Blogborygmes

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

vendredi 25 décembre 2009

AndiamoMatin de Noël

Quand j’étais gamin, le matin de Noël, dans la rue, il y avait foule, celle des mômes qui sortaient avec leurs jouets tout neufs.

Oh ! Pas une kyrielle de jouets, non, un cadeau par môme, et encore !

Les filles portaient dans leurs bras, tel le saint sacrement, le baigneur "Nobel" ou la poupée "Bella" dans ses beaux habits tout neufs, pas pour bien longtemps car le frangin un peu rancunier se chargerait de cabosser le poupon en celluloïd, ou d’arracher la jolie perruque frisotée de la princesse en robe d’organdi, au motif : n’avait qu’à pas m’déchirer mon Spirou et les héritiers !

Chez nous, peu de jouets mais des livres. Une année nos parents nous avaient offerts : "L’ENCYCLOPEDIE POUR LA JEUNESSE".

Une collection de plusieurs volumes, traitant des sujets très variés : l' astronomie, la géographie, les volcans, les océans, les poissons des grands fonds, l’architecture, l’histoire, de la botanique aussi.

Bien sûr, ces articles restaient à la portée des enfants que nous étions. Je les ai lus et relus, les photos en bleu, on ne voit plus ce genre de photographies, des gravures. Et puis surtout des récits d’aventures extraordinaires.

Ces articles, je les ai lus jusque très tard, et ils étaient loin d’être mièvres. Bien foutue, cette encyclopédie, perdue au cours de mes nombreux déménagements.

A l'occasion d'un autre Noël, nous avions reçu plusieurs livres de la comtesse de Ségur, les bouquins étaient pour les trois enfants que nous étions.

Ils peuvent paraître puérils aujourd’hui, mais ils m’ont donné le sens du dialogue. Ces récits étaient très vivants, les enfants de l’époque étaient-ils si différents ? Les adultes qui les entourent assurément, les Paul, Sophie et autres Madeleine aimaient construire des cabanes, ou jouer à la dinette. Quant à la pauvre Sophie, elle accumulait les gaffes et les catastrophes ! Ça ne vous rappelle pas votre enfance ?

Le langage de la chère Comtesse (pas celle du Canard enchaîné) paraît bien suranné, voire précieux, mais, lorsque j’étais gamin, il ne me choquait pas. Je n’aurais pas traité mon pote de "poltron", je lui aurais dit : t’as les foies ou t’as la chiasse, bien sûr. Mais à la lecture de la née Rostopchine, ça m’amusait.

J’aurais bien aimé avoir un train. Oh ! Pas électrique, j’étais conscient, mais un mécanique….

Je rêvais devant la boîte avec son superbe dessin, représentant une loco à vapeur fumante et entourée de volutes bleutées, tractant ses voitures dans un paysage enneigé, bien en évidence, dans la vitrine du marchand de jouets.

Frustration ? Sans doute, car il y a une trentaine d’années, j’ai monté un train dans une table basse, que j’ai dû fabriquer moi-même. Ce train était à l’échelle Z. Ecartement des voies : 6,5millimètres ! Des motrices pas plus grosses que mon pouce !

Et tout ça fonctionnait : aiguillages, rails de coupure, etc. Sur le dessus de cette table, un verre assez épais, nous prenions l’apéro et chacun faisait mumuse avec ce jouet qui évoluait dans un décor provençal que je m’étais également coltiné.

Le tout était assez encombrant : mon fils en a hérité.

Les avions que je construis puis que je fais voler ? Sans doute une frustration également. Les copains, je veux parler des anciens jeunes comme moi, se font la même réflexion : nous n'avons eu guère de jouets étant gamins, alors nous compensons ! Je crois aussi sincèrement que les hommes restent tout au long de leur vie des gamins, et quand ça n’est pas : ce sont des vieux cons !

En ce jour de liesse
Déridez-vous les fesses.
J’ai fait pour vous fidèles lectrices
Celui qui vous transporte d’aise : le BÔÔÔ : Corto Maltese à poil ! Depuis le temps que vous le réclamiez !

Hé ! Ne jouez pas les vierges effarouchées, j’ai les noms de toutes celles qui voulaient le voir tout nu, j’vas balancer… DEDIEU !


Alors le voici, le voilou….

Les Messieurs qui en feraient leur ordinaire je le leur offre également.



Pour vous Messieurs une mère Noël… HUMMMM !

Comme précédemment, les Dames que ça intéresse….

Et puis, et puis, plutôt qu’un long discours, à vous Mesdames que j’aime beaucoup, je souhaite ceci :

BEAUCOUP DE BONNES CHOSES.

Et enfin, je souhaite à toutes et à tous de JOYEUSES FÊTES et que 2010 fasse que si vous n’êtes pas plus nombreux autour de la table l'an prochain, vous ne soyez surtout pas moins.

mercredi 16 décembre 2009

Mam'zelle KesskadieUne semaine de folie pour une folle

La folle, c’est moi, qui d’autre ?

D’accord, mais je ne nommerai pas de noms, même sous la promesse d’une prime Lancôme.

Ceci étant dit, c’est la première semaine que je travaille à temps plein depuis mon congé pour maladie : mon Xème burn-out. Je commence à avoir quelques certitudes sur le temps qui passe. Un : il ne manque pas à passer. Deux : seul l’amour ne passera pas, c’est écrit dans l’évangile (cité hors contexte, mais on va pas se chercher noise au premier paragraphe, n’est-il pas ?). Annuellement, je fais un burn-out, cinq régimes, trois allers-retours sur les sites de rencontres en me promettant que c’est la dernière fois et quelques dépenses non prévues au budget. À noter que le terme "quelques" est vague intentionnellement.

Donc, je travaille à temps plein, ce qui fait que je m’absente que deux jours cette semaine. Le premier, sous prétexte non fallacieux que je dois aller consulter une psychologue avec mon fils dernier-né qui a fait deux crises de colère à l’école. Cette deuxième crise ayant duré la majeure partie de la journée et a été assez intense pour que les profs ferment leur porte de classe pour ne pas l’entendre du local de l’éducatrice, on m’a recommandé d’aller consulter.

