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lundi 6 mars 2006

Saoul-FifreI velo you

Depuis tout petit, j'ai un petit vélo dans la tête et un petit vélo sous les fesses. J'avais 4 ans quand mon oncle, le frère casse-cou de ma mère, m'a appris cet équilibre magique du deux-roues.

- "Vas-y, pédale, appuie plus fort, regarde loin devant, n'aie pas peur, je te tiens sous la selle...", me disait-il alors qu'il m'avait lâché depuis longtemps, tout en courant à côté de moi.

Force de la confiance contre force de l'imagination. Force de la vitesse contre force de la gravité. Force de la liberté contre force de la peur et de la sclérose.

Mon vélo a été le compagnon fidèle et assidu de mon indépendance. Dès 6 ans, par tous les temps, je me tapais 6 kms le matin et 6 kms le soir pour aller m'instruire à l'école de mon petit village. 2160 kms par an. Plus les promenades et les visites aux copains. Plus tard, comme mon collège était à 15 kms, j'allais attendre le bus de ramassage à 3 kms de chez nous, le chauffeur n'osant s'aventurer plus avant dans ces terres sauvages, cet officiel trou du cul du monde. Mes potes pèquenots et moi laissions les vélos derrière une maison inhabitée dont l'auvent nous servait d'abri-bus quand il pleuvait. Nous les avons toujours retrouvés le soir. Heureuse époque ou heureuse région sans voleurs.

Je ne sélectionnais pas mes amis sur des critères de distance et de praticité des visites. Ils habitaient tous à au moins 20 bornes. 40, aller et retour. Ça ne m'a jamais freiné. Je faisais le trajet dans l'après-midi, et ça ne nous laissait que peu de temps pour nous amuser, car les horaires des repas étaient stricts , chez nous.

Le vélo abolit presque les distances. En tout cas, il multiplie par 4 celles que l'on peut parcourir à pieds, et pour bien moins de fatigue. Au vélo de supporter notre poids, et à nous de le faire rouler. Dans les descentes, l'énergie à fournir est nulle. Dans les plats, elle est ridicule, c'est du moulinage pour entretenir l'élan, et dans les côtes, on avance quand même 3 fois plus vite qu'à petons, pour environ le même effort. Chargé comme un baudet, ou à vide, sur des routes de plaine ou de montagne, vent debout ou dans le dos, mon vélo a toujours couru ses 20 kms à l'heure. Quand je comptais me déplacer, je savais le temps qu'il allait me falloir.

Ce funeste été 69, ma sœur avait donc 16 ans, et moi 13, Maman, sachant que Papa allait mourir, et pensant sans doute nous éviter une situation traumatisante, nous dit d'aller chez son frère, style "Allez voir là-bas si j'y suis". Les 100 kms en question, nous avons donc mis 5 heures à les dérouler. Mon record de distance dans une journée, je l'ai réalisé bien plus tard : Bordeaux-Toulouse, je me suis arrêté un peu avant Toulouse, 220 kms, j'ai donc pédalé pendant ? Oui : 11 heures, je voulais juste vérifier que vous suiviez.

Ado à Bordeaux, avec mes potes aussi "vélo" que moi, ou tout seul, la plupart du temps, j'ai sillonné les environs, la plage, mais aussi la cambrousse, en dormant n'importe où, dans des granges, des cabanes. Ça c'était le week-end ou les vacances, mais bien sûr j'allais au lycée en vélo, et j'écumais la ville itou.

Vers mes 16 ans, ma mère s'est imaginée qu'un ado digne de ce nom se devait d'avoir une Mobylette. Je n'avais jamais prononcé ce mot devant elle. Son salaire lui autorisant sans problème l'adhésion aux "Pauvres mais Travailleurs", je me faisais un devoir de ne rien lui demander du tout. Mais bon. Je suis allé me renseigner sur les marques, j'ai opté pour un Peugeot 103, et elle me l'a offert. Ça ne m'a jamais branché. J'ai fait un voyage en Espagne avec un pote, on alternait son vélo et mon vélomoteur, et puis j'ai tourné un an avec ce Peugeot, et puis je l'ai revendu. Avec l'argent, je me suis payé le beau vélo de randonnée dont je rêvais, avec un grand grand pignon pour les côtes, un tout petit pignon pour aller vite dans les faux-plats descendants, avec des grandes sacoches pour mettre mon matériel de cuisine, une petite sacoche de guidon pour y glisser mes chères cartes IGN, un bidon pour y mettre mon lait concentré sucré, et puis quand même des petits garde-boues plastiques pour les jours de pluie.

