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mardi 14 février 2017

FrançoiseFascination du chercheur...

Il y a 5 ans, je rédigeais pour un laboratoire une brochure sur "les essais thérapeutiques en cancérologie". Avec des interviews de malades fabuleux et de chercheurs hyper compétents, mais souvent un fossé entre les deux: les premiers regrettaient de n'être que des "cas" intéressants, sans possibilité d’exprimer leurs doutes, leurs craintes et leurs espoirs, les seconds exaltaient le courage des patients, façon polie d'esquiver le reste...

On me demanda d'interviewer le directeur de recherche du laboratoire, également directeur d'un centre anti-cancer. J'avoue y être allée à reculons, craignant de rencontrer un de ces mandarins sûrs d'eux, qui proclament que « tous les voyants sont au vert » parce que les statistiques de survie ont notablement augmenté, sans souci de ce que vivent réellement les patients.

A ma première question, au lieu de répondre du tac au tac comme un qui sait tout, le professeur Erick Gamelin prit trente secondes de réflexion. Ces trente secondes là ont tout déclenché. Sous la tignasse « Einsteinienne » de ce médecin, je découvris un scientifique d'une compétence remarquable, mais surtout un homme pétri d’humanité, humble, touchant... Il montrait une telle passion à parler de ses recherches et des malades qu'il aimait visiblement que je lui posai la question qui me taraude depuis que mon père, un amour, ma meilleure amie et une dizaine de proches sont morts de cancers autour de moi :

– Comment supportez-vous de côtoyer cette maladie 24h sur 24 alors que pour ma part, si on pouvait éliminer le mot "cancer" de la planète, je le ferai tout de suite?

– Madame, j'ai deux passions dans la vie: ma femme et le cancer.

Scotchée par cette phrase, j'ai envoyé au Pr Erick Gamelin certains de mes textes, et comme il lui ont plu, je lui ai confié mon envie d'écrire une fiction à partir de sa vie et de mon expérience de journaliste scientifique. Il a accepté et nous avons eu des entretiens passionnants, prolongés par de longs courriels lorsqu'il est allé poursuivre ses recherches aux États-Unis, puis devenus une véritable amitié, dont je dis en riant que cet homme m'a séduite par son intelligence, ses doutes et une dimension romanesque dont il n'avait même pas conscience avant que je la lui fasse découvrir !

En même temps que nous échangions me revenaient des souvenirs de mes trente ans de journalisme, fascination devant les mystères de la biologie, indignations devant les impératifs économiques et la logique de profit de l'industrie pharmaceutique qui prévaut parfois sur l'intérêt des et pour les malades.

A partir de nos entretiens et de mes archives personnelles, j'ai donc écrit un roman avec un héros que j'ai appelé Vincent, synthèse de plusieurs cancérologues que j'ai côtoyés, et de multiples personnages qui sortent le cancer de l'hôpital pour le replacer dans la vie amoureuse, amicale, sociale et parfois même politique. Erick Gamelin a vérifié la rigueur scientifique de ce que j'y ai écrit pour que sur ce point là il n'y ait aucun biais romanesque, aucune piste douteuse.

Ce n'est pas un livre "plombant" sur une maladie qui fait peur, mais l'histoire d'un homme fasciné par l'intelligence de la cellule maligne, à qui des malades confient leur vie et leurs secrets pendant des mois ou des années. Aucune autre maladie ne crée une telle intimité entre médecin et malade, mais peu de médecins sont surdoués pour vivre ce lien à nul autre pareil.