Vous me connaissez, je veux faire plaisir, c’est bien pourquoi je l’ai fait. Et aussi pour que l’école le garde et que je ne sois pas obligée de le garder.

Donc, ça tombe mal, il a tombé 20 cm qui nous en paraissent le double, que dis-je, le triple, vu que c’est la première tempête de l’hiver, et je dois me rendre pour huit heures trente au rendez-vous. Du matin. Ben oui. Donc, la routine matinale voulant que tout le monde soit prêt à la dernière minute et demie, je hurle que nous partirons plus tôt ce matin (ce qui les laisse d’une froideur hivernale, je dois le dire) et je pars reconduire Ado-te à la Polyvalente Nicolas-Gatineau. Je compte bien, en revenant, que le reste de la gang sera prête pour le deuxième voyage qui mènera tout le monde et leur mère à leurs occupations quotidiennes.

J-F, ô miracle de décembre, est prêt ! Il a même enfilé son pantalon de neige ! A noter ici que je suis particulièrement fière parce que c’est le premier habit de neige neuf qu’il porte, le pôvre ayant toujours hérité de ceux de ses frères, fils des amies de maman, etc. On embarque et, comme prévu, je me trompe d’adresse et, comme prévu, on arrive en retard.

Sourire de la mère, on s’excuse, vite fiston, enlève tes pantalons.

Surprise !

Fiston n’avait pas trouvé de pantalons longs à se mettre et il a pris l’initiative de porter des culottes courtes.

En décembre.

Le jour de la première tempête de neige.

Pour aller voir la psychologue.

Hé.

C’est dans ces moments que j’en veux à leur père de ne pas être à ma place.

Re-sourire gêné.

La psy part avec le culotté court pour faire l’évaluation, je m’assieds dans la salle d’attente où la lecture sur les murs nous décrit les situations où les enfants doivent être signalés à la DPJ. Soulagement de la mère, la culotte courte en hiver n’y est pas mentionnée.

Tout n’est pas perdu, beaucoup d’autres suggestions y sont faites si on veut se débarrasser de nos marmots.

Vendredi, un jour de vacances. Je peux maintenant en prendre, je suis revenue à temps plein au travail. C’est la journée qui précède mon cours d’art–thérapie et faut bien que je fasse mon travail de session. Oups, j’ai un contrat en privé ! Yé ! Étant donné que c’est Noël, que j’ai acheté un char juste avant, quelle bonne idée ! (le contrat, pas le char).

La dame demeure l’autre bord de Buchkingham. (30 min de route)

Comme prévu, je me suis perdue et je suis arrivée en retard. Pour retrouver mon chemin, j’aperçois un type sur un quatre roues qui ouvre une entrée en haut d’un chemin privé. En haut, pour vous préciser que le chemin était en pente accentuée, mais j’ai un nouveau char, ne l’oublions pas, avec des pneus d’hiver, on s’en rappelle ! Donc, j’hèle le manant et il m’informe que je suis trop loin. J’avais deviné, et il m’explique en termes de villageois comme me retrouver, c’est à dire qu’il me nomme toutes les boutiques de la rue principale et me dit : tourne pas encore là. J’ai enregistré où je devais tourner pour reprendre le droit chemin et merci !

Par contre, ce qui monte, redescend, toutes les femmes mariées et un rien âgées vous le diront, et il n’y a pas de place pour faire demi-tour. J’entame donc la marche arrière dans un chemin étroit, entre deux bancs de neige.

Ben oui. Je suis restée prise. Je ne manque pas une occasion d’égayer une journée dans la vie d’un manant !

Et moi, qui m’égaye ?

Le cuisinier de chez Marroush qui m’a demandé si j’étais célibataire et intéressée à avoir un occasionnel. Y é beau comme un cœur et libanais comme un vrai immigré. J’ai décliné, j’aime trop être crusée par lui et comme on le sait, le fruit consommé perd beaucoup d’attraction.

Ensuite mon chien qui s’obstine à cacher des os, son lunch, des bouteilles d’eau vide, sous les nombreuses traîneries qui encombrent la maison. Comme il n’aura rien d’autre à manger, il retrouve ses morceaux de viande crue avant décomposition, que la vie est bien faite !

Et pour finir, je prends du Concerta. Qu’est-ce que le concerta ? C’est le médicament qui est supposé améliorer ma capacité attentionelle et, ainsi, diminuer les oublis. Effets secondaires : perte d’appétit (je peux supporter trèssssss stoîquement) et moins de sommeil, se peut-il ?

Donc, je n’ai oublié que d’acheter du café pour mon samedi matin. Pas de café samedi matin.

Ô drâââââme ! Ô désespoirEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE !

Je pâtissais misérablement devant mon écran lorsque j’eus un souvenir (tiens, le concerta fait effet) d’un restant de décaféiné : le choix du président (il devait être avec sa belle-mère quand il a choisi ça pour elle, c’est brun et sans goût) que je passe au moulin à café, qui ce matin a daigné fonctionner, et mélangé avec la cuillère à thé de bonne poudre, j’obtins un café !

Yé!

Potable à ma grande déception, car je ne me sens pas encore justifiée de jeter la came de choix du président.

Pour faire mon déjeuner, je décide aussi de prendre un petit shake de mon régime aux protéines. Vous ne vous souvenez pas de mon régime aux protéines ? Bah, je ne vous en veux pas, je l’oublie également six jours sur sept, deux semaines sur trois. Je regarde, hagarde, le comptoir aux milles choses éparses, mille étant un chiffre approximatif, je n’ai pas pris mon café, je ne compterai quand même pas les traîneries ! Et je trouve le contenant pour shaker. Ô joie ! De courte durée, le couvercle est fendu. C’est un signe du destin, je ne suis pas faite pour les diètes protéinées en shake.

