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lundi 30 janvier 2006

Saoul-FifreMa dernière séance

Nous ne sommes pas des fanas de cinéma, nous voyons grand max cinq ou six films par an. Je déteste sortir de la salle en pensant "Bof...", donc on sélectionne. Le grand écran est super, mais je préfère encore repérer sur un programme télé un film mythique, un film qui a résisté au temps, et filer le voir chez ma belle-mère...

Bon, faut dire qu'en province, les salles ne prennent aucun risque. Ce sont des américanades qui sont sûres de faire du chiffre, les quelques sorties matraquées à la télé, soutenues par la promotion de grandes vedettes. Pas question de programmer de temps à autre des auteurs à la rentabilité non garantie ou des rediffusions. En plus, à Salon-de-Provence, qui est notre ville de proximité et le siège de l'Ecole de l'Air, c'est "films de pilotes avec des conflits internationaux avec Tom Cruise ou Schwarzennegger obligatoires".

À Paris et dans les grandes villes, j'imagine que le concept de salles d'Art et d'Essai existe encore, non ?

En plus, ce qu'est devenue l'ambiance des salles obscures a plutôt un effet repoussoir sur un garçon bien élevé comme je le suis. Le papier-cristal qui enveloppe les bonbons "Mi-cho-ko" ou "La pie qui chante", c'est fait exprès pour me faire crisser les dents, ou je suis parano ? Les gros porcs qui mangent leurs pop-corns la bouche ouverte, en en faisant tomber sur vous ? Ceux qui s'amusent à souffler dans la paille de leur coca pour faire des bulles, au lieu d'aspirer ? Ceux qui commentent ? Ceux qui racontent la suite aux copains, vu qu'ils l'ont vu déjà trois fois ? Les soupirs des anges ? Vous avouerez que, sans être misanthrope (et je le suis), ya de quoi préférer rester chez soi devant un bon livre...

En ce moment, je suis dans "Comment je suis devenu stupide", de Martin Page, que nous avait conseillé Audalie. Excellent. Merci du tuyau, Audalie !

D'abord, dès l'entrée dans la salle, je flippe. A l'allure dingue où il surfe sur son ticket, tout le long de son étroite pellicule qui plonge dans un cinéma, j'ai toujours la trouille qu'il se casse la gueule, l'autre Jean Mineur, là !!

Enfin, je finis par surmonter mes phobies, et, suivant les avis éclairés de Byalpel , on est allé voir "Je vous trouve très beau". Et ben, David, je te remercie du bon plan ! Profondément. Merveilleuse histoire qui finit bien, mais de justesse. J'ai pleuré deux fois : à la scène de la cabine téléphonique, et à la fin. Qu'est-ce qu'elle joue bien, la Eléna !! Ça, c'est un prix d'interprétation féminine crédible. Pas comme Valérie Lemercier dans "Palais Royal" (il paraît qu'elle est nominée ! J'adore Lemercier, mais pas dans "Palais Royal" !). Michel Blanc est très bien aussi. Il a la sobriété de jeu des vrais grands.

Je relaie donc la chaîne et conseille ce super film très émouvant à tous. Et particulièrement à Anténor . Cela peut sembler paradoxal, puisque l'histoire se termine bien, mais il lui suffira de partir cinq minutes avant la fin, et ses sado-tendances seront comblées. Par contre, peu après le début, il va y trouver une scène du plus pur anténoresque. Je suis bien certain qu'il achètera le DVD dès sa sortie pour se passer l'extrait en boucle. Le plouc se retrouve veuf, et n'a bien sûr jamais daigné jeter un œil sur la machine à laver. Le CHAT se retrouve enfermé par erreur dans la machine à laver à HUBLOT FRONTAL. Une dose trop importante de POUDRE À LAVER y est versée, et un mauvais PROGRAMME est lancé. La MOUSSE envahit la BUANDERIE, et le chat MEURT.