Une éditrice connue, qui a défendu le livre jusqu'au dernier cercle de lecture de sa maison m'a expliqué le refus catégorique de son directeur : " Il a peur de cette maladie, et vous allez avoir du mal à publier à cause de ça, mais c'est un très beau texte qui doit être édité". Elle ne croyait pas si bien dire : alors que les cancers touchent plusieurs milliers de personnes, plus les médecins, le personnel soignant, les proches… j'ai mis deux ans avant de trouver un éditeur que le sujet ne rebute pas, qui ne me réponde pas « Quel public visez-vous ? »

C'est à présent chose faite grâce à Kawa Editions qui n'a pas craint de publier en un an trois livres qui parlent des cancers sous des angles totalement différents. Récit d'une malade (« les Tétons flingueurs »), information sur tout ce qui peut aider à vivre durant et après la maladie (« Cancer sans tabou ni trompette ») et enfin cette « Fascination du chercheur » où je m'aperçois qu'avec un sujet très différent de ceux que je traite d'ordinaire, je parle encore de ce qui me tient à cœur : être l'artisan de sa vie quelles qu'en soient les difficultés, relier entre eux des faits pour comprendre ce qui se joue et penser aux humains en priorité.

La majorité des livres sur le cancer parlent de médecine et de malades. Celui-ci parle de la vie et des rêves que la maladie rend soudain urgents à réaliser.

Un peu de PUB pour le bouquin de notre amie Françoise...

mardi 24 janvier 2017

FrançoiseMais il est où, mon copain blanc ?

C'était il y a quelques années, dans un café à Poitiers où j'étais allée faire une conférence. Je discutais avec un journaliste noir ( je dis noir à dessein, car en Afrique où je suis née, on parlait des noirs et les noirs nous appelaient les blancs sans qu'il y ait dans ces appellations autre chose que la constatation d'une couleur de peau). Donc, disais-je, je racontais à ce journaliste noir mon enfance en Afrique, notamment au Sénégal dont je garde un souvenir ému car c'est là que j'ai appris à lire.

Dans ma classe, nous étions une quarantaine, 38 noires et 2 blanches, dont moi qui suis légèrement jaune et dois l'être pas mal puisqu'une fois rentrée en France on me traitait parfois de chinoise ou de citron pourri. Classe de 12ème, ça doit correspondre au CP. L'âge des élèves variait de 5 ans et demi pour moi à 14 ans pour la plus âgée des élèves qui avait dû s'occuper de ses frères et soeurs et accoucher de son premier né avant de songer à l'école. Autant dire que j'étais cajolée comme le bébé de la classe. Certains, depuis, m'ont asséné que me faire cajoler était un signe évident de colonialisme. Ben non, voyez-vous... Ma géopolitique de gamine ne mettait aucun rapport de domination dans mes amitiés avec ces copines. Elles me chouchoutaient parce que j'étais petite, je les admirais parce qu'elles étaient grandes, couraient très vite, avaient une peau magnifique et surtout, surtout, j'étais fascinée par la corne sous leurs talons due à la marche pieds nus qu'elle préférait nettement aux chaussures. De temps à autre, elles me montraient comment elles élaguaient le surplus de corne à l'aide d'une lame de rasoir, ce qui me remplissait d'admiration et d'horreur mêlées.

La dernière année d'Afrique, c'était au Niger où j'avais une très bonne copine noire, la fille d'un greffier de mon père si mes souvenirs sont bons. Nous jouions sous les fenêtres du tribunal en chantant "S'il vous plaît, des chewing-gum, s'il vous plaît" dans l'espoir qu'un adulte compatissant nous lancerait quelques tablettes de ces friandises rares qui avaient à l'époque une couleur grisâtre et un goût de carton bouilli sucré.

Et puis, fin juin 62, nous sommes rentrés en France. Indépendance des pays africains oblige.

"Tu as fait tes adieux à ta copine?" m'a demandé le journaliste.

- Ben non, on s'est juste dit "au revoir, bonnes vacances" parce que je n'avais pas réalisé que nous ne reviendrions jamais." En ce temps là, les histoires d'adultes n'étaient pas racontées aux enfants, et bien évidemment la fin des colonies était une histoire d'adulte.