J’allais vous dire quelque chose de profond et de moralisateur suite à cet événement, mais comme je n’avais pas pris mon café, ni mon concerta, je ne m’en souviens pas.

Si ça revient, je vous promets que je ne vous ennuierai pas avec ça. Ce qui ne veut pas dire que je ne vous l’écrirai pas, mais que je vais essayer d’en rendre la lecture agréable.

Êtes-vous encore là ?

Pourquoi le silence agrémenté de la fan de mon laptop ne porte-t-il pas l’écho de vos voix chéries ? Seriez-vous en train de prendre un vrai café ?

Du bon temps ?

Je vous le souhaite !

dimanche 13 décembre 2009

AndiamoLa bergère

Ce qui est positif, quand t’es un môme qui a vécu son enfance après la guerre, c’est que tu t’amuses avec que dalle. Tu aurais aimé avoir un méccano ou les albums de Tintin. Seulement, Tintin, c’est toi qui le faisais, biscotte à la cambuse :

- Y’a autre chose à acheter que des conneries qui de toutes façons finiront dans l’fond du jardin, à pourrir avec un tas d’objets devenus inutiles (ma mère dixit).

Alors on récupérait tout, afin de se fabriquer des objets de première nécessité.

- Des lance-pierres : une fourche taillée dans une branche, des élastiques de bocaux de conserves, les rouges, tu vois ? La languette des galoches en guise de support pour les pierres.

- Des arcs avec leurs flèches.

- Des cerfs-volants : deux baguettes ligaturées en croix, un journal servait de revêtement, pour la queue une ficelle traînait derrière avec, tous les trois centimètres environ, une papillote en papier journal, et il n’y avait plus qu’à attendre le vent !

- Des traîneaux : deux planches maintenues entre elles par d’autres planches clouées en travers, on avait un pote dont le père, travailleur en usine, rapportait des roulements à billes usagés… Une aubaine !

Celui qui tirait les traîneaux, c’était toujours Coco, un pote dont les parents étaient Ritals. Ils avaient conservés de leur pays un accent à couper au couteau, et comme mon patronyme est Rital aussi, ils me parlaient en Italien, sauf que ma pomme il entravait lapuche !

Mais bon, dans mon quartier, il n’y avait pratiquement que des Ritals, tous maçons. A croire que là-bas les garçons naissaient avec une truelle à la main en guise de hochet ! Des Morcello, des Barbieri, Poletti, Gazzoli, et autre Ferrara. Je ne dis pas cela pour plagier Monsieur CAVANNA, mais dans ma banlieue, à l’époque, c’était comme ça.

Pour en revenir à notre cheval de trait, ce Coco-là était costaud, jamais il n’a rechigné à nous tracter à longueur d’après-midi, il poussait la conscience chevaline jusqu’à hennir pour notre plus grand plaisir.

Nous n’avions guère de jouets, par contre des décharges sauvages, que nous appelions des tas, fleurissaient à chaque coin de rue, sous le panneau bleu rectangulaire : Défense de déposer des ordures sous peine d’amende. Mais vu que les cognes ne passaient jamais dans mon quartier aux rues trop mal pavées, ça n’aurait pas arrangé leurs bécanes aux hirondelles… On était peinards !

Régulièrement, on fouillait ces îlots aux trésors et, un jeudi, là, sur le tas, une bécane, un clou, un spad, un biclo, en un mot : un vélo !

Dans un sale état, le spad : rouillé, déglingué, la moitié des rayons manquants, pas de pneus, plus de chaîne sur le pignon fixe, et pas de freins bien sûr. Quand je vois aujourd’hui les jours de ramassage des encombrants ce qui est jeté, des vélos quasiment neufs, mais oui, je ne peux m’empêcher de hocher la tête… Ô tempora, ô mores !

On ramène notre trésor à la maison, mes parents louaient un pavillon avec une CAVE ! C’était notre refuge, il y avait les outils du paternel, du fil de fer, des clous, des cordes, enfin : touçakifô !

Et au boulot : nettoyage du cadre, puis on se fait les poches afin d’acheter de la peinture aluminium. Les anciens ont connu ça, sur la boîte assez petite était écrit : chrome à froid ou chrome polonais, si, si, c’est vrai !

On passait généralement cette barbouille sur les tuyaux de poêle. Sur le coup, ça faisait un effet bœuf, puis, au bout de huit jours, la jolie peinture argentée s’était transformée en jaune pisseux du plus bel effet.

On barbouillait plus que l’on peignait, il y avait toujours un pote qui nous dégottait une chaîne à vélo et, pour les pneus, alors là… C’était la démerde.

D’abord, après guerre, on n’en trouvait pas ! Et puis c’était trop cher, tu penses ! Déjà, pour joindre les deux bouts, il fallait faire le grand écart, alors acheter des boudins pour un clou, pas question, et ça ne nous aurait même pas effleuré le caberlot : poser pareille demande, c’était l’engueulade assurée. Il y avait deux solutions...

Les bouchons de liège récupérés sur les boutanches de rouquin et patiemment accumulés. Enfin, quand je dis patiemment, j’exagère un chouille, parce que j’avais des copains dont le dab éclusait un douze trous en moins de temps qu’il en faut à ton percepteur pour enfouiller un bifton de cinquante sacs ! Disposés un par un dans la gorge de la jante puis maintenus en place à l’aide d’un morceau de fil de fer enroulé puis torsadé, tu parles d’un boulot ! Mais bon, pendant qu’on faisait ça on ne faisait pas de conneries, tout était pour le mieux.

L’autre solution consistait à récupérer un tuyau d’arrosage usagé, ou plus gonflé : en prélever un morceau sur le tuyau familial, moi pour la roue avant, et un pote prélevait chez lui pour la roue arrière, ainsi on partageait la raclée en cas de découverte ! Le tuyau d’arrosage maintenu lui aussi avec du fil de fer, quel matériau ce fil là … Bon à tout !

