Par Tant-Bourrin,
vendredi 5 janvier 2007 à 00:11 ::La vraie vie
Il y a quelque temps déjà, je vous avais narré ma petite expédition commando destinée à dégonfler la baudruche Saoul-Fifre (d'un point de vue pseudo-culturel, s'entend, c'est une image ! Parce que pour ce qui est de la bedaine...).
Or donc, constatant qu'il la ramène toujours autant, j'ai à nouveau organisé une petite opération d'infiltration visant, cette fois,
sa bibliothèque (prétendument emplie de la crème du bon goût littéraire).
Pour ce faire, un complice a attiré Saoul-Fifre hors de chez lui en se cachant dans les fourrés et en imitant le cri du cubicube de pinard. Une fois la place libre, je m'y suis introduit et j'ai enfin pu voir de visu la bibliothèque du Souf'... Eh bé, ce n'est pas glorieux !
D'ailleurs, pour vous en convaincre, j'ai photographié quelques-uns des bouquins qui s'y trouvaient. Jugez plutôt...
Maintenant que ses lectures sont sur la place publique, j'en connais un qui va peut-être la mettre en veilleuse maintenant, non ?
Il est de bon ton de se moquer d'Enrico Macias, de ses chansons dégoulinant de bons sentiments altruistes mais qui jurent un peu avec les poignées de portes en or de son appartement parisien, de son mondialisme du cœur un peu cucul la praline, mais s'il n'avait pas existé, les 2 millions de rapatriés qui ont déferlé sur la métropole en 62 n'auraient pas tout à fait eu le même moral. En chantant son Algérie, notre Algérie, et en rencontrant ce succès incroyable auprès de vous "les patos", il nous a redonné la fierté, nous a consolé de la perte de notre pays.
"Les filles de mon pays", "Paris tu m'as pris dans tes bras", "Guitare, guitare...", "Poromponpéro", "Les gens du Nord", c'est chouette, c'est consensuel, c'est dansant, c'est gai et dynamique, bravo ! Mais notre chanson chérie à nous, la famille, et je pense aussi la chanson importante pour tous ces pieds-noirs agriculteurs, qui, comme tous les paysans du monde, ont un rapport très possessif à la terre, c'est cette chanson absolument phénoménale qu'est l'île du Rhône :
Des années après, des frissons nous parcourent systématiquement à l'écoute de ce morceau. L'auteure officielle, Anne Huruguen, a fait très fort : elle a décrit exactement les sentiments que nous ressentions, elle a mis le doigt là où ça faisait de l'effet, elle a enfin dit l'abandon, le courage du recommencement, mais surtout l'inquiétude, la confiance mise à mal, le "jamais chez soi nulle part"...
L'ÎLE DU RHÔNE
(Paroles: A. Huruguen / Musique: E. Marouani, E. Macias)
On s'en allait, chassés par le cyclone
Et sur la route on nous avait jeté
Mais quand on fût près de l'île du Rhône
On a compris qu'on était arrivé
On a compris qu'on était arrivé
L'île du Rhône semblait nous attendre
L'île sauvage, douce à l'homme oublié
On a percé sa glaise humide et tendre
Pour y planter nos tentes et nos pommiers
Pour y planter nos tentes et nos pommiers
Que c'était bon d'arracher les broussailles
Nos mains faisaient reculer la forêt
Quand notre terre nous ouvrait ses entrailles
Que c'était bon d'y planter nos pommiers
Que c'était bon d'y planter nos pommiers
Etes-vous fous nous disait le village
Connaissez-vous le Rhône de chez nous
L'avez-vous vu quand il est par l'orage
Gros de la Saone et qu'il pleut sur le Ventoux ?
L'avez-vous vu dans ses grandes colères
Plus dangereux qu'un archange brutal
Tous les cent ans, la chose est légendaire
Quatre ou cinq fois il nous fait bien du mal...
On a gardé les amarres à nos barques
Car si le Rhône nous donne encore vingt ans
Chaque matin, chaque heure est un miracle
Le sirocco n'en laissait pas autant
Le sirocco n'en laissait pas autant
Regardez-la, c'est notre île cantique
C'est un poème, un bouquet de couleurs
C'est notre terre et c'est notre Amérique
L'eau de ses bords fait le tour de nos coeurs
L'eau de ses bords fait le tour de nos coeurs
Car tous ces jours où l'on courbait l'échine
Pour préparer le sol de nos pommiers
On avait tant, tant besoin de racines
Que c'est aussi nos vies qu'on a planté
Que c'est aussi nos vies qu'on a planté.