Alors le journaliste- un Ivoirien- m'a raconté que son père, qui devait avoir quelques années de plus que moi mais pas beaucoup, avait été surpris, voire traumatisé à la rentrée scolaire suivante: "Mais il est où, mon copain blanc? Ils sont passés où, les blancs?" Laconiques, ses parents lui avaient dit: "Ils sont repartis dans leur pays" sans expliquer le pourquoi du comment, les indépendances africaines étaient évidemment une histoire d'adultes. Sauf que l'enfant noir s'est senti lâché, abandonné par ses copains blancs, et les copains blancs- en tout cas ça s'est passé comme ça pour moi- ont été refroidis par le mauvais accueil que leur réservaient les élèves français et longtem

nostalgiques de cette période d'enfance où ils allaient se balader en brousse avec ce seul conseil des parents: "Attention aux serpents et aux chiens enragés" et allaient goûter au village africain les ragoûts mijotés par des mammas chaleureuses qui leur offraient des arachides crues- un délice- pesées, calibrées, dans des boites de concentré de tomate vides.

Après cette conversation, je mourais d'envie de retourner à Zinguinchor et à Maradi pour essayer de retrouver des copines d'antan, et j'aurais aimé faire un documentaire qui se serait appelé "Mais il est où, mon copain blanc?" J'ai proposé le sujet, on m'a répondu "Qui veux-tu que cela intéresse? C'est vieux tout ça". Sans doute, mais à ces gamins noirs et ces gamins blancs, les histoires d'adultes ont gommé une part de leur enfance, et chacun sait qu'on ne guérit jamais totalement de son enfance.

jeudi 19 janvier 2017

BlutchBlanche-Neige et Monsieur Bizzini

Pour les apprentis suisses, les cours professionnels ont lieu 1 jour par semaine. Pour les mécanos c’est 8 semestres. Donc, pour une classe, autant de fois à renouveler le cheptel des profs.

C’était en 64, la révolution de mai 68 n’était pas encore agendée, autant dire que j’ai vécu les dernières années de gloire de l’enseignement « Ronds de cuir et blouses blanches ».

Blanche Neige

De blouse blanche on en a précisément eu une et de belle facture. Mais non, ce n’était pas un vieux barbon à qui il faut pardonner cette marotte de se déguiser en infirmier. On avait 18 piges et il n’en avait pas dix de mieux. Je n’ai de lui que le souvenir d’un exposé sur le rayon laser. Enfin, « exposé » est peut-être un bien grand mot pour la lecture ânonnée d’un article y relatif auquel il n’avait visiblement rien compris Son nom ? Aucune idée, on l’appelait Blanche Neige. Et il n’avait bien évidemment aucune autorité sur 30 ados…. Il enseignait la technologie et la connaissance des matériaux. C’était un cas, mais ce n’est pas de lui dont je veux vous causer.

Comme tous Suisses normalement constitué, Blanche Neige s’absentait chaque année des cours pour cause de service militaire. 3 semaines de guignoleries qu’il se démerdait pour ne pas les faire durant ses maigres 12 semaines de vacances. Dans la Suisse d’alors, un prof absent se remplace et la direction avait, à sa disposition, un bataillon de remplaçants au pied levé.

Donc, si vous me suivez toujours, Blanche Neige avait troqué sa blouse immaculée (mais non, Conception, reste tranquille) pour une tenue de combat (mais non MAM, je ne parle pas de ta tenue de soirée) nettement moins salissante pour ramper dans la boue. Nous sommes donc chaque fois dotés d’un remplaçant pour que Blanche Neige puisse se faire foutre de sa gueule par une bande de troufions soudards.

Première absence, on tombe sur une peau de vache qui nous prend en traître. À la fin de la première heure il distribue des feuilles et annonce  qu’après la récré, il y aura interrogation écrite sur la connaissance des matériaux. On ne nous avait jamais fait ce coup là alors on décide de faire la grève du stylo. Il y eut juste deux dégonflés. Explication « tendue » avec le prof qui annonce que contrairement à son habitude, il nous averti que la prochaine fois il y aura travail écrit et qu’il prendra la moyenne des deux notes. Avec un 5 en première séance, on ne pouvait donc pas espérer mieux que faire un 3, correspondant à suffisant. Tout le monde a bûché, même les plus cancres. Ce qui fut un prodige, car il avait choisi 85 pages du livre sur les matériaux, là où il y a la liste des divers métaux avec leur index chimique, poids spécifique et atomique, composition ,degrés de fusion et particularités diverses. Bref, une peau de vache comme on n’osait déjà plus en exposer dans le musée des horreurs éducatives.