Notre Maréchal (que son nom et sa descendance - non, pas sa descendance - soit béni mille fois) aurait-il participé à l'écriture du scénario ?

dimanche 29 janvier 2006

Tant-BourrinLe grand jeu-concours polychrome de l'hiver

Tiens, me disais-je tantôt, cela fait un certain temps, pour ne pas dire un temps certain, que je n'ai pas proposé ici un de ces quiz musicaux qui ont bâti la renommée internationale de ce blog...

Le fait que je n'ai aucune idée de billet digne de ce nom n'entre bien évidemment absolument pas en compte dans le fait que je me répondis in petto : "banco ! allons-y, et en avant la zizique !"

N'ayant aucune envie de perturber mon cher lectorat (et accessoirement de me casser le cul), j'ai repris strictement le même principe que pour les jeux-concours précédents. Je refais néanmoins un copier-coller du réglement...

Ecoutez le fichier ci-dessous, composé de 10 intros de chansons enchaînées, essayez d'identifier le maximum de chansons, et envoyez-moi par mail (histoire de laisser tout le monde jouer) vos réponses sous la forme :

1 : nom de l'artiste - titre du morceau
2 : nom de l'artiste - titre du morceau
3 : nom de l'artiste - titre du morceau
etc.

Un nom d'artiste correct rapporte un point, un titre correct rapporte également un point. Je donnerai dans les commentaires les scores réalisés par les uns et les autres au fur et à mesure de l'arrivée des réponses. Le gagnant sera celui qui atteindra le plus grand score ou qui obtiendra le premier la note parfaite de 20. Il gagnera un cadeau d'une valeur inestimable : la publication de son nom dans un billet spécialement consacré aux résultats (amour, gloire et beauté assurés !). La date limite de participation ? Seules seront validées les réponses envoyées avant le lundi 30 janvier 2006 à 21h18 précises.

A noter, cette fois-ci, deux nouvelles, une bonne et une mauvaise. La mauvaise, c'est que le niveau de difficulté est sûrement plus élevé que les fois précédentes. N'hésitez donc pas à participer, même si vous n'avez que peu de réponses, cela pourra peut-être suffire. La bonne, c'est que j'ai introduit un fil conducteur parmi les morceaux, un point commun entre toutes les chansons qui, une fois identifié, pourra vous aider à orienter les recherches pour les morceaux suivants.

Allez, on y va... A vos marques... Prêts ?... Ecoutez !

(nb : pour ceux qui le souhaitent, le fichier mp3 peut être directement téléchargé ici)

samedi 28 janvier 2006

Saoul-FifreT'en mets trop, Paul !

La ferme était complètement perdue dans la jungle périgourdine. Celle où tous les étangs se ressemblent et ne peuvent servir de points de repère. Celle où les frondaisons des grands chênes cachent le soleil et font tourner le pauvre gars égaré en cercles concentriques. Ce qui n'est pas une mauvaise technique pour trouver les cèpes. Celle où les sangliers descendent la nuit en bande vers les habitations, juste pour faire du dégât, parce qu'ils s'ennuient, mais aussi un peu pour se nourrir. Celle où les anglois viennent disputer aux indigènes les gentilhommières, granges et autres anciennes maisons de serfs, en faisant monter les prix, dans l'unique but de venger le roi Richard Cœur-de-lion. Celle où les oies et les canards se mettent à claquer des dents quand arrive la froidure de décembre et les odeurs de cuisine.