Enrico recherchait son public et ne voulait surtout pas passer pour un aigri, mais là, il se lâche, sous couvert de métaphores :
On s'en allait, chassés par le cyclone, et sur la route on nous avait jeté...
L'île sauvage douce à l'homme oublié...
Notre île à nous fut d'abord dans le Périgord, et c'est vrai que si le départ est dur, l'arrivée sur une nouvelle terre à défricher est belle :
On a compris qu'on était arrivé : l'île du Rhône semblait nous attendre...
C'était aussi une île : il fallait traverser un pont sur un petit ruisseau, la Lidoire, pour arriver chez nous, un endroit plus isolé (étymologie exacte du mot île), tu meurs... Cette notion d'île, de terre environnée, protégée par l'eau, m'a poursuivi toute ma vie. J'ai phantasmé sec sur les voyages au long cours en solitaire, sur le concept ridicule du "bon sauvage" habitant les îles sous le vent où des vahinés disponibles viendraient m'apprendre le bonheur. Des auteurs un peu plus sérieux comme Victor Ségalen et ses "Immémoriaux", Robert Merle et son "Île", "Sa majesté des mouches", de William Golding, R.L. Stevenson, se sont chargés de rabattre un peu mon enthousiasme romantique...
J'ai vécu un an dans "le château de l'isle", dans le Haut-Médoc. Là aussi, il suffisait de passer le pont pour venir chez nous...
J'ai bien entendu écrit mon hommage à celle qui a tant occupé mes pensées. Je ne suis pas du tout content de ce texte mièvre et mou, mais bon, puisque j'aborde le sujet, pas de chance : vous n'y coupez pas !
Mon île à moi
L'île au bout du vent
Combien de fois
Tel un petit enfant
Je t'ai pleurée,
Serrant les poings ?
Nulle ne m'a consolé
Tu es si loin
Aux alizées...
Mon île à moi
Je te sens souvent
Auprès de moi
Belle navigant
Tes poissons bleus
Tes coquillages
Me lavent le fond des yeux
Dans ton sillage
Si sinueux...
Mon île à moi
Princesse sirène
Je te tutoie
Tu sourcilles à peine
Je salivais
Sur ces trésors
Qu'on ne peut arracher :
Lueurs d'aurore
Sur toi penchées...
Mon île à moi
Tes rivages blancs
La nuit, m'envoient
Tes beaux goélands
Qui, d'un coup d'aile
Par dessus l'onde
Me posent à l'archipel
Quelques secondes
Une étincelle...
Mon île à moi
Tout au bout du quai
Dans quelques mois
Je m'embarquerai
Déjà j'entends,
Incantatoire
Ta brise pianotant
Un air du soir
À quatre vents...
Mon île à moi
Entends cet appel
Tu m'attendras
Sur la passerelle
J'aurai crevé
Toutes les vagues
Et je m'imprégnerai
D'arômes, d'algues
Et de beauté...
Et aujourd'hui aussi, je me suis trouvé une île ! Il faut passer un pont pour venir chez nous. Mon beau-père disait souvent : "Ils sont trop cons. On a qu'à faire sauter le pont et déclarer la "République du .... indépendant" !" Pour la Fête de nos 10 ans de mariage, j'avais repris l'idée et dessiné ceci sur les faire-parts.
On en sort pas...
Que c'était bon d'arracher les broussailles, nos mains faisaient reculer la forêt, quand notre terre nous ouvrait ses entrailles, que c'était bon d'y planter nos pommiers
Nous, c'était des amandiers (c'est quand même plus adapté), mais l'idée est la même. Et la conclusion également.
On avait tant, tant besoin de racines que c'est aussi nos vies qu'on a planté
Par Tant-Bourrin,
mardi 2 janvier 2007 à 01:11 ::Tu me play ?
Tiens, une petite charade pour commencer l'année, spécialement concoctée pour vous... Cela fait longtemps que je n'ai pas testé votre niveau d'éveil, et après les agapes de ces derniers jours, le résultats peut être cocasse.
Mon premier est ce que l'on soupire en constatant qu'une personne mal élevée et indélicate rode dans les rues de la ville.
Mon second est
Mon troisième est le résultat foireux du tour de magie de la femme coupée en deux, pratiqué par un mauvais magicien sur sa partenaire Lucette.
Mon quatrième est ce que dit la femme de Dominique, Corse de son état, à propos des envies lubriques de son mari dès le chant du coq.
Et mon tout est de saison.
