation aux chorégies orientales. C'était l'artiste de la famille. Elle s'accompagnait au tambourin, nous interprétant des chansons qu'elle avait composées, une, entre autres, sur ses parents, qui tirait des larmes à sa mère. Tout se passait au vu et au su de sa famille. L'ambiance semblait bon enfant mais le sens des réflexions en arabe bien sûr nous échappait.

Les deux jeunes, bien entendu s'isolaient dès qu'ils le pouvaient. Au cours d'une virée-pique-nique que nous fîmes sur la côte, je remarquai que la jeune fille cherchait des galets (ou des coquillages ?) avec frénésie sur la plage. M'approchant, curieux, je vis qu'il s'agissait de galets, tous en forme de cœur. "Ça se précise...", ainsi que songea Madame de Maintenon lorsque Louis XIV, qui la courtisait depuis un moment, la coinça dans un angle, son chibre à la main...

La perspective d'avoir une jolie fille de mon pays pour belle-fille ne me gênerait pas du tout, et Margotte non plus. Je dirais même que les mariages mixtes sont LA solution à tous les problèmes de racisme. Mais un couple, c'est un minimum de vision du monde en commun et la religion, en l'occurrence, n'a jamais été la tasse de thé de notre fils. Il pourrait changer, bien sûr, et il aurait fallu qu'il change, c'est la loi algérienne, pour pousser jusqu'au bout cette amourette.

Car si un algérien musulman peut, sans trop de problèmes, épouser une non-musulmane (catholique ou israélite), un non-musulman ne peut pas épouser une musulmane (sauf à ce qu'elle s'exile et coupe tous les ponts avec sa famille) sans se convertir à l'Islam. Il faut reconnaitre que c'est pas compliqué de se convertir à l'Islam : la circoncision n'est pas obligatoire et il y a une prière à savoir par cœur. Il y a même un site où on peut se convertir en ligne, on arrête pas le progrès. Mais bon.

Je vous rassure tout de suite, mon garçon a su se tenir, nous n'avons pas été lynchés par une horde de mahométans vengeurs de vierges, je suis toujours en bons termes avec les parents et à l'heure qu'il est, deux ans plus tard, la donzelle a fini par trouver babouche à son pied, avec un brave gars de par chez elle.

Je suis heureux pour eux, vous pouvez pas vous imaginer à quel point !

dimanche 21 novembre 2010

AndiamoC'était il y a... PFIUUUUU !

Tout d’abord, mes parents étaient de grands danseurs… Surtout devant l’buffet ! Ils faisaient aussi de la musique, en se tapant sur le ventre.

Acrobates un peu parfois, réussissant très bien le grand écart, afin de joindre les deux bouts ! Nous, on a jamais rien remarqué, passeque on avait « touçakifô ».

Elle était comme ça, ma mère : un peu le pélican de Leconte de l’Isle, qui s’ouvre le cœur pour refiler à becqueter à ses chiares. Sauf que le pélican de l’histoire, il était un peu con, biscotte quand les morfales ont bouffé Maman, qui leur apportera la graille le lendemain ?

Moralité : mieux vaut crever la dalle une journée, plutôt que toute une année !

Non, mais là, j’déconne, ça n’était pas la misère. Certes il n’y avait pas de bagnole, pas de télé, encore moins de téléphone à la maison, j’ai dû apprendre à me servir d’un bigornot (les noirs en bakélite ) à 13 ans…

Ils étaient munis d’un cadran qu’il fallait tourner afin de composer le numéro à trois lettres et quatre chiffres. Exemple : MONtmartre 16 40, ou TRUdaine 21 29, encore BALzac 00 01 : celui ci c’était le numéro de l’agence de pub Jean Mineur, dont on nous rebattait les oreilles au cinéma… Mais oui, le p’tit mineur avec sa pioche, allons un p’tit effort de mémoire ! Je l’ai connu en noir et blanc et je m’en souviens encore.

Ça ne nous gênait pas de ne pas avoir de télé, ni de téléphone. La voiture ne nous manquait pas, les potes étaient logés à la même enseigne, alors tout était pour le mieux.

Au coin de chaque rue, il y avait des « tas ». C’est sur l’une de ces îles au trésor que nous avions trouvé un vélo ! Ces dépôts sauvages étaient flanqués d’un superbe écriteau : « défense de déposer des ordures sous peine d’amende ». Immanquablement tout le quartier venait y déposer les trucs VRAIMENT inutiles.

J’ai bien écrit vraiment, car on ne jetait pratiquement rien, tout servait, comme me le faisait remarquer Françoise, on ne faisait pas de l’écologie, on faisait des économies, ce qui revient exactement au même : point de gaspillage.

Un jour : bonheur ! Putain, là sous nos yeux… Des masques à gaz ! Pendant la guerre, pas celle de 1870, je vous vois venir, non, non, celle de 40-45, il avait été distribué aux familles des masques en caoutchouc couvrant tout le visage.