Enfin, c'était une ferme "paumée de la vie", comme dit ma fille. C'était notre île déserte, et je la parcourais dans tous les sens, ivre d'odeurs, de sensations, d'images, de bruits. L'été, je squattais l'étang, en améliorant d'une année sur l'autre le modèle de mon radeau, en bois, avec des bidons vides comme flotteurs, et je me baignais. Ou j'organisais des courses entre des bateaux-bouts-de-bois dans le lit du ruisseau. L'hiver, si il gelait, on allait y glisser, avec cette pointe de nervosité à l'idée de la glace à l'épaisseur aléatoire. Le reste du temps, je m'enfonçais dans les bois, je construisais des cabanes dans les arbres, je faisais du vélo pour aller voir les potes, jusqu'à des quarante bornes aller-retour. On glanait, on glanait un max : des champignons, des châtaignes, des fraises des bois, des poires sauvages, des raisins, des mûres, des fleurs de sureau, de chèvre-feuille... J'étais capable de rester une heure immobile, à contempler le trafic d'une fourmilière, ou de mettre au point des tests de QI pour dindes. Je me dilatais la rate à les regarder tendre le cou dans un trou de grillage, essayant d'atteindre un tas de maïs proprement inaccessible, alors que la porte était grande ouverte, à vingt centimètres sur leur droite...

Je me suis gorgé de senteurs, j'ai stocké des couleurs, des bruissements, des appels au plaisir. La Nature m'a hypnotisé et m'a dit : "Tu m'appartiens.". Dans les lacs de ma maîtresse, j'étais un esclave heureux.

C'est dans ces eaux-là que mon père est mort, que ma mère a bradé la luxuriance et qu'elle nous a emmené dans ses bagages à la grande ville. J'ai envahi cette ville à la "donc il rotait" . Ce miracle immobilier m'était personnellement réservé de toute éternité. Je l'ai découverte comme un jeune enfant encore endormi se jette sur ses cadeaux sous le sapin. Ça réveille brutalement. Cette complexité des plantes et des bêtes, qui m'était fraternelle, je la retrouvais ici. La ville est aussi une jungle et la Vie est partout. À la Grande Bibliothèque du centre, tous les livres du monde m'attendaient, et tous les quotidiens, hebdos, mensuels, en lecture gratuite ! Déjà à l'époque, une discothèque de prêt existait... La ville regorgeait de Galeries de peinture. Comme il y avait marqué "Entrée libre", j'entrais. Quand je tombais à l'heure du vernissage, ça me faisait mon goûter. J'épluchais tous les entrefilets de "Sud-Ouest" et je me pointais à l'assemblée générale des cinéastes du Dimanche ou des potiers d'Art et d'essais, et partout où était précisé "Ouvert à tous". Une fois par an, le Grand Théâtre faisait "Portes Ouvertes" pour un de ses opéras. J'ai squatté les permanences rupines ou turlupines de tout l'éventail des partis politiques. Je m'infiltrais dans des réunions anarchistes où l'on voulait tout casser, en force, à sec, et chez les non-violents qui préféraient y mettre une noisette de vaseline. J'allais frapper aux portes des sectes, j'assistais à leurs sabbats, à leur "parlers en langues", à leurs baptêmes/concours de tee-shirts mouillés. J'acceptais des invitations dans des familles de barjots qui ont sûrement dû faire la Une quelques années plus tard. Je m'asseyais rue Ste Catherine et je regardais le défilé de mode de l'humanité, fasciné par tous ces visages, et avide de saisir comment se goupillaient les connexions dans nos crânes condamnés d'avance. Je rencontrais mes semblables et ils se demandaient après quoi ce gosse de 14/15 ans plutôt silencieux pouvait bien courir.

Puis j'ai fait la connaissance de Toulouse, cette porte de l'Espagne et du Sud, avec ses patios, ses repas de quartiers dans la rue et le rythme lent de ses quais. Je suis monté à la capitale, si belle, si nerveuse et si diverse. Si grande que le moindre déplacement prend un temps fou, et si grande gueule que les politiques y ont élu domicile. Je suis à l'aise à Marseille, où mijote à gros bouillons l'énergie de ceux qui y arrivent plein d'espoir, où la Bonne Mère couve de son regard protecteur tous ses petits, tout autour. Ou à Limoges, où les maisons de granit, et leurs habitants du même, résistent courageusement aux gels, à la gnole-maison et aux mini-déluges quotidiens.

