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mercredi 1 février 2006

Saoul-FifreVnyz, la vénusienne

Ces nuits en wagon-lits sont toujours trépidantes et agitées, mais cette arrivée en Trans-Italie-Express vaut son pesant de rayons dorés grâce à la longue traversée du pont sur la lagune, à la petite aurore. Les détails se dévoilent, repoussant le drap de la nuit lentement, s'étirent, faisant craquer leur engourdissement et Venise, j'allais dire Vénuse, comme la déesse née des eaux, se redresse sur la brume de son sommeil.

Le terminus de Santa Lucia est un commencement. Après avoir acquis l'indispensable coupon qui permet de sillonner sans limite la Génialissime, ses îles vassales et la barrière littorale du Lido, à bord de ces véloces vaporetti, et s'être débarrassé de nos bagages à l'hôtel, nous avons entamé de dévorer des yeux cette ville intacte, entière, de l'arpenter, la sillonner, la ratisser. En Octobre, pas de Mostra, pas de Carnaval, pas de régates, pas de Biennales. Le nombre des sectateurs et des amoureux transis de la Bellissime a suivi un sévère régime amaigrissant. Tout est moins encombré, on arpente des fondamenti déserts, les queues sont inexistantes, les gens calmes, accueillants...

Venise est une ville sympa, vivante, bruyante, tapageuse, courageuse et bien réelle. Si côté musée il y a, il ne m'a pas gêné : Venise est belle, elle le sait, elle est fière et ça lui fait manifestement plaisir de montrer ses appâts. Mais sans affectation ni sophistication. Son maquillage reste discret, naturel . La beauté, oui, mais pas au prix de la vérité ! Ses tenues révèlent plus qu'elles ne cachent ses formes véritables, au risque (et à l'honneur !) d'en revendiquer les imperfections qui nous la rendent unique et touchante. Une grande fente dans le mur d'abside d'une église ? Elle pourrait la couvrir d'une de ces grandes toiles dont elle a à revendre au Maître ? Et bien non ! Voici ma fente, et prenez la comme vous le voulez...

Venise dont le travail est incontestablement de se vendre aux touristes. Mais il est tout aussi exact qu'elle accepte, si nous voulons bien nous en donner la peine, de nous laisser gracieusement toucher

"les p'tits bouts d'sa peau, bien cachés,
que les autres n'ont pas touché..."

Sa cuisse légère ne s'alanguit vénalement qu'entre San Marco et San Polo, en passant par le Rialto, finalement... Dans le Canareggio, le Dorsoduro, la pointe du Castello, qui représente en surface la grande majorité de Venise, la boutique de Max ou de "vétro c'est trop" se cantonne au rôle d'exception qui confirme la règle de son absence. Les prix y sont aussi beaucoup plus "per résidenti solamente" : j'ai été me faire recommander une bonne bouteille de "grappa vecchia" dans une boutique spécialisée du Rialto (affichée 29 €)... puis suis allé acheter sa jumelle dans une petite épicerie de quartier... à 17 € ! On a crapahuté comme des malades : tout ce qu'on peut voir en 3 jours on l'a vu. C'est un vrai labyrinthe, surtout la nuit où on a pas le soleil comme repère, on s'y paume très facilement mais ça fait partie du "giocho" ! 3/4 jours de plus et je pouvais m'installer comme guide, mais en fauteuil roulant...

Après un dernier petit aller-retour nocturne en vaporetto (dans les 2 places si convoitées du "nez" du bateau) pour rendre moins poignant l'arrachage à Venise, nous sommes enfin rentrés. Le serveur du dernier resto, qui nous avait visiblement à la bonne, nous a lancé "a domani" puis, devant nos airs contrits, "a Natale, allora...".

Le quai de départ de Santa Lucia n'est pas une fin. C'est une certitude de retour. On revient toujours à Venise, c'est "bateau" de le dire. On y revient en pensée, au pire, et cette infidélité sera la dernière à nous fouailler sur notre lit de remords.

Petite bibliographie sans importance :

"Fables de Venise", album de BD de Hugo Pratt (Corto Maltese)
"Voir Venise..." et "...et mourir", 2 tomes de la série BD des Largo Winch. (Franck/Van Hamme)
"La mort à Venise" de Thomas Mann
"La reine Albemarle, ou le dernier touriste" de Jean-Paul Sartre
"Le voyage en Italie", de Jean Giono...
"En observant Venise" de Mary Mc Carthy
"Voyages en Italie" de Chateaubriand
"Mémoires" de Casanova
"Venises" de Paul Morand

lundi 30 janvier 2006

Saoul-FifreMa dernière séance

Nous ne sommes pas des fanas de cinéma, nous voyons grand max cinq ou six films par an. Je déteste sortir de la salle en pensant "Bof...", donc on sélectionne. Le grand écran est super, mais je préfère encore repérer sur un programme télé un film mythique, un film qui a résisté au temps, et filer le voir chez ma belle-mère...