Quand ton dab, le soir au moment du sacro saint arrosage, s’apercevait que le beau tuyau en caoutchouc rouge pisseux, atteignait à grand peine la rangée de haricots verts, alors que la veille il allait allègrement jusqu’aux petits pois. Il se rendait immédiatement compte qu’il y avait eu un prélèvement, une dîme, la taille ou la gabelle. Enfin bref, tu te ramassais le coup d’pied au derche vite fait bien fait !

Un beau jeudi, le spad était fin prêt. Chacun l’essaie. Pignon fixe : faut avoir l’habitude avec ce truc à la con, pas moyen de t’arrêter de pédaler. Etant donné que notre fusée ne possédait pas de freins non plus, pour arrêter l’engin, la semelle de tes pompes frottant sur la jante faisait office de ralentisseur. J’ai écrit ralentisseur, car pour freiner la bécane avec ce système, c’était râpé !

Vient mon tour. Je monte sur l’engin infernal, la selle vachement bien rafistolée, rembourrée avec des morceaux de sacs, car la moitié du cuir initialement présent s’était fait la paire.

Je démarre, tu parles d’une secouade : ma rue empierrée, pas un soupçon de bitume. Ils s’en sont occupés beaucoup plus tard, je devais avoir dix-sept ou dix-huit ans ! Je roule jusqu’au bout de ma rue. Je mets le pied sur la jante afin de freiner la bête. Je n’étais déjà pas très habile avec mes mains, alors avec mes pieds ! Soudain, la galoche dérape, et v’là mon pied qui passe entre les rayons (ceux qui restaient) : putain la gamelle !

Encouragés par les essais de notre magnifique machine, on décide d’aller au cross le jeudi suivant.

Ce cross, qui s’appelait cross de la bergère, était situé le long du canal de l’Ourcq, près du pont de Bondy. En lieu et place aujourd’hui : la préfecture de Bobinchgrad (Bobigny), on l’appelait ainsi à cause de sa couleur politique ! C’était une succession de buttes plus ou moins escarpées, avec des trous remplis d’eau.

Nous voilà partis à trois ou quatre copains. Chacun notre tour, on descendait les buttes, rasant les flaques, puis de plus en plus fort : à deux sur la bécane. Claude pilotait, moi assis sur le cadre, on attaque la descente, mais à force de passer là, on avait quelque peu éclaboussé, le bord était devenu glissant.

On descend à fond : cris de joie, la roue avant dérape, et… SPLATCH ! On se vautre dans la mare boueuse. Putain, on était dans un état, moins gai le retour…

Raconter une salade à M’man :

- J’ai glissé dans la mare, celle qui est au bout d’la rue des cerisiers.

Car avouer que l’on était allé au bord du canal, c’était la volée grand large. Elle connaissait ses zèbres, et elle craignait toujours la baignade dans ce canal pas très ragoûtant.

Elle n’était pas dupe, mais elle faisait semblant de gober pour ne pas avoir à sévir, elles sont comme ça les mamans...

jeudi 10 décembre 2009

Saoul-FifreLe premier baiser II

Je fais tout comme vous, espèces de petits voyeurs nostalgiques, régulièrement, je clique sur nos rétroviseurs temporels, dans la colonne de droite, pour aller relire nos vieux billets. Et je suis tombé récemment sur le premier baiser d'Andiamo, remarquablement narré et sympathique en diable. Et bien entendu, comme il nous y invite en préalable à son propre retour vers le passé, mon esprit s'est mis à vagabonder dans mes souvenirs.

Par contre, j'étais loin d'être déluré comme cézigue. Des sentiments, des désirs, ouais, je veux, et des mahousses, mais pour le passage à l'acte, j'avais comme qui dirait des freins émotionnels tellement bien réglés que la mécanique pilait à peine j'effleurais la pédale. Et j'étais si timide qu'il était hors de question qu'il se passe quoi que ce soit avec une fille si je n'éprouvais pas de sentiments forts pour elle. Donc pas d'entrainements avec de simples copines, ou de gentilles cousines, ou carrément sa propre sœur, sur laquelle on peaufinerait "le brouillon de ses baisers", comme j'ai entendu dire que ça se pratiquait parfois.

Non, il me fallait l'Amour comme levier indispensable, comme motivation assez forte pour que la peur de laisser filer cette fille dépasse la simple trouille de faire le premier pas.

Votre inhibition, James Band 007, si vous l'acceptez, sera de la surmonter.

Pas évident, pas évident du tout. Et pourtant, en y repensant, les filles dont je suis tombé amoureux m'ont lancé des tas de signes, de messages codés, de clins d'yeux, de regards par en dessous, de caresses sensées s'être fourvoyées, enfin tous ces petits riens si féminins, mais avec un lourdaud comme moi, les allusions ne suffisaient pas, il leur aurait fallu prendre directement les choses en main, mais à mon époque, cela ne se faisait pas, quand on était une jeune fille bien comme il faut et tenant à sa réputation.

Il y en eut pourtant une assez moderne, non pour faire le soi disant "premier pas", mais tous les autres avant, et il en a fallu, des pas, avant que je me décoince ! On peut dire qu'elle s'est farci tous les préliminaires, comme une grande.

C'était vraiment un super petit lot, sincèrement, quand je l'ai vue la première fois, je risquais pas de ne serait-ce qu'envisager qu'une fille aussi mignonne puisse s'intéresser à ma gueule. Elle venait de se séparer d'un de mes meilleurs amis, ce qui collaborait à me la rendre un tantinet "tabou", mais bon, elle habitait dans une grande maison, siège d'une communauté désertée pendant les vacances. Chance pour moi, car j'appris par la suite qu'elle était hyper-convoitée par pas mal des membres titulaires en congés, mais tant pis pour ces langues pendantes, baveuses et absentes : qui va à la chasse perd sa place !

Je passais donc la voir tout le temps et, tous les deux seuls, nous avons eu le temps de bien discuter, de nous connaitre, de nous faire de bons petits plats. Elle m'entourait d'attentions, nous allions nous promener dans les bois tout proches. Je pense qu'elle mettait son plan de chasse au point.