Au retour de blanche Neige, on va lui expliquer qu’il faut annuler les premières notes et ne tenir compte de la deuxième que pour ceux à qui ça améliore la moyenne. Il cède juste avant la fin de la première heure de cours… Peut-être pour ne pas compromettre sa pause café.

Lors de sa deuxième absence, pour le même stupide prétexte, on nous colle un élève ingénieur. Un gars qui pour être compétent n’était ni stupide, ni déréglé du système d’évacuation. Mais ce brave garçon arrive, pour lui, en période d’examens et jette l’éponge pour la 3e semaine. Pour ne mettre personne dans la panade, il fourni lui-même son remplaçant :

Monsieur Bizzini.

Lorsqu’on arrive en classe, il est déjà assis à son pupitre, conscient qu’être le remplaçant du remplaçant ne va pas être une sinécure. Faut dire que notre classe concentrait les pires troublions de tout le collège. Notre réputation était déjà bien établie... C’est dire s’il était difficile d’être un élève sérieux dans cette ambiance... A l’arrivée des 30 sauvages … des 30 élèves, le ton est donné : « Tiens, encore un nouveau, on va lui dresser le poil. » Dit à haute et intelligible voix par une des grandes gueules de la classe.

- Bonjour Messieurs, Je vais procéder à l’appel comme j’ai l’obligation de le faire. Nous avons deux heures à passer ensemble pour des matières assez semblables. Je vous propose de les faire ensemble la première heure et ensuite de vous parler de ma visite de l’usine anglaise de Ford et de Londres que je viens de visiter. Si ce programme ne vous plaît pas, vous pourrez quitter la classe après l’appel, sans risques d’absence injustifiée. En face de l’école, il y a un bar-à-café pour attendre l’heure de votre dernier cour de la matinée. Pour ceux qui restent, je tiens à vous dire que je n’admets aucun chahut qui empêche ceux qui le veulent de travailler. »

Personne ne quitte la classe, il fallait voir si c’est vrai un prof pareil….

Les deux heures se passent comme annoncées et sans indisciplines, sauf qu’au fil des questions, on avait oublié sa visite de l’usine. La vie londonienne et les petites anglaises nous semblant plus importantes.

Fin de la leçon, le prof Bizzini se lève : « Le cours est terminé, je pense que vous y avez trouvé plaisir, puisque personne n’est parti et qu’il n’y a pas eu de chahut. Une dernière question avant de partir…. C’est qui qui voulait me dresser le poil ? » Dit en dévisageant l’élève, qui rougit mais n’assume pas. Toute la superbe qu’il a perdu auprès de ses con-disciples est passée au crédit du prof.

Le semestre suivant on a la surprise de voir que Blanche Neige crétinise d’autres classes et qu’on nous a attribué Monsieur Bizzini comme titulaire. Pour tous, c’est un semestre de rêve. En 6 mois, il a relevé la moyenne générale de la classe de 1,5 point, sur la vieille échelle de 5 (nul) à 1 (excellent) ; sans avoir eu besoin de lever le ton, de menacer ou de punir. Dans les travaux écrits qu’il faisait, il n’y avait aucune anti-sèche qui circulait et pour cause : Les livres de cours étaient autorisés sur la table, comme les règles à calculs et, pour les rares qui en avaient, les calculettes. Pour lui, il n’était pas nécessaire de mémoriser des tas de trucs et de formules, l’important était de savoir OÙ les trouver rapidement.