Même une fois dans le monde du travail, j'ai continué à me déplacer en vélo. Je ne voulais pas passer mon permis. C'est le couteau mis sur la gorge par mon patron, que je l'ai enfin passé, à plus de 22 ans : j'en avais absolument besoin pour exercer mon boulot. Il m'est arrivé que les boites ou je bossais fassent faillite. Ayant peu de besoins, j'avais toujours assez d'économies pour ne pas rechercher de suite une place : je reprenais mon biclou, et repartais user les routes de cette France que je trouve si belle. C'est une façon exceptionnelle de la découvrir. On entend tout, on voit tout, le pied est vite mis à terre pour discuter, approfondir, se baigner...

Je rendais visite à la famille, qui m'accueillait souvent l'air de dire : "Deviendra-t-il jamais sérieux ?"

J'allai aider les paysans du Larzac à dépierrer leurs champs. C'était leur manière de dépister les espions des Renseignements Généraux. Un espion ne dépierre pas un champ pendant une semaine (c'était plutôt des rochers !). Une fois le test passé, ils m'ont donné un travail plus intellectuel : dépiauter le cadastre. C'est là que j'ai vu de mes yeux que le député UDF (ancêtre de l'UMP) De la Malène, et d'autres, connaissant le projet d'extension du camp militaire, avaient spéculé à la hausse en achetant des centaines d'hectares. Comme chacun le sait, ce fut une très mauvaise opération pour eux q:^D !

J'allai manifester contre le surrégénérateur Creys-Malville. On m'accueillait, on me demandait :
- "Tu es avec qui, dans quelle association ?"
- "Avec personne. J'ai lu les journaux, je viens vous aider."
- "Ha bon : t'es un "inorga"..."
- "Ouais, ça y ressemble : j'ai toujours été assez inorganisé..."
Malville 77, c'était 14-18. Il pleuvait à seaux, on était dans la boue jusqu'aux genoux, sous les tirs tendus des grenades défensives. Un CRS a eu la main arrachée par sa propre grenade. Un manifestant est mort. Je me souviens d'un Grüne allemand, une baraque avec un manche de pioche, qui hurlait :
- "En avant ! Avancez, bandes de lâches ! On est plus nombreux qu'eux ! Il faut rentrer dans la centrale..."
Les grenades lacrymo explosaient tout autour. Mes yeux commençaient à piquer. Je me suis dit : "Mon petit, il est temps de rentrer, Maman va s'inquiéter...". Avec plein d'autres débacleurs, nous avons échoué chez un paysan sympa et sympathisant, qui nous a séché, nourri et logé...

La France, je l'ai parcourue en zig-zags bien comme il faut. Je n'ai jamais su combien de kms j'ai pu faire, ce n'était pas vraiment le but de la manœuvre, mais une année où j'avais été particulièrement sur les routes, j'avais eu la curiosité de les compter à la louche : j'avais trouvé 8500 kms. De bonheur, de souvenirs, de diapos...

Là, j'ai un VTT. Tous les 1ers de l'an, je prends la ferme résolution de remonter dessus régulièrement. Avec le prix du pétrole, gonflé à l'hélium comme il est, cette année c'est peut-être la bonne ?

mercredi 22 février 2006

Saoul-FifreLe romancier

Pour nos 10 ans de mariage, un couple d'amis "de mon côté", sachant que j'aimais les vieilles choses, m'a offert un adorable Romancier, très beau, qui m'a donné beaucoup de plaisir. Je sens un frémissement de la foule, et des murmures, là-bas sur la gauche, dans le coin des anti-esclagistes, mais je vous jure qu'ils n'ont pas lieu d'être. Le propriétaire initial de ce "Romancier" ne lui donnait pas le même sens que vous. Son Romancier est un carnet de format A5, à la couverture cartonnée et joliment relié. Ses feuillets étaient vierges, sans carreaux, et il y fut écrit sur la page de garde, dans une police bigrement bizzaroïde, sans doute de son cru :