Bon, faut dire qu'en province, les salles ne prennent aucun risque. Ce sont des américanades qui sont sûres de faire du chiffre, les quelques sorties matraquées à la télé, soutenues par la promotion de grandes vedettes. Pas question de programmer de temps à autre des auteurs à la rentabilité non garantie ou des rediffusions. En plus, à Salon-de-Provence, qui est notre ville de proximité et le siège de l'Ecole de l'Air, c'est "films de pilotes avec des conflits internationaux avec Tom Cruise ou Schwarzennegger obligatoires".

À Paris et dans les grandes villes, j'imagine que le concept de salles d'Art et d'Essai existe encore, non ?

En plus, ce qu'est devenue l'ambiance des salles obscures a plutôt un effet repoussoir sur un garçon bien élevé comme je le suis. Le papier-cristal qui enveloppe les bonbons "Mi-cho-ko" ou "La pie qui chante", c'est fait exprès pour me faire crisser les dents, ou je suis parano ? Les gros porcs qui mangent leurs pop-corns la bouche ouverte, en en faisant tomber sur vous ? Ceux qui s'amusent à souffler dans la paille de leur coca pour faire des bulles, au lieu d'aspirer ? Ceux qui commentent ? Ceux qui racontent la suite aux copains, vu qu'ils l'ont vu déjà trois fois ? Les soupirs des anges ? Vous avouerez que, sans être misanthrope (et je le suis), ya de quoi préférer rester chez soi devant un bon livre...

En ce moment, je suis dans "Comment je suis devenu stupide", de Martin Page, que nous avait conseillé Audalie. Excellent. Merci du tuyau, Audalie !

D'abord, dès l'entrée dans la salle, je flippe. A l'allure dingue où il surfe sur son ticket, tout le long de son étroite pellicule qui plonge dans un cinéma, j'ai toujours la trouille qu'il se casse la gueule, l'autre Jean Mineur, là !!

Enfin, je finis par surmonter mes phobies, et, suivant les avis éclairés de Byalpel , on est allé voir "Je vous trouve très beau". Et ben, David, je te remercie du bon plan ! Profondément. Merveilleuse histoire qui finit bien, mais de justesse. J'ai pleuré deux fois : à la scène de la cabine téléphonique, et à la fin. Qu'est-ce qu'elle joue bien, la Eléna !! Ça, c'est un prix d'interprétation féminine crédible. Pas comme Valérie Lemercier dans "Palais Royal" (il paraît qu'elle est nominée ! J'adore Lemercier, mais pas dans "Palais Royal" !). Michel Blanc est très bien aussi. Il a la sobriété de jeu des vrais grands.

Je relaie donc la chaîne et conseille ce super film très émouvant à tous. Et particulièrement à Anténor . Cela peut sembler paradoxal, puisque l'histoire se termine bien, mais il lui suffira de partir cinq minutes avant la fin, et ses sado-tendances seront comblées. Par contre, peu après le début, il va y trouver une scène du plus pur anténoresque. Je suis bien certain qu'il achètera le DVD dès sa sortie pour se passer l'extrait en boucle. Le plouc se retrouve veuf, et n'a bien sûr jamais daigné jeter un œil sur la machine à laver. Le CHAT se retrouve enfermé par erreur dans la machine à laver à HUBLOT FRONTAL. Une dose trop importante de POUDRE À LAVER y est versée, et un mauvais PROGRAMME est lancé. La MOUSSE envahit la BUANDERIE, et le chat MEURT.

Notre Maréchal (que son nom et sa descendance - non, pas sa descendance - soit béni mille fois) aurait-il participé à l'écriture du scénario ?

samedi 28 janvier 2006

Saoul-FifreT'en mets trop, Paul !