Je crois bien que c’est à dater de là que j’ai aimé apprendre. Sans forfanterie, avant j’étais bon élève par accident , après, j’ai VOULU savoir. Je crois bien que c’est une contamination inguérissable…

C’était en 1964. Grand Merci à ce prof d’exception qui m’a évité d’avoir l’impression de tout savoir parce que j’ai eu mon certificat et de stagner dans une ignorance à peu près complète...

mercredi 4 janvier 2017

AndiamoPrincipe de précaution : ras l'bol !

J'étais sec de chez pas humide, et puis ce matin une info à la radio m'a donné un sujet de bifton.

Un nourrisson décède après la prise d'un médoc à l'aide d'une pipette, il a fait ce qu'on appelle une "fausse route" c'est à dire que le liquide est passé dans la trachée au lieu de passer dans l'aesophage.

C'est épouvantable certes, mais combien de fois ai-je fait prendre de l'"Advil" (pub gratos), un antibiotique à mes petits enfants lorsqu'ils étaient malades ? Et ce à l'aide d'une pipette justement !

Bien sûr j'appuyais lentement sur le piston, retirant souvent la pipette afin de laisser au bébé le temps de déglutir.

Au nom du principe de précaution retirons tous les médocs qu'on administre à l'aide d'une pipette, supprimons aussi les voitures qui font cinq mille morts par an, les avions qui ne demandent qu'à descendre, les trains qui parfois déraillent...

Mais curieusement on continue à balancer des bombes sur des civils, femmes, vieillards, enfants, ça n'est pas dangereux une bombe, parfois elles n'explosent pas ! Une chance au largage, une chance à l'atterrissage.

Et puis surtout ne faites plus d'enfants, car un jour ils mourront !

Et merde à la fin ! Tous les jours j'entends à la radio comment je dois me comporter afin de vivre mieux, ne pas trop piccoler, arrêter de fumer, se coucher à heure fixe, nanani, nanana ! Je vais avoir 78 balais, et on me dit encore comment je dois régir ma vie ! Mais qu'ils s'occupent de leur cul...

Chaque année la municipalité m'envoie les consignes afin de ne pas me déshidrater au moment de la canicule (ta sœur), merci j'ai ma réserve de bibine au frigo, et un superbe climatiseur ! Pas écolo ? J'm'en fou !

Avec leurs conseils débiles, je ne sais pas si je vivrai plus vieux, ce qui est sûr c'est que ça va me sembler long !

vendredi 30 décembre 2016

Françoise2017, Année très chouette !

Beaucoup de gens écrivent un peu partout qu'ils espèrent que 2017 sera meilleure que 2016. L'an dernier, vu que 2015 avait commencé avec Charlie et s'était terminée par les tueries au Bataclan et sur les terrasses, on se souhaitait que 2016 soit meilleur que 2015. Le monde n'étant pas un fleuve tranquille, il y aura des événements tragiques, des morts de célébrités d'autant que plus le temps passe, plus elles vieillissent, des élections piégeacons, des accidents, des guerres, des injustices, bref tout ce qu'on lit dans les médias de plus en plus vite et partout.

On raconte que Louis XVI écrivit dans son journal "Rien" à propos de la journée du 14 juillet 1789. Pas parce qu'il ignorait les événements en cours, mais tout simplement parce qu'il revenait bredouille d'une partie de chasse. "Rien, pas une once de gibier", mais à deux pas de là, une révolution en marche. Comme quoi la réalité dépend aussi du regard qu'on porte sur elle.

En 2017 il y aura aussi des moments d'amour, des rencontres inattendues, des créations exaltantes, des malades guéris, des rires d'enfants, des bandes de potes, des soirées délirantes, des pêcheurs à la ligne, des lectures passionnantes, des plages désertes et d'autres bondées, des draps frais au coucher, des rivières paisibles et des montagnes à perte de vue, des trains à l'heure et des lettres annonçant de bonnes nouvelles... sans que le monde entier en soit informé.

Le malheur fait la Une, le bonheur se murmure, il reste intime, comme un secret bien préservé. Les anciens ne disaient-ils pas: "pour vivre heureux, vivons cachés"?