Une après-midi, elle sortit de la douche enroulée dans une grande serviette nouée en paréo. "Tu ne veux pas m'aider à me couper la frange ? J'ai un peu de mal toute seule." Penché sur elle, au dessus de son décolleté, j'aurais dû lui dire : "Mais tu veux me rendre complice d'un crime, tu es très jolie comme ça !", et lui voler d'autorité ce premier baiser qu'elle attendait visiblement, mais je suis lent de la comprenette et renacleur devant l'obstacle, je crois vous l'avoir déjà dit.

Nous ne nous quittions quasiment plus, elle me présenta à sa meilleure amie, à sa famille. Quand nous faisions des choses séparément, nous nous prévenions avec de petits mots sur la table. À la toute fin d'une soirée bien arrosée, tôt le matin, elle laissa reposer sa tête endormie sur mon épaule. Nous nous endormîmes ainsi, mais je ne me permis là non plus aucune privauté.

Je sais, je suis bizarroïde, comme gars.

J'imagine, mais je n'en ai jamais demandé confirmation, que, son impatience grandissant, elle battit le rappel autour d'elle et demanda de l'aide à sa famille. J'étais devenu très ami avec son frère et celui-ci nous proposa un jour d'aller écouter un groupe de jazz qui jouait dans un bar, au bord de l'océan. Nous disons banco et nous nous entassons dans la deudeuche du frère, lui, ses deux sœurs et moi, avec la tente dans le coffre pour passer la nuit sur la plage après le concert.

Le frère, solidaire de sa sœur dans ce doux traquenard, avait prévu l'arme fatale : une bouteille d'un litre de whisky. Les boissons au bar étant hors de prix à cause du concert, il s'éclipsa pour nous chercher du remontant. Je ne sais pas si vous vous souvenez, mais la loi obligeait à avoir en permanence dans sa voiture une boite avec toutes les ampoules de rechange. C'était un genre de tupperware assez vaste. Il le remplit à ras-bord et me le ramena. Le sens profond du cadeau était clair : saoule-toi, tu seras moins con.

Effectivement, après quelques longues goulées désinhibitrices bues en cachette des garçons de café, mon esprit s'ouvrit à l'Amour, ma vue s'éclaircit et je vis que, de l'autre côté de la table, mon amie était belle, qu'elle m'aimait aussi et qu'elle me souriait d'un air malicieux. Je me levai d'un air que je voulais décidé, me cognai dans plusieurs chaises sans m'excuser auprès de leurs locataires, je lui saisis la main en lui disant un simple "Viens..." et je l'entrainai vers l'océan.

Là, devant la lune se reflétant sur la houle en mille fragments changeants, devant cette écume luminescente toujours renouvelée, les oreilles remplies de ce bruit de vagues primordial, de ce brouhaha nous remontant des grands fonds un vieux rythme aléatoire et lancinant, nous échangeâmes notre premier baiser et nos mains partirent à la découverte de la chaleur de l'autre.

mercredi 25 novembre 2009

AndiamoQuand on chantait

Avant l’arrivée des baladeurs et autres MP3, je me souviens que les gens chantaient. Bien sûr, pas de musique dans nos spartiates autos, et encore moins de télévision ! Ne vous marrez pas : il y en a de plus en plus, paraît-il, et pas seulement à la place des passagers arrières !

Alors nous chantions ! Parfois à tue-tête, il m’arrivait de me prendre pour un ténor quand, en partant le matin sur ma moto, j’entonnais une chanson de Sacha Distel ou de Gilbert Bécaud. Pareil même chose (wouarf) lorsque je me rendais de Villefranche-de-Lauragais à Toulouse pour aller bosser chez l’avionneur Bréguet, le matin de bonne heure, 35 à 40 minutes de trajet. En 1962, pas de radio dans ma deudeuch ! Alors je chantais rien que pour moi des chansons de Léo Ferré ou de Georges Brassens, j’en connaissais beaucoup "par cœur".

Il n’y a pas si longtemps, lors d’une soirée, une amie et moi avons chanté en chœur "comme à Ostende" de ce vieux Léo ! Elle connaît mine de... pas mal de chansons, bien rangées dans sa tête bien faite !

J’entendais, sur une station radio, Jean-Marc Thibault qui déclarait connaître plus de 1000 chansons. Je ne sais si c’est vrai, mais assurément il en connaît beaucoup.

Force était de les apprendre, car il n’y avait rien d’autre pour écouter ce que l’on aimait en dehors de chez soi, rien qui puisse vous faire écouter de la musique hormis les 45 tours, assez chers tout de même. On les écoutait sur nos électrophones munis d’un haut-parleur, on était loin de la stéréo-fifi !

Et puis aussi une tradition disparue HELAS ! J’écris hélas car, bien que n’étant pas (trop) nostalgique du passé, je trouvais charmante cette coutume qu’après les repas de famille, de première communion ou de mariage, chacun "pousse" la sienne comme on disait à l’époque.

Chacun avait avait "sa" chanson : ma grand’mère chantait "l’ange rouge", une goualante réaliste, l’ange rouge étant la guerre, celle de 14-18, la grande, la seule, la vraie, comme elle nous le rappelait, elle y avait perdu ses deux frères de 20 et 21 ans, son mari plus tard, mon grand-père mort des suites de cette horrible carnage.

Je me souviens encore des paroles du début :

Regardez-le chevaucher dans l’espace.
Regardez-le : c’est l’ange rouge qui passe.

C’est primesautier, n’est-ce-pas ?

Un oncle nous chantait "les baisers quand ils sont bien donnés"... Quand il attaquait ça, la tante lui jetait un regard courroucé, c’était le signe que tonton en avait un coup dans la huche. S’il peut lire par-dessus mon épaule depuis là-haut, il doit bien se marrer, ce petit bonhomme jovial… Sacré Félix !