La ferme était complètement perdue dans la jungle périgourdine. Celle où tous les étangs se ressemblent et ne peuvent servir de points de repère. Celle où les frondaisons des grands chênes cachent le soleil et font tourner le pauvre gars égaré en cercles concentriques. Ce qui n'est pas une mauvaise technique pour trouver les cèpes. Celle où les sangliers descendent la nuit en bande vers les habitations, juste pour faire du dégât, parce qu'ils s'ennuient, mais aussi un peu pour se nourrir. Celle où les anglois viennent disputer aux indigènes les gentilhommières, granges et autres anciennes maisons de serfs, en faisant monter les prix, dans l'unique but de venger le roi Richard Cœur-de-lion. Celle où les oies et les canards se mettent à claquer des dents quand arrive la froidure de décembre et les odeurs de cuisine.

Enfin, c'était une ferme "paumée de la vie", comme dit ma fille. C'était notre île déserte, et je la parcourais dans tous les sens, ivre d'odeurs, de sensations, d'images, de bruits. L'été, je squattais l'étang, en améliorant d'une année sur l'autre le modèle de mon radeau, en bois, avec des bidons vides comme flotteurs, et je me baignais. Ou j'organisais des courses entre des bateaux-bouts-de-bois dans le lit du ruisseau. L'hiver, si il gelait, on allait y glisser, avec cette pointe de nervosité à l'idée de la glace à l'épaisseur aléatoire. Le reste du temps, je m'enfonçais dans les bois, je construisais des cabanes dans les arbres, je faisais du vélo pour aller voir les potes, jusqu'à des quarante bornes aller-retour. On glanait, on glanait un max : des champignons, des châtaignes, des fraises des bois, des poires sauvages, des raisins, des mûres, des fleurs de sureau, de chèvre-feuille... J'étais capable de rester une heure immobile, à contempler le trafic d'une fourmilière, ou de mettre au point des tests de QI pour dindes. Je me dilatais la rate à les regarder tendre le cou dans un trou de grillage, essayant d'atteindre un tas de maïs proprement inaccessible, alors que la porte était grande ouverte, à vingt centimètres sur leur droite...

Je me suis gorgé de senteurs, j'ai stocké des couleurs, des bruissements, des appels au plaisir. La Nature m'a hypnotisé et m'a dit : "Tu m'appartiens.". Dans les lacs de ma maîtresse, j'étais un esclave heureux.

C'est dans ces eaux-là que mon père est mort, que ma mère a bradé la luxuriance et qu'elle nous a emmené dans ses bagages à la grande ville. J'ai envahi cette ville à la "donc il rotait" . Ce miracle immobilier m'était personnellement réservé de toute éternité. Je l'ai découverte comme un jeune enfant encore endormi se jette sur ses cadeaux sous le sapin. Ça réveille brutalement. Cette complexité des plantes et des bêtes, qui m'était fraternelle, je la retrouvais ici. La ville est aussi une jungle et la Vie est partout. À la Grande Bibliothèque du centre, tous les livres du monde m'attendaient, et tous les quotidiens, hebdos, mensuels, en lecture gratuite ! Déjà à l'époque, une discothèque de prêt existait... La ville regorgeait de Galeries de peinture. Comme il y avait marqué "Entrée libre", j'entrais. Quand je tombais à l'heure du vernissage, ça me faisait mon goûter. J'épluchais tous les entrefilets de "Sud-Ouest" et je me pointais à l'assemblée générale des cinéastes du Dimanche ou des potiers d'Art et d'essais, et partout où était précisé "Ouvert à tous". Une fois par an, le Grand Théâtre faisait "Portes Ouvertes" pour un de ses opéras. J'ai squatté les permanences rupines ou turlupines de tout l'éventail des partis politiques. Je m'infiltrais dans des réunions anarchistes où l'on voulait tout casser, en force, à sec, et chez les non-violents qui préféraient y mettre une noisette de vaseline. J'allais frapper aux portes des sectes, j'assistais à leurs sabbats, à leur "parlers en langues", à leurs baptêmes/concours de tee-shirts mouillés. J'acceptais des invitations dans des familles de barjots qui ont sûrement dû faire la Une quelques années plus tard. Je m'asseyais rue Ste Catherine et je regardais le défilé de mode de l'humanité, fasciné par tous ces visages, et avide de saisir comment se goupillaient les connexions dans nos crânes condamnés d'avance. Je rencontrais mes semblables et ils se demandaient après quoi ce gosse de 14/15 ans plutôt silencieux pouvait bien courir.