2017, année secrète, discrète, très chouette? C'est tout le bonheur que je vous souhaite.

(photo : Yehudra Edri)

lundi 19 décembre 2016

FrançoiseLe bel âge

Ils sont venus, ils sont tous là...

Pour une fois ce n'est pas un enterrement, mais un anniversaire. 90 ans, ça se fête, il n'y en a pas tant qui y arrivent, quoique... On compte ce jour là un couple de 93 et 90 ans, un ami d'enfance du cousin dont c'est l'anniversaire, 90 ans aussi: “On s'est connus, on avait 8 ans”. Quatre-vingt deux ans d'amitié, ça fait rêver. Du nord et du sud, du centre et d'ailleurs, les enfants, petits-enfants, arrière petits-enfants ont accouru, plus les cousins, cousines, germains ou issus de germains comme on dit, avec leurs conjoints officiels ou non. Quelques vieux amis aussi... En tout, 35 personnes. Ca fait du bruit, des embrassades, des rires... Ca fait du bien.

Le fils cuisinier a concocté un menu qui fleure bon les repas de famille des années soixante: à part les huîtres grâtinées, très nouvelle cuisine, il a préparé un vol-au-vent au ris de veau et pépites de foie gras, un filet de boeuf et son gratin de pommes de terre, châtaignes et champignons, et une omelette Norvégienne. Des siècles que je n'avais pas mangé ce genre de plats, qui me rappellent maman, qui aurait eu, si elle avait vécu, le même âge à deux mois près que son cousin aujourd'hui nonagénaire.

– Plus personne ne mange d'omelette norvégienne, confirme le cousin restaurateur. Ils réclament tous des crèmes brûlées ou des fondants au chocolat.

La mode sévit aussi en cuisine, mais quel bonheur de manger “vintage”!

Le cousin souffle ses bougies, il n'en revient pas d'avoir 90 ans et prononce ce nombre avec respect et incrédulité. Ceux de 60, comme de 40, le rassurent: eux non plus n'en reviennent pas d'avoir leur âge. Comme écrivait Benoîte Groult, on garde toujours vivaces en soi la petite fille, la jeune femme et la femme mûre qu'on a été...

Ma voisine de table a 88 ans, son compagnon sensiblement le même âge. Ils se sont rencontrés à l'adolescence, perdus de vue, puis mariés chacun de son côté. Devenus veuve et veuf, ils se sont retrouvés, les amours de jeunesse ont des racines profondes. Les amours au long cours aussi. Tel dont on sait qu'il a traversé, comme tout le monde, des remous conjugaux, évoque aujourd'hui son épouse, “merveilleuse, intelligente, capable de résoudre n'importe quel problème”. Il n'évoque pas sa beauté, encore moins leur intimité, mais cette admiration qu'il ne lui sans doute pas exprimée si souvent au cours de leur vie, et qui a forgé leur attachement. Elle, les yeux brillants, confie: “on a travaillé 68 ans ensemble, on ne se quittait pas.” Elle a dû en baver parfois, il raconte qu'elle n'était “pas toujours facile”, mais qu'importe à leurs yeux d'amoureux nonagénaires. En ce jour de liesse, les tempêtes et les creux que toute vie comporte sont oubliés ou mieux: relégués au rang de souvenirs que l'on chérit, parce qu'ils n'ont pas conduit au naufrage, quand aujourd'hui les amours semblent si fragiles, si jetables.

Ma voisine de table a connu le cousin quand elle avait 18 ans et lui 20. Leur adolescence avait traversé la guerre, l'incertitude sur l'avenir et les privations. Ils étaient J3, avaient droit à un peu plus de lait et de sucre que les autres, mais ça n'éliminait pas la peur, l'occupation, le couvre-feu et la faim. Au sortir de ce cauchemar, ils ont dévoré la vie avec l'explosion du jazz et de la fête. Années cinquante, be-bop et boogie-woogie: “On a tout dansé ensemble, j'adorais cela, dit-elle”. Ils évoquent des “surprise-parties” avec Claude Luter, les cocktails qu'ils buvaient... J'ai l'impression en les écoutant d'entrer dans un roman de Boris Vian.