Voilà, c'est tout, à vous de chercher un peu. Comme j'ai la flemme de gérer les réponses par mails, vous pouvez faire comme d'hab', à savoir proposer vos (bouts de) réponses dans les commentaires.
Par Saoul-Fifre,
lundi 1 janvier 2007 à 13:00 ::General
Ha pour sûr qu'on a bougé, hier soir, tu m'étonnes que toutes les photos soient floues ? Et y avait pas que l'appareil qui voyait flou, ou double, ou triple, ou brouillamineux, et où est le décodeur, quelqu'un sait-il où est passé ce putain de décodeur, je l'avais posé derrière la bouteille de quetsche, ha c'est palpitant de se taper le réveillon en brouillé ?
Non, sans dec', ya encore des fêtards qui savent se poiler.
Par Tant-Bourrin,
samedi 30 décembre 2006 à 00:11 ::La vraie vie
Les vieux copains d'enfance avec lesquels on a perdu le contact, qui n'a pas rêvé un jour de les revoir et de renouer les fils que le temps a décousu ? Je n'échappe pas à la règle et je vais ici vous le conter. Mais recommençons au tout début.
J'aurais bien du mal à décrire ma toute première rencontre avec Thierry, tant elle se perd au fond de ma mémoire : je l'ai quasiment toujours connu, puisque nos chemins se sont croisés dès l'école maternelle. Lui plus dégourdi que moi, plus rieur, plus extraverti, déjà près à dévorer la vie à pleines dents. Et moi, le timide, le prudent, le réservé, je me contentais de le suivre. Une telle configuration aurait pu facilement conduire à un rapport dominant/dominé, mais Thierry était la gentillesse même et cela n'a jamais été le cas.
Nos parents respectifs se connaissaient un peu déjà. Je me souviens de ces retours de l'école où cela papotait gentiment, les adultes entre eux, et les enfants de leur côté. Les chemins se séparaient à deux cents mètres de la cité HLM où j'habitais alors, ses parents habitaient dans une petite rue près du pont sur la voie ferrée.
Et puis vint l'entrée à l'école primaire. Toujours inséparables, toujours assis côte à côte, comme sur les photos de classe de cette époque. Apprentissage du calcul. Apprentissage de la lecture avec "Zizi et Panpan" (ne rigolez pas, je vous jure que mon livre de lecture s'appelait comme ça !). Et puis surtout les récrés, ces quarts d'heure de liberté qui paraissaient alors une éternité de bonheur inépuisable.
Et puis il y eut le séisme. L'appartement devenait, au fur et à mesure que je grandissais, décidément trop petit : quatre enfants à dormir dans la même chambre (dont un de mes frères sur un lit de camp), ce n'était pas tenable à long terme. Alors un jour, il y eut le déménagement. Oh, pas très loin, à moins d'un kilomètre, mais suffisamment loin pour nécessiter un changement d'école lors de mon entrée en CE2. Et de copains de classe par la même occasion.
Et malgré tout ça, l'amitié survécut encore trois quatre ans, surtout pendant les vacances scolaires durant lesquelles Thierry passait ses journées chez ses grands-parents, non loin de mon nouveau chez moi. C'était alors des balades à vélo à n'en plus finir, les jeux de sociétés dans lesquels Thierry excellait à me faire mourir de rire en faisant toujours le con, les bonbecs fabuleux qu'on piquait qu'on achetait chez le marchand et qu'on savourait à l'ombre des platanes sur la place du quartier.
Et puis tout finit un jour. A se voir peu, on finit par se voir très peu, plus plus du tout à l'adolescence. Parce que d'autres copains. Parce que l'éloignement. Parce que plus les grands-parents. Parce que, quoi ! La vie, c'est très con parfois...
Près d'un quart de siècle s'est écoulé alors comme dans un rêve, à s'agiter vainement pour faire semblant de vivre, et cela faisait longtemps que, régulièrement, je repensais à Thierry et me disais que ça serait sympa de se revoir un de ces jours, histoire de découvrir ce que la vie a fait de nous. Oui, mais il y avait toujours autre chose à faire, de tellement plus important, tellement plus urgent. Et j'y repensais quelques semaines plus tard de nouveau, en me promettant de bientôt le faire. Et j'y rerepensais un mois plus tard, me disant que c'était ballot d'avoir oublié, mais me promettant de le contacter dès que j'aurais un peu de temps.
Et puis j'ai appris un jour que Thierry venait juste de se donner la mort, le premier janvier 2004, il y a quasiment trois ans jour pour jour, en laissant deux gamins de 5 et 9 ans orphelins et en mettant fin à mes piteuses tergiversations.