Puis j'ai fait la connaissance de Toulouse, cette porte de l'Espagne et du Sud, avec ses patios, ses repas de quartiers dans la rue et le rythme lent de ses quais. Je suis monté à la capitale, si belle, si nerveuse et si diverse. Si grande que le moindre déplacement prend un temps fou, et si grande gueule que les politiques y ont élu domicile. Je suis à l'aise à Marseille, où mijote à gros bouillons l'énergie de ceux qui y arrivent plein d'espoir, où la Bonne Mère couve de son regard protecteur tous ses petits, tout autour. Ou à Limoges, où les maisons de granit, et leurs habitants du même, résistent courageusement aux gels, à la gnole-maison et aux mini-déluges quotidiens.

La ville m'épate, m'embrouille et me refile ce qu'elle veut. Et j'adore me laisser faire. Si j'ai choisi de travailler à la campagne, c'est aussi pour le plaisir de retrouver la ville comme au premier jour, la redécouvrir sans me lasser, prendre mon bain de foule et repartir sans déception. Sur le long terme, je sais que je craquerais. Au jour d'aujourd'hui, il y a une seule ville dans laquelle j'accepterais l'immersion à plein temps, et je vous en parlerai une autre fois.

jeudi 26 janvier 2006

Saoul-FifreLe chèque de Mamie

J'ai reçu ce matin un coup de fil de ma môman, légèrement colère de ne jamais recevoir de mercis, pour son chèque traditionnel de Noël, de la part de ses petits enfants, qui sont également mes enfants. Alors que ses autres petits enfants (elle en a 13 en tout), ceux de ses autres enfants (vous suivez ?), s'acquittent dans les temps de cette tâche respectueuse.

- Tu comprends, si ça leur fait pas plaisir, moi j'arrête tout de suite !
- Tu as raison, Maman !
- Et si ça leur fait plaisir, j'aimerais être au courant...
- Il faut pas se laisser marcher sur les pieds. Je suis entièrement d'accord avec toi, Maman !
- Bon, alors, tu leur transmets.
- Je n'y manquerai pas. Je pense que ton argument sera suffisamment convainquant.

Donc ce soir, je me suis fendu d'un discours moraliste au cours du repas. Qui a dû faire mouche puisque voici la lettre qu'a pondu le plus rapide, ou plutôt le plus inquiet à l'idée de voir les rentrées baisser, au prochain Noël.

Chère Mamie,

J’écris cette lettre pour différentes raisons ( excuses, remerciements, nouvelles entre autres ). Il me semble bon de commencer par les remerciements, ainsi je voudrais te remercier pour le cadeau de noël qui sera bien entendu utilisé pour faire tout plein de choses intelligentes (pour moi en tout cas ) achat de différentes babioles, musique, jeux, bonbons etc…… . Je continue cette lettre par les non moins importantes excuses pour le peu de nouvelles de ma part, mais je vais essayer de me trouver des raisons, tout d’abord peut-être est-ce par manque de temps, tu connais le légendaire attachement de mon père pour l’ordinateur ainsi que mon plus grand amour pour les jeux vidéo que pour l’écriture de lettres et c'est l’une des raisons majeures de mon retard, ensuite pour ne pas être le seul en faute je voudrais souligner que mes parents ne sont pas innocents non plus et il est certain que si ils ne me poussaient pas à rester enfermé dans ma chambre à bosser comme un esclave, j’aurais plus de temps pour faire parvenir des lettres (voilà pour la vengeance personnelle).

Et maîntenent passons au plus gros travail j’ai nommé les nouvelles !!!

Il me semble d’usage de faire un petit rappel sur mon humble personne (et bien oui vu le peu de nouvelles qui te parviennent de l’Est). Donc je disais : j’ai eu ce début d’année mes 17 ans et je suis désormais en 1ere, les profs jugeant qu’il m’était possible de passer au stade supérieur. Ils ne se doutaient pas de l’erreur monumentale qu’ils étaient en train de commettre. C’est ainsi que je me suis retrouvé dans une classe assez sympathique mais où le niveau scolaire me semble plutôt élevé et donc, résultat, où je me noie petit a petit. Enfin, enfin, tant que le cœur y est, et je ne suis pas encore redoublant, ça me laisse le droit d’espérer. Du côté familial, il me semble que tout est plutôt calme, mis a part une constante rivalité à propos d’un certain ordinateur qui semble opérer sur nous un sorte d’obsession constante.

C’est ainsi que je me retranche dans mes derniers retranchements, j’ai nommé : mes amis que je retrouve a peu près toutes les semaines, et avec lesquels je peux passer du bon temps (sorties , concerts , jeux )

C’est sur ces notes de bienséance et d’amitié que s’achève ma lettre et que je te souhaite toutes les bonnes choses possibles , je t’embrasse et j’essaie de te promettre des lettres plus rapprochées dans l’espace-temps.