La ville m'épate, m'embrouille et me refile ce qu'elle veut. Et j'adore me laisser faire. Si j'ai choisi de travailler à la campagne, c'est aussi pour le plaisir de retrouver la ville comme au premier jour, la redécouvrir sans me lasser, prendre mon bain de foule et repartir sans déception. Sur le long terme, je sais que je craquerais. Au jour d'aujourd'hui, il y a une seule ville dans laquelle j'accepterais l'immersion à plein temps, et je vous en parlerai une autre fois.

vendredi 27 janvier 2006

Tant-BourrinPretty bouseux

Imaginons la situation suivante : vous, la fine fleur de la bonne société parisienne, avez été convié à une soirée des plus huppées au cours de laquelle, vous n'en doutez pas, l'intelligence, la culture et le bon goût pétilleront tout autant que le champagne dans les flûtes de cristal de Baccarat.

Jusque-là, rien de bien alarmant, me direz-vous : vous ne déparerez en rien, bien au contraire, dans un aréopage de gentlemen tout en élégance et en savoir-vivre.

Hélas, il y a un petit détail fort contrariant : vous apprenez incidemment que votre cousin éloigné / co-blogueur (rayez la mention inutile) a été également, contre toute attente, invité à cette soirée. Et là, vous sentez votre front devenir moite, une froide et sourde angoisse vous envahit : votre cousin éloigné / co-blogueur (rayez la mention inutile) est un bouseux de la pire espèce, un gratteur de glaise mal dégrossi qui va assurément entacher lourdement votre excellente réputation.

Que faire ? Se tordre les mains, se lamenter, se morfondre ? Renoncer définitivement à toute vie sociale ?

Non, il vous faut réagir en adoptant un plan d'urgence ! Il vous reste deux jours avant la soirée fatidique, c'est assez pour tenter une transformation de la dernière chance : prenez votre cousin éloigné / co-blogueur (rayez la mention inutile) avec vous (ainsi que votre carte bleue), et en avant pour la métamorphose de l'extrême !

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jeudi 26 janvier 2006

Saoul-FifreLe chèque de Mamie

J'ai reçu ce matin un coup de fil de ma môman, légèrement colère de ne jamais recevoir de mercis, pour son chèque traditionnel de Noël, de la part de ses petits enfants, qui sont également mes enfants. Alors que ses autres petits enfants (elle en a 13 en tout), ceux de ses autres enfants (vous suivez ?), s'acquittent dans les temps de cette tâche respectueuse.

- Tu comprends, si ça leur fait pas plaisir, moi j'arrête tout de suite !
- Tu as raison, Maman !
- Et si ça leur fait plaisir, j'aimerais être au courant...
- Il faut pas se laisser marcher sur les pieds. Je suis entièrement d'accord avec toi, Maman !
- Bon, alors, tu leur transmets.
- Je n'y manquerai pas. Je pense que ton argument sera suffisamment convainquant.

Donc ce soir, je me suis fendu d'un discours moraliste au cours du repas. Qui a dû faire mouche puisque voici la lettre qu'a pondu le plus rapide, ou plutôt le plus inquiet à l'idée de voir les rentrées baisser, au prochain Noël.

Chère Mamie,

J’écris cette lettre pour différentes raisons ( excuses, remerciements, nouvelles entre autres ). Il me semble bon de commencer par les remerciements, ainsi je voudrais te remercier pour le cadeau de noël qui sera bien entendu utilisé pour faire tout plein de choses intelligentes (pour moi en tout cas ) achat de différentes babioles, musique, jeux, bonbons etc…… . Je continue cette lettre par les non moins importantes excuses pour le peu de nouvelles de ma part, mais je vais essayer de me trouver des raisons, tout d’abord peut-être est-ce par manque de temps, tu connais le légendaire attachement de mon père pour l’ordinateur ainsi que mon plus grand amour pour les jeux vidéo que pour l’écriture de lettres et c'est l’une des raisons majeures de mon retard, ensuite pour ne pas être le seul en faute je voudrais souligner que mes parents ne sont pas innocents non plus et il est certain que si ils ne me poussaient pas à rester enfermé dans ma chambre à bosser comme un esclave, j’aurais plus de temps pour faire parvenir des lettres (voilà pour la vengeance personnelle).