Après le dessert, tandis que les enfants, les petits enfants et les arrière petits-enfants rassemblent leurs affaires pour reprendre la route, tandis que le soleil d'hiver décline et que tombe la brume du soir, les voilà qui entonnent “Oh when the saints, go marching in...” en affirmant que ce morceau est “la Marseillaise du jazz”. Ma voisine de table s'est levée, elle chante, ses hanches ondulent et ses pieds frémissent. Elle reprendrait volontiers un peu de boogie-woogie...

(ch'tiot crobard Andiamo)

mardi 6 décembre 2016

Oncle DanBonjour l'ambiance (10)

Bonjour l'ambiance (10)

Je vous disais donc la dernière fois, que mon « sommet » théâtral, je l'ai vécu dans le rôle du fils du Roi Henri dans une pièce historique de Shakespeare.

Ce personnage dont l’importance ne saurait vous échapper, je l’ai joué dans un vrai théâtre avec un vrai public. La pièce ne pouvait donc être jouée que par de vrais acteurs. Le théâtre de Dôle, puisque c’est de lui dont il s’agit, est un petit théâtre auquel il ne manque rien. Je l’appréciais de longue date, en ma qualité (une de plus) de membre des « Jeunesses Musicales de France ». Cette fois, ma qualité (encore une) de prince me fit découvrir l’envers du décor.

Je ne me souviens plus de mon texte, ni même si j’en avais un. Ce dont je suis certain, c’est que mon rôle consistait essentiellement à me faire botter le cul par le Roi, mon père. Ce dernier traduisait sur mon envers le courroux qu’il nourrissait à mon endroit. C’était un rôle très difficile. Je veux parler du mien, naturellement. Non pas que je cherche à dévaluer celui du Roi, mais je le répète, c’était un rôle très pénible. Surtout pendant les nombreuses répétitions. D’autant plus que le Roi, pour mieux s’imprégner de son personnage, refusait toute simulation.  Est-ce le trac ? Est-ce la nervosité des jours de « première » ? Toujours est-il que le Roi n’exécuta pas le coup de pieds au cul qui m’était destiné dans les règles de l’art. Pourtant, mon fessier était bien là où il devait être. Pour ma part, je tenais mon rôle à la perfection. J’attendais avec la désinvolture de celui qui est sûr de son coup, mais sans laisser-aller excessif. Le coup porta trop bas, et ce furent les deux joyeuses qui réceptionnèrent malencontreusement l’escarpin royal, et s’en trouvèrent fort attristées. Le choc m’expédia sine die dans les coulisses où j’évitai avec l’agilité et la présence d’esprit qui me caractérisent lorsque je viens de recevoir un coup de pieds au cul, une grosse caisse et une batterie de tambours placées là par un futur chômeur.

Je garde de l’unique représentation de cette pièce de Shakespeare des souvenirs tellement pénibles qu'il ne m'est possible de les livrer qu'à doses homéopathiques.


Après cette très regrettable rencontre avec l’escarpin royal, il y avait une scène dans cette pièce durant laquelle le roi discutait avec un autre personnage dont j'ai oublié le nom et le reste. Cette scène avait cela d'intéressant pour moi qui tenais le rôle du fils du roi (ainsi qu’il me semble vous l’avoir déjà dit) qu'elle ne faisait pas intervenir le fils du roi. 

Je pouvais donc rester tranquillement dans les coulisses, ce qui me convenait parfaitement, ma timidité faisant que j'ai toujours été plus à l'aise dans les coulisses que sur le devant de la scène.

Cela est vrai aujourd'hui et l'était bien davantage quand j'avais quatorze quinze ans. Or, j'avais précisément environ quatorze quinze ans lorsque l'on m'avait demandé de tenir le rôle du fils du roi, rôle prestigieux que je n'avais pu refuser malgré mon amour des coulisses.