M.

mardi 24 janvier 2006

Saoul-FifreL'homme AUX tracteurs

L'autre jour, Tant-Bourrin a parlé de moi comme étant "l'homme au tracteur" . Je n'ai pas réagi. Si je devais relever toutes les conneries qu'il peut sortir quand je ne suis pas là pour le corriger, je passerais ma vie à ça... J'ai 2 tracteurs. Un Avto, c'est vrai, et c'est un engin extraordinaire : comme les russes ont vécu un peu en dehors du monde, bien protégés par leur rideau de fer toujours baissé, ils ont développé des technologies complètement différentes et originales. Un paysan monte sur un tracteur, il sait le conduire, ils se ressemblent tous. Il monte sur mon Avto, à moins d'en avoir eu un lui-même, il est complètement paumé. Et puis, ça caille, en russie ! L'Avto a un refroidissement par air pour ne pas geler, ya pas de durites caoutchouc à la con qui traînent, pour pouvoir le dégeler le matin en faisant un feu dessous, ya 2 batteries en série pour avoir du 24 volts, tout est surdimensionné et ça tourne très bien à la vodka. Et bientôt au colza vu que la dernière loi agricole le permet. Je suis ravi-ravi de mon Avto.

Mais comme je suis pour le dégel des relations Est-Ouest, j'ai aussi un Ford. Et ma chienne Jade préfère le Ford, et c'est un euphémisme. Moi, je me marre : vous vous souvenez, dans « Le meilleur des mondes » ? « Que FORD soit avec vous » ? Dans le livre de Huxley, le principe divin est issu de la civilisation technologique la plus dure et la plus inhumaine qui soit et donc Dieu a pris le nom de FORD, le pionnier du travail à la chaîne sectorisé en Amérique. Nous sommes les deux pieds les deux mains dedans : le Dieu de Jade, c’est mon tracteur Ford ! Et Ford soit avec le malheureux qui y touche sans permission. Mon tracteur est TABU et la malédiction des sept cercles s’abat instantanément sur le téméraire qui ose violer ce sanctuaire sacré : le démon du dernier cercle lui saute au fondement. Les rares personnes à l’avoir entrevu en parlent, des tremblements irrépressibles dans la voix, comme d’une espèce de chien des Baskerville aux yeux rouges…

Une seule exception : mézigo ! Heureusement qu’elle se rappelle que je conduisais l’engin lorsque nous l'avons adoptée ! Quand même ! Je serais dans un brave purin, sinon ! Interdiction de bosser. Quoique. Je devrais pouvoir finir par m’y habituer… Très certainement, même. De toutes façons, il me resterait l'Avto. Celui-là, alors, elle s'en branle avec un os. Elle aurait le droit de vote, je suis sûre qu'elle voterait Bush car il est républicain. Quelle mentalité...

« Ô, Jade ! Viens ici qu’on cause un peu ensemble ? Alors, comme ça, tu laisses approcher n’importe qui de ton Dieu vénéré ? T’es virée, passe au bureau toucher ce qu’on te doit ! Ô ! Fais pas cette tête ! Laisse béton, je déconne… »

Ha ! C’est quand même bien agréable de rêver un peu de temps en temps… Non, en fait la religion de Jade est polythéiste. Chef d’atelier de son Olympe : le Ford. Elle m’accepte un peu comme son Hermès, le conducteur du char du soleil. Margotte, cela va sans dire, mais cela va mieux en le disant, est Aphrodite au teint de lis…

Mais n’en déduisez point que nos enfants sont tous hermaphrodites !?

vendredi 20 janvier 2006

Saoul-FifreCoucou, Chutney !

Je ne vous ai jamais parlé de Track. Je ne vous ai jamais non plus parlé de traque, ni de trac, ni de trackball, ni de trackback, ha si : j'ai jamais compris à quoi ça servait, un trackback, il me semble plus poli de laisser un commentaire sur le billet en question, avec un lien qui renvoie à son propre article qui parle du billet en question. Mais j'ai peut-être pas tout saisi. De toute façon la question n'est pas là. Track est notre lama. Lama-track, vous avez saisi l'astuce ? Allez-y, lâchez vous, je ne vois aucun inconvénient à ce que vous disiez que c'est nul, comme blague : c'est mon fils aîné qui l'a trouvée. Bon, son père s'appelant Nif (vous avez saisi l'ast...), c'était quand même assez facile à trouver, la manif, la matraque, bof... Allez, c'est tout de même sympa, on va tous rigoler un bon coup, ça va lui faire plaisir ! Sa mère s'appelait Nonégra, on voit tout de suite de quel genre d'élevage chelou ils sortent, ces bestiaux-là q:^)

Vous avez raison, l'origine est pas claire : ils sont nés dans la ferme de Guy Gilbert, le curé des loubards. L'alliance de la fourche et du goupillon, vous voyez le style ? Gilbert emmène transhumer ses loubards dans les préalpes. Il est entendu que pour recadrer quelqu'un, lui confier un animal est très efficace. Un animal, c'est un être vivant. S'en occuper donne à la fois de la force à ses propres racines instinctives, et un but, un rôle, une responsabilité. Un animal peut sauver quelqu'un.