Et maîntenent passons au plus gros travail j’ai nommé les nouvelles !!!

Il me semble d’usage de faire un petit rappel sur mon humble personne (et bien oui vu le peu de nouvelles qui te parviennent de l’Est). Donc je disais : j’ai eu ce début d’année mes 17 ans et je suis désormais en 1ere, les profs jugeant qu’il m’était possible de passer au stade supérieur. Ils ne se doutaient pas de l’erreur monumentale qu’ils étaient en train de commettre. C’est ainsi que je me suis retrouvé dans une classe assez sympathique mais où le niveau scolaire me semble plutôt élevé et donc, résultat, où je me noie petit a petit. Enfin, enfin, tant que le cœur y est, et je ne suis pas encore redoublant, ça me laisse le droit d’espérer. Du côté familial, il me semble que tout est plutôt calme, mis a part une constante rivalité à propos d’un certain ordinateur qui semble opérer sur nous un sorte d’obsession constante.

C’est ainsi que je me retranche dans mes derniers retranchements, j’ai nommé : mes amis que je retrouve a peu près toutes les semaines, et avec lesquels je peux passer du bon temps (sorties , concerts , jeux )

C’est sur ces notes de bienséance et d’amitié que s’achève ma lettre et que je te souhaite toutes les bonnes choses possibles , je t’embrasse et j’essaie de te promettre des lettres plus rapprochées dans l’espace-temps.

M.

mercredi 25 janvier 2006

Tant-BourrinL'enfance à fleur de nerfs

   Tu la voyais pas comme ça ta vie,
   Pas d'attaché-case quand t'étais p'tit...

Il suffit souvent de peu. D'une goutte pour mettre le feu aux poudres. D'une étincelle pour faire déborder le vase. D'une chanson sur l'autoradio, entre deux clients, pour sentir ses vertèbres que l'on croyait robustes craquer sous la pesanteur d'une existence subie. De quelques paroles fredonnées pour déterrer le cadavre d'un enfant tout au fond de soi.

   Ton corps enfermé, costume crétin,
   T'imaginais pas, j'sais bien.

Il fredonna doucement lui aussi, l'humidité d'un mal-être au coin de l'oeil, puis sur la joue. Il fredonna dans les rues traversées de la ville. Il fredonna en roulant vers ce client potentiel, un prospect prometteur qui pouvait se révéler très intéressant en terme d'accroissement du chiffre d'affaires poil au blair et de part de marché de son entreprise poils qui frisent. Il fredonna aux feux rouges qui semblaient lui hurler "arrête-toi, cette route n'est pas la bonne"...

   Moi aussi j'en ai rêvé des rêves. Tant pis.
   Tu la voyais grande et c'est une toute petite vie.

Il fredonnait et ses yeux, retournés dans ses orbites, se perdaient en lui. Vers ses rêves perdus, fossilisés sous la gangue des jours sans envie. Vers ses joies oubliées, écartelées entre les "c'est la vie", les "il faut bien vivre", les "c'est comme ça" et les "il faut être raisonnable". Il fredonnait dans la chaleur des larmes versées.

   Tu la voyais pas comme ça, l'histoire :
   Toi, t'étais tempête et rocher noir.

Il chevrotait d'une voix chantonnante, hoquetait dans les flots d'une digue emportée, au volant d'une voiture grise dans les rues grises d'une grande ville grise, vêtu d'un costume gris, des idées grises plein la tête. Jaugeant les décombres de sa vie. Une vie routière. Une vie routinière. Dévoré par ses non-envies. Chiffre d'affaires. Marges. Prospects. Clients. Ventes. Bénéfices. Intéressement. Déplacements. Placements. Nausée.

   Mais qui t'a cassé ta boule de cristal,
   Cassé tes envies, rendu banal ?