A la fin des repas de famille, certains racontaient des histoires à ne pas mettre dans toutes les oreilles. Les "grands" attendaient que les enfants soient partis jouer dans la cour ou dans une autre pièce, alors ils en profitaient pour raconter la dernière... parfois entendue un an auparavant, mais on faisait semblant de la découvrir et on riait, ça mange pas d’pain et puis ça faisait plaisir au conteur.

Lors des mariages (plus que pour les premières communions), les chansons de corps de garde étaient à l’honneur : depuis le "plaisir des Dieux" jusqu’à la "petite Charlotte", en passant par les "trois orfèvres", tout y passait ! Les dames (un peu hypocrites) poussaient des "OH !" d’indignation, tandis que les messieurs jouaient les fiers-à-bras, les "affranchis", les "j’en ai vu d’autres" !

Dans les ateliers de couture, de mécanique, dans les manufactures, les ouvrières, les ouvriers chantaient ou sifflotaient en travaillant. J’ai travaillé un moment chez Bourjois, le parfumeur. A l’époque, l’entreprise était située à Pantin. Sept cents femmes y travaillaient. Je réglais les machines de conditionnement, j’étais célibataire, elles m’en ont parfois fait voir de toutes les couleurs, ça allait de "mécano de mes deux" quand elles n’étaient pas contentes à "viens mon chéri, je vais t’offrir un bonbec" ! Tout ça dépendait de leur humeur, mais bon, ça n’était pas bien méchant et en tout cas sans rancune.

Toutes ces femmes chantaient, souvent très bien. Avec leur star’ac à la con, ils peuvent aller se faire foutre ! J’entendais parfois des voix magnifiques. Avec des cours de chant, je pense sincèrement que certaines auraient pu faire une carrière, mais ça n’était pas bien la mode, et puis elles n’avaient pas l’aplomb nécessaire, venant comme moi de milieux modestes où on ne connaissait pas toutes ces choses. Alors elles chantaient pour leurs collègues, pour leur mettre le cœur à l’ouvrage, emballer des flacons de parfum à longueur de journée, le dos courbé, toujours le même boulot ou presque, il fallait avoir un sacré moral !

Dans d’autres entreprises, j’ai connu d’autres "laborieuses" penchées sur des tours à décolleter, la même pièce à longueur d’année, derrière elles les tonneaux métalliques remplis de pièces en ferraille, tournant pendant des heures pour ébavurer les dites pièces.

Le vacarme : INFERNAL ! Elles ne bronchaient pas, elles chantonnaient même, pour elles bien sûr, car dans ce brouhaha il fallait hurler pour se faire entendre. Je restais le minimum de temps dans ces lieux, le réglage de la machine terminé, je me réfugiais dans des lieux plus calmes… Beaucoup plus calmes !

J’admirais et j’admire toujours ces femmes, bosseuses, appliquées, toujours souriantes… Eh oui ! Elles ont fait les trente glorieuses… Glorieuses pour qui ?

Quand elles sortaient le soir de leur usine ou de leur manufacture, ça n’étaient plus les mêmes : envolés les fichus, disparus les longs tabliers blancs, les chaussures informes et graisseuses remplacées par de jolis escarpins ! Ouvrières mais coquettes, seules les trahissaient leurs mains aux coupures multiples dues aux copeaux de métal ou, pour les petites ouvrières de chez Bourjois, l’entêtant - car en trop forte quantité - N°5 de Chanel (mis en flacons et élaboré à Pantin à l’époque).

Dans le bus qui les ramenait chez elles, c’étaient des plaisanteries avec le receveur (disparus aujourd’hui, les receveurs). J’en ai vu chanter et danser - mais oui ! - avec le préposé au compostage des billets sur la plate-forme des antiques Renault TN 4F. Elles bossaient dur, ces jeunes filles, ces jeunes femmes, ces jeunes mères et ces grand-mères, mais je n'ai jamais entendu l’une d’elles se plaindre du boulot ni de l’ambiance !

J’ai bossé dur parfois, mais bon c’était comme ça, j’ai connu bien sûr des chefaillons à la con comme tout le monde, mais je ne me suis jamais plaint de l’ambiance avec mes collègues. Il y en avait qu’on laissait un peu de côté car ils n’étaient pas "faciles", mais ce qui est sûr c’est que l’ambiance était excellente, les copains chantaient dans les ateliers ! Aujourd’hui encore, nous sommes pas mal à nous fréquenter, à nous retrouver pour une bonne bouffe.

Incroyable mais vrai, j’ai interrompu un moment l’écriture car un copain de boulot, que je n’ai pas revu en "vrai" depuis longtemps, mais que grâce au net j’ai retrouvé, est venu bavarder et m’offrir son sourire par caméra interposée, au moment où je parlais de mes anciens collègues… Coïncidence ?

Plus tard, vers 1985, quand j’ai dû changer de boîte biscotte le chomdu, j’ai travaillé dans pas mal d’entreprises, et il est vrai que si le boulot me plaisait beaucoup, car très intéressant, l’ambiance n’y était pas, ou plutôt n’y était plus, et je crois bien que j’étais le seul à chanter en travaillant.

dimanche 22 novembre 2009

Saoul-FifreLa grande goélette noire

Je ne sais pas du tout pourquoi cette fille m'a de suite donné envie de m'embarquer sur elle. Ni pourquoi son corps m'a évoqué une coque, ni pourquoi ses vêtements, quand elle dansait sur la piste de cette boite de nuit, me semblaient des voiles claquant au vent et ses bras, des mâts et ses yeux, des lanternes... Il faisait sombre, c'est vrai, mais j'avais plus surement sans doute besoin qu'elle me prenne, qu'elle m'enlève et me séquestre loin, dans quelque île de forbans où elle m'initierait à des plaisirs interlopes.

Ce qu'elle fit en quelque sorte (moins les plaisirs interlopes) puisqu'elle me ramena chez moi dans sa deux-chevaux tandis que mes amis rentraient de leur côté. Nous devînmes amis et, de la mieux connaitre, mon désir grandit de fouler son pont et de la visiter de la quille au poste de vigie.