Track est un enfant de lamas éducateurs de rues. Il est super sympa. Enfin, il faut pas l'embêter. Quand je suis allé le chercher chez nos amis, ils ont rameuté tous les costauds qu'ils connaissaient, on l'a coincé en force dans une haie de cyprès, on lui a mis un licol, et on l'a presque porté dans mon fourgon. Tout le monde en avait marre, la capture avait été assez éprouvante pour les ravisseurs, l'un d'entre eux a même fait un malaise cardiaque grave (authentique) le lendemain. J'ai donc dit : "C'est bon, on se débrouillera tout seuls pour le sortir". Au revoir et merci. Et je pars avec le Track, en liberté dans le fourgon. Pas content, le Track. Il a jamais voyagé, et si ça ne tenait qu'à lui, il ne voyagera plus jamais. Il serait mieux assis, dans les virages, mais il veut savoir où on va. Il approche sa tête de celle du chauffeur et le chauffeur, c'est moi. Je connais mes Tintin en amérique du sud par cœur et je sais donc que ces bêtes mordent, crachent et n'aiment pas qu'on leur fasse des grimaces. Je me mets donc à lui parler d'une voix douce, lui jure que je ne suis pas le capitaine Haddock, même si je sens le whisky, et que je compte l'emmener dans un paradis où tout le monde va l'aimer à la folie. Quand je sens chez lui des velléités agressives, je donne des coups de volant de droite et de gauche, pour le déstabiliser. Les gens qui me suivent klaxonnent, mais ces neuneus ignorent que je suis titulaire d'un permis spécial transport de lama.

L'arrivée fut rock'n roll. Je recule le fourgon vers l'entrée du parc, ouverte par Margotte, et là, je regrette un truc, tout d'un coup. Tant que la fine équipe de rugbymen tenait Track, on aurait quand même pu en profiter pour lui enlever complètement le licol ? Là, il pendouille, il risque de se coincer quelque part, enfin de provoquer un accident, il faut lui enlever. J'entrouvre doucement la porte arrière, et, pendant que je tiens la corde et la porte, pour qu'il ne s'échappe pas, Margotte défait la bride. La bête est rien moins que tout sauf contente. Elle ne supportera pas que la séance de toute à l'heure recommence. À peine la lanière défaite, tout va très vite. Se sentant libre, il se jette contre la porte, je me mets sur le côté, mais Margotte qui est pile dans son axe tombe en arrière, et Track lui saute dessus. Tout s'est passé si rapidement qu'on a pas trop compris ce qui s'est passé, mais rien de grave... Sur le moment, on ne le savait pas : l'œil de Margotte a grossi instantanément, et j'ai appris ce jour là qu'un œil pouvait grossir autant. Enfin : l'espace entre la bouche et le sourcil de droite. Et dans les jours qui ont suivi, qu'il pouvait passer par autant de jolies couleurs, différentes et successives. Donc, je prends le temps de fermer la barrière, pour éviter une catastrophe supplémentaire, et nous partons aux urgences, où on nous confirmera qu'il n'y a RIEN d'atteint. Juste impressionnant. Nous aurons juste également à gérer les regards méprisants, dubitatifs ou suspicieux à mon encontre, et ceux plein de commisération vers Margotte.

Aujourd'hui, tout est oublié, tout est pardonné. Track est un garçon adorable, il vient nous manger dans la main, il est très bien éduqué : il ne crache jamais, n'a jamais mordu et n'a pas l'air d'avoir envie de nous quitter. Dans les livres, ils disent que les lamas, sans prendre d'élan, peuvent sauter à pieds joints une hauteur de 1 m 50. Nous étions un peu inquiets car c'est la hauteur du grillage de son très grand parc de 2 hectares. Et ben, il sauterait même pas un tabouret.