Comment en était-il arrivé là ? A rouler dans les larmes de ses rêves évanouis ? A rouler ceinturé de sécurité sur son siège, à se laisser aller au ronronnement d'un moteur bien huilé, à oublier les dessins des nuages pour un horizon de bitume ? Oui, quand était-il passé de l'autre côté, du côté où l'on n'est plus ni indien, ni cow-boy, ni pirate, ni footballeur, ni astronaute, ni poète, ni rock star, ni explorateur ? Du côté où l'on n'est plus rien sinon un adulte qui bâtit sa carrière, gagne sa vie, épargne pour ses vieux jours ?

   T'es moche en moustache, en laides sandales,
   T'es cloche en bancal, p'tit caporal de centre commercial.

Rétroviseur. Tête de con. De con d'adulte. L'oeil morne. Fatigué. Usé. Sans la brillance des rêves au fond de l'iris. Rétroviseur. L'enfant qui sourit. Qui éclate de dents tant il rit. Rétroviseur. L'enfant noyé sous la graisse du confort. Du sens de la pente. L'enfant qui pleurait maintenant sous l'adulte.

   Tu la voyais pas comme ça frérot
   Doucement ta vie t'as mis K.-O.
   T'avais huit ans quand tu t'voyais
   Et ce rêve-là on l'a tous fait

Des jours, des mois, des années de malaise aussi grandissant que sa bedaine. A tout vouloir balancer par-dessus bord sans oser se l'avouer. Dans le déni de la grand voile qu'il voulait hisser avant de mettre cap au large. Des jours, des mois, des années à ne pas avoir ri à s'en décrocher les neurones. Pas chanté. Pas sautillé. Pas oublié.

Contact coupé. Frein à main.

   Tu la voyais pas comme ça ta vie,
   Tapioca, potage et salsifis.
   On va tous pareils, moyen, moyen...
   La grande aventure, Tintin.

Oui, sautiller. Hop ! Hop !... Et paf, shoot dans le caillou... et c'est le buuuuuuuut ! But fabuleux de l'avant-centre Lambert en pleine lucarne à la dernière seconde, c'est fantastiiiiique !

   Moi aussi, j'en ai rêvé des cornemuses.
   Terminé, maintenant. Dis-moi qu'est-c' qui t'amuse ?

- Ah, Monsieur Lambert ! Bonjour... Monsieur Pouchy vous attend. Suivez-moi, je vous prie, je vais vous conduire à son bureau...

Il marcha en canard derrière la secrétaire, lui tirant discrètement la langue par deux fois dans son dos. Puis il se concentra : il s'agissait soudain de progresser en posant le pied au milieu des carreaux, mais surtout pas sur la ligne noire des joints, sinon il tomberait en enfer.

   Tu la voyais pas ici, l'histoire.
   Tu l'aurais bien faite au bout de la Loire
   Mais qui t'a rangé à plat dans ce tiroir,
   Comme un espadon dans une baignoire ?

- Si vous voulez bien vous donnez la peine d'entrer...

Et il se la donna, la peine : il sauta à pieds joints vers avant, le plus loin qu'il put pour passer du couloir au bureau en volant, puis atterrit dans un fracas de chute, attaché-case, fauteuil de cuir, pile de dossiers et lui-même, tout mélangés sur le sol.

- Heu ?... Monsieur Lambert ?... J'espère que...

Mais non, même pas mal !

Il se releva crânement et se mit à chantonner :

"Mon client gentil,
Je vais te fourguer...
Mon client gentil,
Je vais te fourguer...
Te fourguer, à la volette,
Te fourguer, à la volette,
Des machines-outils"

- Monsieur Lambert ??? Il y a un problème ? A quoi jouez-vous là ?
- Je joue... je joue... approchez-vous, je vais vous le dire... je joue à... chat !!! C'est toi le chat, et hop, je suis perché sur le bureau, tu peux pas me faire chat !