Un jour je pris mon courage à deux mains et, en guise de déclaration d'Amour, je lui tendis ce texte, écrit pour elle.

- "Tiens, regarde ce que tu m'as inspiré". Avec de multiples précautions oratoires, car elle était gentille, elle me fit comprendre qu'elle ne désirait pas pousser plus avant notre relation ni me prendre à son bord.

J'ai été amoureux d'une grande goélette noire
Qui dansait au bruit du vent du large
Dans la lumière des îles
Ou bien qui se taisait, tranquille
Avant les abordages.

Dans la grande nuit des solstices
Sur la route des quarantièmes
Du haut des grandes lames, comme une reine
Elle dominait le précipice
Oubliant un instant qu'à la fin
Elle rejoindrait les âmes en peine
Mortes, des marins.

J'ai gardé dans mes oreilles la tempête de ses voiles
Dans mes yeux, son fanal sous les étoiles
Son sillage à la mousse aux enzimes
Que rejetait le commis de cuisine
Boites de conserve, arêtes de poissons
Épluchures, repas vomi depuis l'entrepont.

J'ai encore en mémoire sa figure de proue
La haute stature et les coups de fouet du gabelou
La générosité naturelle au marin
Qui le faisait déféquer chaque matin
Un long boudin nauséabond
En guise de nourriture aux poissons.

Je garderai toujours en moi les chansons douces sous la lune
Qui parlaient de putains, blondes ou brunes
Quand le marin revient enfin au port
Sa femme, sur le quai, s'inquiète de son sort
Mais lui n'a qu'une idée en tête :
Ça va être sa fête !

J'ai été amoureux d'une grande goélette noire
Qui donnait du froid, du vent, des larmes
À des esclaves dociles
Ou bien qui les jetait, tranquille
Par le bastingage ...

À la relecture de ce vieux texte, des années plus tard, à cœur reposé, je n'hésite pas à reconnaitre que je comprends parfaitement sa réponse négative. J'avoue que dans ma quête d'un peu de chaleur humaine et féminine, je plaçais la barre assez haut et que peu d'élues parvenaient à la franchir.

Mon système de sélection était rude, je l'admets volontiers. Mais, tout grave psychopathe que je semblais être, je souhaitais tout simplement découvrir l'être rare et fou capable de m'aimer pour le pire et l'un peu moins pire.

J'ai fini par le trouver, à l'aide d'un piège à filles du même acabit, à l'entrée quasi inaccessible, avec un de ces appâts à l'efficacité des plus improbables.

samedi 7 novembre 2009

AndiamoMon frère... (suite)

Je vous en ai déjà parlé de mon grand frère, trois ans de plus que moi. Entre nous deux, ma sœur : tir groupé !

Je lui dois sans doute des engueulades et des fessées, mais jamais, au grand jamais, cinq minutes d’ennui !

Trois ou quatre idées fumantes par jeudi : ça allait des parachutes découpés dans les rideaux du salon au tir à l’arc dans le capiton du lit parental !

Pour un Noël, mon frère devait avoir quatorze ans, mes parents lui offre un arc et des flèches ! Quelle inconscience ! Connaissant les phénomènes que nous étions, ils n’auraient jamais dû ! Etaient-ils en état de léthargie ou touchés par une crise d’angélisme au moment de l’achat ? Nul ne le saura jamais vu qu’ils ne sont plus là pour témoigner.

Ce beau matin de Noël, mon frère reçoit la panoplie de Robin Hood, sans le chapeau à la con ni le collant qui moule les coucougnettes (je vous rassure), juste l’arc, les flèches et une cible faite de raphia tressé avec les jolis cercles multicolores et concentriques. J’avais reçu un tir aux pigeons avec une carabine à flèches, les pigeons étaient remplacés par des avions : des Spitfires… Encore et toujours les avions !

Au début, bien sagement, nous avions installé la cible à la cave et chacun notre tour nous nous exercions au tir à l’arc. Mais il faisait bien froid dans cette cave au mois de janvier, aussi, un jeudi, alors que notre chère maman était partie faire des courses, nous installons la cible ni plus ni moins que contre le lit des parents. Nous prenons du recul. La chambre communiquait avec un petit palier permettant l’accès aux deux chambres. La seconde étant celle que je partageais avec mon frère.

Bien campé, mon frère commence ses tirs… CHTONG ! CHTONG ! CHTONG !

Je lui emboîte le pas … CHTONG ! CHTONG ! CHTONG !

Et ceci une bonne dizaine de fois chacun. On était tout de même mieux là qu’à se cailler les meules à la cave ! Sentant le retour maternel proche, nous retirons la cible….

TAIN ! Les flèches avaient traversé la cible en raphia, ben tiens ! Et laissé dans le médaillon central en bois de jolis impacts, et de forts jolis trous bien calibrés dans le capiton de la tête de lit. Le soir, ça a chauffé pour notre postérieur, mon père avait les mains bien calleuses ! Je n’ai jamais pris de gifles, mais des fessées oui !

Décidément, ce lit en a vu de toutes les couleurs : un autre jour, après que nous ayons vu aux "actualités", dans notre cinoche de quartier, le Moulin Rouge, un documentaire sur les trampolines, vraisemblablement les premiers du genre à l’époque, mon frère en rentrant voulut mettre à l’essai les enseignements appris par les sportifs, des Américains sans doute, je ne me souviens plus très bien, tu penses c’était il y a soixante berges à l’aise !

Et voilà qu’il s’élance sur le pieu et commence à sauter comme un furieux. Un bond, deux bonds, trois bonds et… CRAC ! L’un des montants qui cède, le sommier se retrouve par terre et le frangin itou !

Inquiétée par le vacarme, ma mère rapplique dare-dare. Imagine le spectacle : le sommier vautré, les draps, les couvertures, le tout en vrac, le frangin qui se frottait partout biscotte la chute sur le parquet.

Habituée comme elle l’était des conneries mômesques (pas Français, m’en fous), elle flanque une mandale à mon frère et, emportée par l’élan, j’y ai droit aussi, on faisait dans l’équité à la maison !