Mais quelque chose survient toujours pour vous faire le coup du lapin au moment précis où vous vous sentez le mieux disposé envers l’Univers.

Dans cette pièce de Shakespeare, ainsi que le précédent incident l'a montré, le roi est souvent de mauvaise humeur, a mauvais caractère, s'énerve pour un oui ou un non, se fâche et d'une manière générale s'agite beaucoup. Je pense qu'il en était ainsi dans la discussion qu'il avait avec cet autre personnage dont j'ai oublié le nom et le reste. Sans doute a-t-il tapé du pied, fait vibrer les planches ou bousculé la tenture qui servait de décor. Toujours est-il que le blason royal, agrafé à celle-ci, perdit l'une de ses attaches et bascula.

Je ne sais si vous avez déjà eu l'occasion d'observer un blason à l'air penché ou de méditer sur l'effet qu'il peut produire sur les témoins d'une telle anomalie. Il semblerait que cela soit insupportable pour une majorité de personnes car un type qui se disait régisseur me demanda d'aller redresser le blason, toutes affaires cessantes, pendant que se déroulait la scène.

Chaque fois que je le rencontrais, j’éprouvais le désir de me glisser dans une cave et d’y rester planqué jusqu’à ce qu’on sonne la fin d’alerte, exercice difficilement réalisable dans les circonstances où je me trouvais. J’eus beau regarder le quémandeur comme la goutte qui fait déborder le vase, il n’en démordit pas. Je sentais bien qu’il ne me tenait pas en grande estime et ne s’attendait guère à ce que je gagne à être connu.

Je me débattis comme un poisson hors de l'eau face à cette idée saugrenue. L'apparition du fils du roi au milieu d'une conversation qui ne le regardait pas n'avait aucun sens et constituait peut-être – je ne l'ai pas vérifié – un contresens historique. J'allais mourir de honte sous le regard des spectateurs en exécutant ce travail de valet de pied ou de page de cinquième catégorie. J’aurais accepté avec joie la tâche de terrasser un dragon aux narines incandescentes, mais redresser le blason du Roi dans ma position : jamais.

Rien n’y fit. Pire, d’autres figurants, craignant sans doute de devoir se substituer à moi si je ne me laissais pas convaincre, se joignirent au quémandeur pour me harceler davantage.

Et bien, je peux vous affirmer que je me trouvais dans une situation qui donne à sa joie de vivre un sacré coup dans les tibias.

Je dus me résoudre à rassembler mon courage et à me laisser pousser sur la scène. Mon attitude évoquait celle d’un gamin qui, cueillant des pâquerettes sur la voie ferrée, vient de se prendre l’express de 20H42 dans le bas du dos. Aveuglé par les projecteurs, je devinais dans l’insondable obscurité de la salle, une foule de spectateurs dont les cerveaux se transformaient en autant de points d’interrogation.

Le Roi lui-même, surpris par mon incompréhensible intrusion, interrompit sa fâcherie et il se fit un grand silence comme si l'univers tout entier retenait son souffle pour mieux concentrer son attention sur ma personne.

Je compris soudain ce que veulent dire les gens qui écrivent des bouquins quand ils parlent du temps qui suspend son vol. Tant bien que mal, je parvins à pas comptés jusqu’au blason et entrepris de remettre en place l’agrafe défectueuse.

Pendant ce temps, le Roi, faisant mine de m’ignorer, avait repris son courroux et son exaspération envers son interlocuteur là où il les avait laissés.

Vous pensez bien, séduisantes lectrices et lecteurs perspicaces, que l’agrafe ne se laissa pas faire et que je ressemblais à du personnel de maintenance incompétent travaillant pendant les heures de représentation.

Pulvérisant tous les canons du ridicule, je quittai la scène et le blason comme on quitte les toilettes, c'est-à-dire dans l’état où je les avais trouvés.

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