C'est une bête fascinante. Il a une démarche suprêmement élégante, le menton toujours à l'horizontale, comme une diva, et une tête très mobile, qui suit tous les mouvements des gens, des autres bêtes, avec beaucoup de vivacité et d'intérêt. Alors que chèvres et moutons ont des comportements de zombies blasés (un peu moins les chèvres), lui est d'une curiosité rare. Son poste de surveillance est l'endroit le plus élevé du parc. De là, il a la vue sur les alpilles, au loin, sur le château de C., sur le plateau de V. Tout ce qu'embrasse son regard est à lui, et le roi n'est pas de sa famille. Il fait partie de ces bêtes évoluées qui, comme les humains, enfin vous, je sais pas, mais moi, oui, font caca toujours au même endroit. Chiens et chats, je pense qu'il faut les dresser pour qu'ils y arrivent. Naturellement, instinctivement, tout simplement parce qu'ils trouvent ça plus propre, je ne vois que le cochon et le lama, pour faire ça. Julie se retient et attend qu'on la sorte, pour faire ses besoins. Quand on lui ouvre, le matin, elle trotte le plus rapidement qu'elle peut, en grognant, et va poser sa crotte dans son petit coin. Tout comme nous. Enfin, vous, je sais pas.

Track, on l'a embauché sur casting pour jouer le rôle du débroussailleur. Et ben, il s'intéresse pas trop aux épineux. Encore un mythe qui s'effondre. Peut-être quand il aura plus que ça à grignoter pour se désennuyer ?

Certains d'entre vous, je le sais, je vous connais aussi bien que si je vous avais fait, auraient préféré que je mette sur le blog une photo de Margotte avec son œil au beurre noir gros comme un œuf de canard, au lieu de celle de track.

Et ben vous pouvez vous mettre le doigt dans l'œil. Ou, par dérogation spéciale, pour celles et ceux qui préfèrent, dans le cul.

mardi 17 janvier 2006

Tant-BourrinLa vie de Jean Benquet

Il est émouvant parfois de se plonger dans le miroir des ans et d'imaginer la vie de nos aïeux. De sentir à quel point tout a pu basculer, être bousculé en une poignée de générations.

Jean Benquet est un de mes ancêtres. Plus précisément le père de la mère de la mère de ma mère, ce qui en fait mon arrière-arrière grand-père. Cinq générations à peine, et pourtant...

Et pourtant, vous prononcez son nom avec votre langue abâtardie, affadie, modelée par la télé où le parler sans accent prime sur la mémoire des mots qui chantaient. Jean Benquet ne se serait même pas retourné si vous l'aviez appelé "Jean Binqué".

Non, il était natif de Saint-Julien d'Armagnac, natif de cette terre landaise où les mots sont plus rugueux que l'écorce des pins. Si vous vouliez qu'il se reconnaisse lorsque vous le nommiez, il fallait prendre l'accent du cru et prononcer "Binquétt", avec un accent aigu et en faisant bien sonner le "t" à la fin.

Mais de toute façon, vous auriez sûrement eu du mal à faire grande causette avec lui : il se sentait sûrement plus à l'aise dans le patois local que dans le français, ce patois local que l'on a parlé jusqu'avant-guerre et même encore un peu après, que je me régalais d'écouter quand ma mère, ma tante et ma grand-mère l'utilisait entre elles encore dans les années 60, ce patois mélodieux aujourd'hui mort à jamais.

Jean Benquet est donc né à Saint-Julien le 27 décembre 1845, dans une famille de modestes paysans, comme l'étaient tous les paysans de ce bout de terre. Quelle a pu être sa vie durant les vingt premières années ? Mystère. Sûrement a-t-il eu la vie banale de ceux qui grattaient la terre pour s'en nourrir, une vie simple, laborieuse, dure.

Et puis il eut un jour vingt ans, et la Nation vint le chercher, comme elle venait chercher tous les hommes de son âge, pour qu'il aille la servir pendant sept ans. Sept ans de service militaire, le tarif normal à cette époque, sauf si votre père était bien placé et fortuné et pouvait vous acheter un bon numéro, qui exemptait de ces obligations.

Le père de Jean Benquet n'était pas riche. Il partit donc faire son service militaire dans la marine. Ce fut, sans doute, le seul vrai voyage qu'il fit de toute sa vie, en ces temps où l'on était chevillé à la terre que l'on labourait.

Il partit donc en 1866, alors que l'expédition mexicaine de Napoléon III touchait bientôt à sa fin.

Il écrivit avant d'embarquer cette lettre à ses parents, cette lettre qui est depuis devenue une précieuse relique familiale.