- Encore une de tes bêtises ! (elle était polie ma mère, son fils aurait dit "conneries" mais pas elle) Si ton père voit ça, qu’est-ce-que tu vas prendre !

Le cœur maternel avait encore parlé. Certes on avait ramassé une mandale, sur le coup faut comprendre, mais davantage elle n’aurait pas supporté…

Alors elle a démonté vite fait, bien fait le montant cassé, elle était sacrément bricoleuse ma mère, puis elle est partie mi-marchant, mi-courant chez un petit menuisier qui bricolait dans un pauvre atelier au milieu d’un jardin près de chez ma grand-mère. Monsieur Lacroix il s’appelait, et je pense qu’il venait plus là pour avoir la paix que pour gagner de l’argent, il était déjà âgé quand je l’ai connu.

Il fabrique donc une plaque en laiton qu’il visse sur le montant afin de réunir les deux parties cassées, ma mère le paie, puis elle rentre bien vite, remet le tout en place. Lorsque mon père est rentré le soir, il n’en a rien vu, ni su. Je crois qu’elle le lui a appris bien plus tard.

Bien après, ce montant a été refait entièrement puis remplacé. J’ai hérité de ce lit, mais je ne fais plus de trempoline. J’vous vois v’nir, on ne commente pas la dernière phrase !

Un autre joli jeudi, un voisin vient avec son "meccano", des belles pièces peintes en bleu avec des filets jaunes, les barres arboraient une jolie teinte dorée… Une merveille, les boulons avec leurs écrous carrés, les jolis axes chromés avec les clips qui servaient de butées pour les roues et autres poulies à gorges.

Nous fabriquons une cabine de téléférique, le chef-d’œuvre achevé, nous montons dans notre chambre située au premier étage, lançons une ficelle. Moi, resté en bas, je tends la dite ficelle et l’enroule autour d’un pieu. Une autre ficelle attachée à la cabine afin de la remonter une fois rendue en bas.

Et tout le monde dans la piaule, laissant descendre le téléférique, puis le remontant chacun notre tour (ou presque), et ce au cœur de l’hiver, ça caillait bien ! Ma mère rentre, elle s’était absentée je ne sais pourquoi.

- Il fait sacrément froid, dit-elle en ouvrant la porte.

Dans la foulée, elle grimpe l’escalier et nous trouve là, fenêtre grande ouverte, deux ou trois gamins "de la rue" dans la piaule !

-Je chauffe pour la rue ! s’exclame-t-elle. PIF PAF, encore une fois !

Les potes faux-derches :

- Bonjour M’Dame ! Bon, eh ben, on s’en va…

Courageux les potes mais pas téméraires.

Les bagarres à coup de boules de neige… En 1946, il en était tombé énormément, 50 centimètres en région parisienne … Exceptionnel, je me souviens que dans ma rue les hommes avaient déblayé les trottoirs afin que l’on circulât plus aisément, et cela faisait une sorte de tranchée un peu tortueuse. Comme j’étais tout minot, la neige de part et d’autre du chemin me semblait bien haute.

En quarante six, afin d’obtenir de la viande, du pain ou encore du lait et autres produits, il fallait fournir des tickets. Ces coupons étaient distribués chaque mois, et la quantité variait selon l’âge : J1 les bébés ; J2 un peu plus âgés ; J3 adolescents ; et les travailleurs de force avaient droit à des rations supplémentaires, tels les mineurs de fond, les terrassiers ou autres….

Bien sûr, pas question de gaspiller les rations compte-gouttes. Alors, ce beau jour de neige, l’un de nos voisins de l’âge du frangin revient de la MAGGI - chaîne de commerçants spécialisés dans le B.O.F. (beurre œufs fromages). Autrefois, on désignait par BOF les commerçants parvenus, en référence aux salopards qui s’étaient enrichis grâce au marché noir, au détriment des pauvres gens qui crevaient la dalle, certains avaient même par obligation placés leurs enfants chez des paysans à la campagne. Mon épouse en a été, elle en garde un excellent souvenir car ces fermiers de la Creuse étaient vraiment des braves gens, qui ont traité l’enfant qu’ils avaient en charge comme leur propre fille. Comme quoi, même dans les heures les plus sombres, on peut faire de belles rencontres.

Donc ce brave Jeannot revient de la Maggi avec, comme la Perrette de la fable, sa petite boîte à lait en aluminium, vachement bien cabossée, tu penses, à la main. Il tombe sur mon frère plus prompt à dégainer que Lucky Luke lui-même, il lui balance une boule bien compactée. L’autre morfle en plein dans les carreaux (il était binoclard comme mécolle). Le v’là qu’il se met à gueuler comme goret que t’égorges, lâche le bidon, et le précieux liquide qui se répand comme celui des producteurs de lait en colère aujourd’hui (en moins forte quantité tout d’même, restons crédible). La mère Poissard, sa vioque, qui s’pointe à la f’nêtre :

- C’t’encore l’aut’ salopiot qui fait des siennes, et tout mon lait qu’est foutu ! Merde de saloperie d’fumier d’lapin…

Mon frère, n’écoutant que son courage, rentre à la maison, non sans avoir promis à l’autre enflure une trempe. La mère Poissard sonne chez nous, ma mère ouvre :

- C’t’encore vot’fils qu’a fait l’con, j’ai perdu tout mon lait !

- Hein ? Quoi ? Qu’est-ce ?

Enfin, après moult discussions, ma mère a dû se séparer de sa ration quotidienne de lait au profit de l’harangère, et mon frère recevoir sa énième engueulade.

Oh, bien sûr, il enchaînait les conneries, il était du genre "remuant", mais il avait grand cœur et aurait donné sa chemise… Même à plus riche que lui !

Et puis je veux lui rendre cette justice : dans le quartier, chaque fois qu’il y avait une connerie de faite, c’était le frangin le coupable, même s'il était absent… Comme quoi : on ne prête qu’aux riches !

< 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 >