Sage précaution de nos autorités qui avaient TOUT prévu… Sauf que les doryphores passeraient par la Belgique !

Des fois que les verts de gris aient encore eu à disposition un vieux stock d’ypérite* et qu’il nous le refile, comme ça en loucedé, histoire de nous faire passer le goût du pain noir et des topinambours.

Quelle connerie ! Quand on sait que l’ypérite s’attaque aux muqueuses et que tu te retrouves avec le derche en lambeaux, en moins de temps qu’il en faut à ton percepteur pour t’envoyer la p’tite feuille bleue….

Devant les gobilles : deux ronds en mica et, pendant sous le masque, une cartouche contenant des « granulés », sortes de filtres qui devaient neutraliser les gaz mortels… TIN TIN TIN !

Certains portaient une cartouche en bandoulière, reliée au masque par un gros tuyau caoutchouté, genre « Verchuren » car il était plissé comme un accordéon.

Aussitôt on se colle les groins sur la tronche, ça schlinguait vachement le vieux caoutchouc, le moisi, la choucroute pas fraîche, le clodo négligé, et la jeune fille pubère !

Et voilà qu’on refait la guerre des mondes de l’excellent H.G Wells, les pionniers de l’espérance, de Raymond Poïvet pour les dessins et - tenez-vous bien - Roger Lécureux, le Papa de Rahan pour le scénario ! Une page par semaine dans l’excellent « illustré » VAILLANT (honnêtement je viens d’aller réviser dans Wikipedia).

On ne connaissait pas les lasers, mais les fusils à rayons verts, ça oui ! On a ouvert les cartouches, reniflé les granulés qui puaient vachement le renfermé. Tu penses, depuis le temps qu’ils attendaient le gaz moutarde ! Bagarre à coups de granulés que l’on avait rebaptisés pour la circonstance : les cachous de la mort…

Qui était touché, était mort. Je crois bien que tout le régiment des envahisseurs était sur le dos en moins de cinq minutes. Mais dans tous les jeux d’enfants au bout de quelques minutes : « debout les morts, on remet ça ! »

J’ai ramené ma trouvaille à la maison le soir, le frangin aussi. Quand ma mère, qui en avait vu d’autres, nous a aperçus avec nos trouvailles :

- Non, mais vous trouvez qu’il n’y a pas assez de fourbi comme ça ? Allez me remettre « ça » où vous l’avez ramassé !

Mais pas inquiète de savoir si, par hasard, le fait de s’être collé ces saloperies sur la tronche allait nous refiler la « gigite », le « gobu », ou pire encore ! Confiante dans nos anticorps, elle l’était.

Nous avons fait semblant d’aller les déposer sur le « tas », puis à la première occasion nous sommes allés les récupérer, afin de les planquer dans un recoin de la cave connu de nous SEULS !

C’est lorsque nous avons déménagé bien plus tard qu’elle m’a révélé que cette planque, elle la connaissait elle aussi ! Mais bon, elle avait laissé faire… Ainsi sont les Mamans.


*L’ypérite tire son nom de la ville d’Ypres en Belgique, où il fut utilisé pour la première fois le 22 avril 1915, faisant 5200 morts dans les heures qui suivirent cette attaque au gaz mortel !... On n’arrête pas le progrès.




P S : Je viens d'acheter un joli recueil de contes, afin de l'offrir à l'une de mes petites fillottes.
Ce sont des contes originaux, très bien écrits, agrémentés de dessins magnifiques.
Ce livre s'appelle HIM LI CO et je vous le recommande vivement ! (pub entièrement GRATOS).

mercredi 29 septembre 2010

Saoul-FifrePutain de bourrasque

Tiens je m'aperçois que je vous ai souvent parlé de Marc mais que je n'ai jamais fait de billet spécifique sur lui. Nous avons été dans la même classe depuis la seconde, en 72, nous passions tout notre temps libre ensemble, tous nos WE... Après le bac, je travaillais en Normandie, je l'avais fait embaucher dans la même boite et, de retour sur Bordeaux, nous avons été en concurrence autour de la même fille, enfin, jusqu'à sa mort en 82, on ne s'est pas beaucoup quitté.

Pourquoi deux âmes se rencontrent-elles ? Je ne sais pas si c'est très constructif d'essayer de disséquer le processus, mais on peut essayer : je n'avais plus mon père et lui ne l'avait pas sous la main puisque son paternel avait installé femme et enfants puis les avait abandonnés. Son père était un espèce d'aventurier qui commerçait au Vietnam et qui s'était marié avec une métis de là-bas. Marc était donc quarteron, comme notre Françoise , mais moins compliqué qu'elle quand même comme origines ! Ce côté "issu des colonies" le rapprochait de mes ascendances "pied-noires", aussi.