ROMANCIER
DU
SIEUR LESTANG

Le dit Sieur Lestang y ayant copié à la plume, jour après jour, les paroles des "romances" qui lui plaisaient ou qu'il avait l'habitude de fredonner, et dont il trouvait pratique de conserver le texte à portée d'œil. La calligraphie en est classique, telle que toute personne un peu éduquée la pratiquait à cette époque, mais les enluminures qui décorent chaque texte dénotent un sens esthétique certain. Le bougre avait un bon coup de crayon de couleur.

Chose qui m'a fait tiquer dès l'abord : aucun auteur n'est cité. Ce monsieur Lestang serait-il poète à ses heures, et ces "romances" seraient-elles ses œuvres ? Certaines inélégances, des naïvetés, un lyrisme outrancier dans la facture me l'ont fait croire au début, jusqu'à ce que j'identifie formellement un des textes : "La légende de la nonne", du grand Hugo. Une romance, assurément, mais que venait faire cette belle histoire racontée de main de maître, au milieu de ce fatras d'envolées patriotiques, de bouts-rimés gnangnans, et de cantilènes bien-pensantes ? Car si les dessins prouvent une application sympathique et non dénuée de talent, les textes, remplis de poncifs et de sentiments à l'eau de rose, sont clairement datés "14-18" !

Une certitude, néanmoins : Lestang, l'ami des poètes, a eu une note déplorable, en dictée, à son certificat d'études !

Fleur des champs, brune moissonneuse
aimait le fils d'un laboureur.
Par malheur, la pauvre glaneuse
n'avait à donner que son cœur.
Elle pleurait. Un jour, le père
lui dit : "Fauche ce pré pour moi.
Si dans trois jours, il est par terre,
dans trois jours, mon fils est à toi !"

Refrain
Le doux récit que je vous chante
est un simple récit de cœur,
ou une histoire bien touchante
que m'apprit un moissonneur.

En l'écoutant, la pauvre fille,
crut mourir de joie et d'Amour.
À l'instant, prenant sa faucille,
elle travaille nuit et jour,
prête à défaillir à l'ouvrage,
elle priait avec ferveur.
Dans la prière, du courage,
la prière donne du cœur.

Sur ses pas, une marguerite
jette des regards attendris.
Il faut tomber, pauvre petite,
car mon bonheur est à ce prix.
Prête à tomber, la fleur naissante
jette des regards si touchants
qu'elle fit pleurer l'innocente
comme une simple fleur des champs.

Le troisième jour dans la plaine,
parait le riche laboureur.
La pauvre fille, pâle, hors d'haleine,
ses yeux respirent le bonheur.
"Je t'ai trompé, dit-il, ma fille,
mais pour toi, voilà dix écus...

Et le soir, sous la faucille,
Expirait une fleur de plus.

lundi 20 février 2006

Saoul-Fifre39°2, le soir

Marc (par respect pour les protagonistes, les prénoms ont été modifiés), notre fils de 17 ans, a été fiévreux samedi soir. Ouais, Saturday night fever, mais nous, ça nous fait pas du tout rigoler, c'est notre enfant, on est inquiet, quoi... En pleine nuit, Margotte l'entend tousser comme un malade, et puis délirer en dormant. Elle va voir ce qu'il en est, et voilà le dialogue (elle a tout marqué car notre homéopathe est friand de nos rêves...) :

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dimanche 19 février 2006

Tant-BourrinUne médaille d'argent de plus pour la France...

Non, malgré le titre de ce billet digne de l'Equipe, il ne sera pas question ici de jeux olympiques, mais plutôt de quelque chose qui m'est arrivé cette semaine au boulot. Quelque chose d'inattendu et d'assez violent.

Voilà, mardi dernier, je bossais, comme à mon habitude, d'arrache-pied et générais par mon travail, au bas mot, un million d'euros de chiffre d'affaires à l'heure pour mon employeur (par commodité, j'ai arrondi au million d'euros supérieur).