   
Cliquez sur les images pour les agrandir

L'écriture est maladroite et difficile à déchiffrer. Je me suis risqué à essayer d'en transcrire le contenu, sans en modifier la mauvaise orthographe. J'ai simplement ajouté un peu de ponctuation pour rendre le texte plus lisible.



Le 2 décembre 1866

Mes cherparen

Je vous fait des nouvelle pour vous faire savoir que je suis en barqué en mexique le dis de se moi prochain et je sui tré conten de partir. J’en sui tré bien conten. Je sui en bone santé et je désire que la votre se trouve de même. Je sui tré conten.

Je sui bien nourri et bien habillé. J’ai 4 chemises de coton, deu vèste, deux chapeau et 4 tricots, deux sout (?), deux bas et 4 claleson (?) et deux blouse en laine et en toille et deux bonets et écharpes et jen sui tré conten de partir. Suis avec des camarade du pays et vous feriéz de nouvelle a mes parce que je parte et vous paires et mères, frès et seurs aiyé du couraje. Moi j’ensui tré conten. Biens des complimens à tous les maison (?). A dieu paires et meres, ne me fase pas des reponce jeus qua que soijé rendu en france. Je sui tré conten.

Adieu pour la vie

Bénqet Jean

Je sui tré bien portan et jai darjan encore. J’ai encore 40 franc. Je gagne 6 franc le moi pour la poche.

Adieu



Bien sûr, il serait facile, du haut de notre morgue d'enfants privilégiés que la vie a choyés, de sourire avec condescendance devant tant de maladresses d'écriture et de petites préoccupations matérielles. Mais je me sens au contraire étrangement ému à cette lecture, ému par ces mots simples, ces mots des pauvres gens, comme le chantait Ferré, ému par cette volonté manifeste de rassurer ses parents, derrière laquelle on devine un attachement informulé.

La joie du partir, si souvent répétée dans la lettre, était-elle authentique ? Sûrement : il n'avait jamais quitté sa terre et un tel voyage était une aventure inespérée pour lui. Il n'y a qu'à voir la fierté avec laquelle il pose à cette époque devant l'objectif du photographe dans son uniforme.

Mais les liens familiaux, les liens avec la terre devaient aussi souffrir de l'éloignement. La peur de ne jamais revenir ou de ne jamais revoir les siens.

Qu'advint-il par la suite ? Difficile de le savoir en détail.

L'expédition mexicaine fut sûrement très courte pour lui, puisque la France retira ses dernières troupes du Mexique en mars 1867. Il dut donc continuer à servir la marine sous d'autres cieux.

Et puis il y eut la guerre de 1870. Sans doute dut-il y participer. Et puis la guerre fit long feu, s'acheva en déroute en janvier 1871. Beaucoup de soldats regagnèrent leurs foyers, favorisant ainsi la propagation de nombreuses épidémies, dont la variole, parmi une population souffrant déjà, dans certaines régions, de famine.

Jean Benquet ne fut peut-être pas de ceux qui revinrent cette année-là, puisqu'il était encore conscrit jusqu'en 1873. Mais sans doute l'épidémie passa-t-elle par la terre qu'il aimait tant : sa mère, Catherine, mourut le 4 avril 1871, et son père, Jean, fit de même trois jours plus tard.

Adieu paires et meres.

Adieu pour la vie.

Quelle fut sa vie ensuite ?

Je ne connais que très peu de choses sur ce qu'il vécu. Il se maria le 18 février 1879 avec Jeanne Dalies. L'acte de mariage n'est pas signé par lui : une mention marginale indique qu'il ne pouvait pas le faire. Sans doute ne savait-il donc pas écrire, comme nombre de gamins des campagnes nés bien avant que Jules Ferry n'oeuvre pour l'éducation de tous. La lettre ne doit donc pas pas être de sa main, mais écrite sous la dictée par un camarade de troupe.

Ensuite eut-il sans doute la vie des petites gens, des travailleurs de la terre, avec ses joies, ses peines, et ses jours de labeur routiniers.

Une vie longue.

En 1930, il pose devant l'objectif de l'appareil photo avec une petite fille de deux ans sur les genoux : son arrière-petite fille, ma mère.

Lui qui était né sous le règne de Louis-Philippe, avait connu l'expédition napoléonienne du Mexique, connu la guerre de 1870, la guerre de 14-18, allait mourir à 90 ans, en 1936, dans les échos du front populaire.

Adieu l'aïeul.

Adieu Pépé.

Pour la vie.

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