À part ces deux points, il faut bien reconnaitre que nous étions fort dissemblables : son corps était un outil bien huilé dont il faisait ce qu'il voulait , ses nombreuses années de judo lui ayant donné des muscles, une souplesse et des réflexes impressionnants. Alors bien sûr, il m'a tiré dans ce sens et nous avons fait plein de sports ensemble, mais dès qu'il fallait un peu de ressort, ou dès que la vitesse s'accélérait, ou qu'il prenait de l'altitude, je l'abandonnais à son destin de risque-tout.

Si l'on excepte sa superbe pipe en forme de dragon que sa "veuve" m'a gentiment léguée, Marc m'a également laissé en héritage sa manière très particulière (ancestrale ?) de faire le riz.

Vous mesurez autant d'eau en volume que de riz. Vous la mettez à bouillir puis vous versez le riz dedans. Un tour de cuillère pour mélanger et vous posez la casserole sur le plus petit feu de votre cuisinière, réglé au minimum, sans oublier le couvercle. Marc utilisait pour ce faire une mauvaise casserole en aluminium fin. Quand il n'y a plus d'eau, mais vraiment plus, éteindre et laisser couvert.

En principe, si tout le fond de la casserole a attrapé, vous avez réussi "le riz à la Marc". Le meilleur, c'était bien sûr la partie grillée. Bon, ça se déguste avec "la sauce à la Marc" : vous prenez un Tupperware (c'était la mode) et vous melangez dedans moitié Nuoc-Mam, moitié jus de citron, et là j'aimerais pousser une grosse gueulante : le Nuoc-Mam des années soixante-dix avait du caractère, lui ! Rien à voir avec le liquide insipide banalisé pour plaire à vos palais d'occidentaux-chochottes que l'on trouve actuellement sous le même vocable !

Comme nous étions de voraces adolescents, nous rajoutions beurre et rapé.

Mais bonjour après, le boulot pour rattraper la casserole !

vendredi 20 août 2010

CaluneLe Bilune

Aujourd'hui, pour faire comme si on était à Cannes, aux Oscar, aux Gérard et j'en passe, je me propose de remercier quelques personnes - non mais ne soupirez pas comme ça, j'insiste. :-)

Je vais commencer par

  • ma mère, qui (non seulement m'a mise au monde, ce qui était un bon début, mais aussi) a toujours été fan des peintures, livres et chansons de
  • Rezvani ; du coup moi aussi, je suis devenue fan, surtout de ses chansons - et à Noël 2006, je me suis offert le début de l'intégrale qui paraissait depuis 2004. Et alors qu'à cette occasion, je googlais distraitement "Rezvani", voilà que je tombai sur un billet de
  • Choufifrounet - qui est un peu fan lui aussi (il en a ramené du monde sur blogbo par ce billet !). Comme une suite logique, je devins alors accro à Blogborygmes, grâce aux talents conjugués du sus-cité Choufifrounet et de ses acolytes d'alors,
  • Tant-Bourrin et
  • Manou. Un jour, Chou-SF organisa un vague concours où il fallait trouver des noms d'oiseaux de poissons je crois, et c'est ainsi que je me retrouvai à partir dans le Limousin, la Calunette sous le bras, lors de vacances de Pâques particulièrement estivales pendant lesquelles eut lieu le premier tour de ces fichues élections présidentielles dont le résultat nous pourrit la vie un peu tous les jours depuis... mais passons. Ce séjour dans le Limousin me permit de faire connaissance avec la smala SF, ainsi qu'avec
  • Anne et Bof, leurs cousins (disons simplement, pour simplifier) et néanmoins commentateurs réguliers sur Blogbo. Le coin et l'hospitalité limousine nous plurent tant, à la Calunette et moi, que nous revînmes souvent aux vacances passer quelques jours là-haut sur la butte, et c'est ainsi que j'eus l'opportunité inespérée (d'adopter un chaton et) de découvrir tout un tas de chanteurs français ignorés jusqu'alors - parmi lesquels l'excellent
  • Georges Chelon - ah, je vois que ça vous dit quelque chose. :-) A partir de là, ce serait un peu compliqué de tout expliquer dans les détails, mais en résumé, grâce à Chelon et ses chouettes chansons, par un hasard très heureux et très improbable qui tient de celui qui fait gagner le gros lot au joueur de loto un soir de vendredi 13, je rencontrai
  • Billy - qui apparaît depuis ici et là sur Blogbo, comme chanteur et commentateur occasionnel.

Et c'est ainsi que nous concoctâmes de concert, Billy et moi, celui qui est sans doute en quelque sorte le premier bébé qui doit la vie à Blogbo - ainsi qu'à toute la liste sus-énumérée, au moins.

Nous sommes heureux de vous présenter lo mai brave pichon dau monde[1] : le Bilune, qui fête aujourd'hui ses... deux semaines et deux jours tout pile. :-)



... et voici la première chanson qu'il nous aura inspirée...


Sortie du Bilune, et son entrée dans le monde

Téléchargeable ici

Notes

[1] merci à Bof pour la traduction !

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