Et puis, au milieu de la matinée, j'ai eu l'idée d'aller vérifier dans ma case à courrier s'il n'y avait rien pour moi.

Une grande enveloppe à mon nom m'y attendait bien sagement. Je l'ouvrais. Une lettre. M'informant que...

Et là, ce fut comme une gigantesque mandale dans la gueule. Comme un direct du droit que je n'aurais pas vu arriver. Boum. Sonné pour le compte, compté par l'arbitre dans les cordes.

L'arbitre : le temps.

"Et le direct du droit en question, c'est quoi ?" me demanderez-vous...

Eh bien, c'est ça !


Cliquez sur l'image pour l'agrandir

Oui, vous avez bien lu : 20 ans !!!

Punaise... En un éclair aveuglant je me suis revu, timide et emprunté, passant mes entretiens d'embauche. Et d'un seul coup, je me retrouve avec vingt balais de taf dans le placard, sans m'en être rendu compte... Et je vois défiler devant mes yeux les contrats d'assurance-vie, les couches Confiance, les clubs du troisième âge, les contrats obsèques, les problèmes de prostate, les prothèses auditives, les cartes vermeil, les dentiers mis à tremper le soir...

C'est fou ce que je me sens vieux, tout d'un coup ! Je vais aller me préparer une camomille...

samedi 18 février 2006

Saoul-FifreCe coin

J'avais 20 ans, je travaillais dans une imprimerie, à me colleter avec de gros monstres de machines, des contre-colleuses, des ensacheuses thermiques, des massicots... J'aime bien les machines, c'est fiable, faut juste pas laisser traîner ses doigts là ou il faut pas, et ça, je sais faire. Une infime partie du cerveau bosse pour gérer sans faille les quelques automatismes nécessaires, mais l'esprit reste libre de vagabonder où il veut. Bon, le travail à la chaîne, je n'aurais pas fait ça toute ma vie, mais là, ça me convenait à la perfection. J'écrivais mes chansons dans la tête, et le soir, je les recopiais au propre.

Patrice, un pote musicien qui était encore en terminale, m'en a habillé quelques unes de musique. On en a même envoyé une à un concours, sur cassette. Elle n'a bien sûr pas été retenue, mais, 30 ans plus tard, je trouve que je mériterais bien le 1er prix de la prophétie réalisée q:^) ! Je ne pense pas un traître mot de cette plaisanterie, mais quand même, on dirait bien que je savais déjà à cette époque ce que je voulais !

Vous serez étonnés
des précisions
qui vous seront
divulguées !

Amour, beauté et gloire,
quels que soient vos espoirs,
de la voyance pure
en direct-live du futur <8^D !!

Tous ces Marabouts-arnaqueurs peuvent aller réenfiler leurs boubous ! Voici le Docteur Saoul-Fifre, le seul dont les prédictions se réalisent à 112 % !!!

Je connais bien ce coin :
je l'ai vu dans mes rêves,
au flanc d'une colline,
dans cette terre ferme
où le soleil qui point
a la force des Hommes libres,
et où le vent qui souffle
nettoie notre regard.

Je sais où il se cache
des riches jeunes filles
qui vivent sans soucis,
sans violence, sans cris.
Elles mangent leurs sardines,
s'allongent nues à son ciel bleu
et laissent en partant
des odeurs de la ville.

Je connais cet endroit
et j'irai droit sur lui
sans me tromper d'une herbe.
En cueillant des couleurs,
épinglant mon regard
à un jupon de toile brune,
en demandant chemin
à l'écorce du chêne.

Je le reconnaîtrai
et il me sourira,
m'offrira ses amandes
à croquer dans le foin,
et puis tous ses oiseaux
mettront leurs notes à ma musique...
Son sol me soufflera
des vers d'un autre siècle...

vendredi 10 février 2006

Tant-BourrinA tout petits pas...

L'autre soir, voyant que je me préparais à sortir pour acheter du pain, Tant-Bourriquet est allé prendre ses chaussures dans le placard, les a posé dans l'entrée et s'est assis à côté.