   T'es moche en week-end, tes mioches qui traînent,
   Loupé capitaine, bateau de semaine d'une drôle de fête foraine.

Un quart d'heure plus tard, deux infirmiers débarquaient dans le bureau ravagé. L'injection le cueillit au creux du bras. Quand son regard s'ensommeilla, les cornemuses résonnaient toujours dans sa tête.


(crédits : extraits paroles & musique d'Alain Souchon/Laurent Voulzy - Le Bagad de Lann-Bihoué)

mardi 24 janvier 2006

Saoul-FifreL'homme AUX tracteurs

L'autre jour, Tant-Bourrin a parlé de moi comme étant "l'homme au tracteur" . Je n'ai pas réagi. Si je devais relever toutes les conneries qu'il peut sortir quand je ne suis pas là pour le corriger, je passerais ma vie à ça... J'ai 2 tracteurs. Un Avto, c'est vrai, et c'est un engin extraordinaire : comme les russes ont vécu un peu en dehors du monde, bien protégés par leur rideau de fer toujours baissé, ils ont développé des technologies complètement différentes et originales. Un paysan monte sur un tracteur, il sait le conduire, ils se ressemblent tous. Il monte sur mon Avto, à moins d'en avoir eu un lui-même, il est complètement paumé. Et puis, ça caille, en russie ! L'Avto a un refroidissement par air pour ne pas geler, ya pas de durites caoutchouc à la con qui traînent, pour pouvoir le dégeler le matin en faisant un feu dessous, ya 2 batteries en série pour avoir du 24 volts, tout est surdimensionné et ça tourne très bien à la vodka. Et bientôt au colza vu que la dernière loi agricole le permet. Je suis ravi-ravi de mon Avto.

Mais comme je suis pour le dégel des relations Est-Ouest, j'ai aussi un Ford. Et ma chienne Jade préfère le Ford, et c'est un euphémisme. Moi, je me marre : vous vous souvenez, dans « Le meilleur des mondes » ? « Que FORD soit avec vous » ? Dans le livre de Huxley, le principe divin est issu de la civilisation technologique la plus dure et la plus inhumaine qui soit et donc Dieu a pris le nom de FORD, le pionnier du travail à la chaîne sectorisé en Amérique. Nous sommes les deux pieds les deux mains dedans : le Dieu de Jade, c’est mon tracteur Ford ! Et Ford soit avec le malheureux qui y touche sans permission. Mon tracteur est TABU et la malédiction des sept cercles s’abat instantanément sur le téméraire qui ose violer ce sanctuaire sacré : le démon du dernier cercle lui saute au fondement. Les rares personnes à l’avoir entrevu en parlent, des tremblements irrépressibles dans la voix, comme d’une espèce de chien des Baskerville aux yeux rouges…

Une seule exception : mézigo ! Heureusement qu’elle se rappelle que je conduisais l’engin lorsque nous l'avons adoptée ! Quand même ! Je serais dans un brave purin, sinon ! Interdiction de bosser. Quoique. Je devrais pouvoir finir par m’y habituer… Très certainement, même. De toutes façons, il me resterait l'Avto. Celui-là, alors, elle s'en branle avec un os. Elle aurait le droit de vote, je suis sûre qu'elle voterait Bush car il est républicain. Quelle mentalité...

« Ô, Jade ! Viens ici qu’on cause un peu ensemble ? Alors, comme ça, tu laisses approcher n’importe qui de ton Dieu vénéré ? T’es virée, passe au bureau toucher ce qu’on te doit ! Ô ! Fais pas cette tête ! Laisse béton, je déconne… »

Ha ! C’est quand même bien agréable de rêver un peu de temps en temps… Non, en fait la religion de Jade est polythéiste. Chef d’atelier de son Olympe : le Ford. Elle m’accepte un peu comme son Hermès, le conducteur du char du soleil. Margotte, cela va sans dire, mais cela va mieux en le disant, est Aphrodite au teint de lis…

Mais n’en déduisez point que nos enfants sont tous hermaphrodites !?

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