Le message était clair. Il a beau, du haut de ses deux ans, avoir un langage encore très limité (trois mots de vocabulaire environ), il sait en revanche très très bien se faire comprendre. Là, en l'occurrence, ça voulait dire : "je veux me promener moi aussi !"

C'est pourquoi cinq minutes plus tard, je marchais à tout petits pas dans la rue, tenant dans ma main la toute petite main d'un tout petit bonhomme, tout engoncé dans son petit manteau dans la fraîcheur de la nuit peu à peu tombante.

Rien n'est plus merveilleux que le spectacle d'un tout petit qui découvre lui-même le spectacle de la rue : cet émerveillement qui brille dans ses yeux, cette tête qui se retourne sur une voiture qui passe ou sur le petit chien-chien à qui sa mémère fait prendre l'air, ce regard neuf porté sur tout, ce regard que nous perdons avec l'âge, qui se blase, se voile d'habitudes.

Et puis, sur le chemin du retour, toujours à tout petits pas, alors que je levais les yeux, j'ai aperçu notre demi-reflet dans une vitrine. Le demi-reflet d'un père et de son fils de deux ans. Et en arrière-plan, derrière la vitre et mêlé à cette image, un univers de marbre et de regrets inscrits dans l'émail. "A notre père". "A notre ami". "A notre petit ange". "Regrets éternels".

Froid soudain. J'ai dû serrer un peu plus fort la tiédeur de la petite main de Tant-Bourriquet et fuir la vitrine des pompes funèbres, fuir à tout petits pas cette vision de vie commençante et de mort enchevêtrées.

Froid. Savoir qu'un jour la petite main tiède sera froide elle aussi. Froide comme l'est aujourd'hui la main du petit garçon de la photo, dans l'album de famille, ce petit garçon, mon père, à peine plus grand en 1925 que ne l'est Tant-Bourriquet aujourd'hui.

Froid de culpabiliser d'avoir tiré Tant-Bourriquet d'un néant cotonneux et confortable et de l'avoir jeté dans le grand piège de la vie. Froid de n'avoir pas la foi.

La foi. Cette lumière aveuglante qui aide à traverser la vie, à ne pas se poser trop de questions, à ne plus trembler dans le noir. J'envie ceux qui l'ont et savent la garder. Je l'ai pourtant eue jusqu'à dix ans, et puis j'ai un jour cessé de croire aux fables. Et je ne la retrouverai jamais, je le sais.

Pierre Loti, qui avait cherché des réponses dans toutes les religions, en vain, avait dit sur la fin de sa vie : "je meurs athée et désespéré de l'être". Et je sens que cette phrase sera mienne dans mon dernier souffle.

Mais pour l'heure, Tant-Bourriquet ne semblait pas trop m'en vouloir. Il a levé la tête vers moi pour franchir du regard notre mètre d'écart et a souri en constatant que la tête de son papa était bien toujours là-haut, à l'autre bout de ce bras interminable.

Et dans la lumière de son regard, j'ai retrouvé aussitôt la foi. La foi d'avancer, la foi d'aimer, la foi de faire de mon tout petit mieux, la foi de cracher à la gueule de la mort. Le piège de la vie s'est refermé sur nous, Tant-Bourriquet, mais nous allons en faire quelque chose de bien, je te le promets.

"Allez, viens, mon bibou... Maman nous attend..."

Et à tout petits pas, nous sommes rentrés à la maison.

vendredi 3 février 2006

Saoul-FifrePremier cabri

Notre premier cabri de la saison est né aujourd'hui. Enfin, celui de Djali. Et de Djédaï, le pauvre. J'allais l'oublier, alors qu'il y est un peu pour quelque chose , non ? Ça c'est super bien passé, à l'ancienne, à la maison, avec juste l'antenne mobile de la clinique vétérinaire dans la cour, en cas de pépin.

Là, je rigole, mais pour notre premier fils, on rigolait pas. Déjà le premier, comme on dit, ben c'est le premier, et on peut pas savoir ce que c'est à l'avance. Quand on perd son pucelage, c'est aussi une première fois, mais on a un a priori positif. La littérature emploie des vocables valorisants pour parler de ces choses. Mais la mise bas ? Enfin : l'accouchement, 'scusez, déformation professionnelle, habitude, tout ça... ? C'est inquiétant, c'est médicalisé, ya quand même un paquet de conards qui ne pensent qu'à vous faire flipper, ils ont même fait de hautes études dans ce but ! Je me suis farci toutes les visites aux gynécos avec Margotte, et toutes les séances de gym pré-natale, et on ne vous parle que de prudence, de risques, de maladies génétiques, de décollement du placenta... Bonjour l'angoisse ! Bon, nous on s'est pas mal débrouillés, puisque notre premier cabri est arrivé avec un mois d'avance. Un mois d'angoisses économisées. Et puis aussi comme il faisait que 2 kgs, il a dû passer plus facilement. Et puis on leur fait passer des tests à la naissance, aux bébés, et lui il avait tout bon. Ça c'est dans la colonne des +. Mais dans la colonne des - , aillaillaille ! Ce bargeot de chef pédiatre, il nous a confisqué notre bébé, la chair de notre chair C8=(( ! Margotte voulait l'allaiter mais n'avait pas le droit car il était dans un centre de prématurés ou nul n'avait le droit d'entrer sauf le personnel. J'ai dit chez Byalpel que je n'aimais pas faire d'esclandres. Ben là, quand on a compris que le dialogue était impossible, j'en ai fait un d'esclandre ! J'ai d'abord fait le tour des services de pédiatrie de la région pour leur expliquer le topo, et j'en ai trouvé un pas loin de chez nous qui comprenait notre position. Youpi, j'ai commandé une ambulance, on a signé une décharge, et hop, le fifils il a changé de crèche. Là où on était, c'était Margotte qui s'en occupait, lui donnait le sein, et le remettait dans sa couveuse, en attendant qu'il grossisse. Ce qu'il a fait. Genre De Gaulle, qui était lui aussi prématuré. Mais vraiment mauvais souvenir, ces médicastres, petits tyrans au pouvoir absolu dans leur établissement et qui font main basse sur votre enfant. Je n'ai pas pété les plombs ce jour-là, je ne craquerai jamais.

Nos enfants, ce sont aussi nos actes, nos créations, ce blog, par exemple, que nous avons mis au monde avec Tant-Bourrin. Le cabri de l'amitié. Qui va sur ses un an, ma foi. Si c'est un enfant, c'est encore un bébé, mais pour un blog, au rythme où ils lèvent le museau puis replongent dans leur trou, ça sent la bouteille au goulot de laquelle on a déjà beaucoup tété. Nous avions un programme ! Il se trouve que je l'ai rédigé, mais nous nous connaissions si bien que j'étais assuré que ce serait un Programme Commun À la relecture, je trouve que, contrairement à nos amibes politiques, nous avons tenu nos promesses. Si nous aimons bien avancer "les deux pieds, les deux mains dans la merde", provoquer, nous vautrer dans des approximations vaseuses, nous ne souhaitions pas non plus nous enfermer dans un espace de gaieté obligatoire à la Walt Disney. La vraie vie est restée présente, sous-jacente avec ses larmes, ses peurs, ses colères. Et ses surprises : la proclamation mi-solennelle, mi-plaisantine de Patrice Deramaix se réalise ! Il existe à l'heure actuelle un site BLOG-BORYGMES, un BLOG-BORBORYGMES, et trois BLOGBORYGMES ! Une vraie famille, et ça en fait des gargouillis... Au delà de la famille qui nous réunit par le nom, que l'on n'a pas choisie, il y a la famille élargie, celle que l'on a été grapiller sur le net, et avec qui nous nous sentons en affinité. Chutney est à l'intersection des 2 ensembles. Mais que de talents, que de rires, d'émotion ! Que de richesse, de différences mises en scène ! La blogosphère ne me semble pas avoir de spécificités particulières. Elle est à l'image du monde extérieur. Elle a l'interactivité de la vraie vie, avec un peu de formalisme (la chose écrite, finie), un sentiment de liberté (pour ceux qui ont choisi le mur de l'anonymat), mais les relations nouées dans ce cadre laissent dans les cœurs un rien d'incomplétude. Il y manque le regard, la voix, le sourire. Le smiley rame sec, sans arriver à exprimer la finesse.

Il y manque de la chair.

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