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mercredi 4 juillet 2012

Saoul-FifreMargotte

La rencontrer pour la première fois, c'est un peu comme n'avoir jamais vu la mer, même pas à la télé, et enfin l'atteindre. Ça fout un choc. Ça en a flanqué à plein de gens, ça m'a filé une sacrée décharge, d'entrée, et ça en fichera à plein d'autres encore, si j'en crois les réactions que je peux surprendre, moi qui suis à ses côtés, en position d'observateur privilégié.

Elle fascine, elle interroge, par son mutisme dense, compact, phase d'analyse devant l'inconnu, qui évoluera vers plus de chaleur humaine si vous avez la chance rare d'être passés indemnes au travers de ses cribles critiques. C'est son regard droit, profond, présent à la relation, qui parlera pour elle au début, son visage atypique qui éveillera votre curiosité, ses longs cheveux "blond vénitien", parait-il, qui fouetteront vos fantasmes le long d'ornières creusées par les femmes mythiques éternelles chevauchant leurs ondulations sauvages.

Elle a su garder au fond de ses yeux cette flamme de phare porteur d'espoir pour des nageurs épuisés en dérive, jouets de courants contraires ou victimes espérées par les récifs. Des hommes la croisent au plus près et prennent la position instinctive du chien d'arrêt, le regard interloqué, un peu de bave aux commissures, aux ordres de leur cochon intérieur. Je le connais bien, ce moment hors du temps et des normes en vogue, pour l'avoir vécu et revécu. Des hommes lui décrivent les sentiments vrais qu'ils éprouvent et l'histoire se répète, repiquant à l'envi ce sentiment de déjà-vu. D'autres restent muets, ne parvenant qu'à rouler dans leur âme infiniment un trouble hors du champ lexical.

N'avoir que l'embarras du choix : cocagne, mais son choix est essentiellement d'ordre temporel.

Ou bien c'est "Tout de suite !", tu me plais à condition qu'entre nous cela devienne "Plus jamais !"... Je te choisis étranger, nomade dans l'âme, avec ton billet de bateau ou d'avion dans la poche, sans bagages et sans mémoire, sans remords ni culpabilité...

Ou bien c'est "Pour toujours !", et dans ce cas là, j'ai besoin d'un temps de réflexion pour m'engager dans la durée. Je recherche, pour que ma petite entreprise ne sombre pas dans la crise, un amant, mais aussi le futur père de mes enfants, leur éducateur, mon co-retraité et, soyons triviaux, un côté animal, mais quand même cultivé, un jardinier, un affineur de fromages, un lécheur de timbres soigneux et un défricheur de garrigue.

Sans grand espoir, je présentai mon curriculum vitae. Je vins à tout hasard avec mon kama-soutra illustré par Dubout sous le bras. Après moultes tergiversations et une longue période d'essai, j'obtins enfin mon CDI.

Et depuis, je ne compte plus les regards torves et incrédules, tant masculins que féminins, que je suis obligé de supporter, et que je vous traduis à la louche ainsi :

- Mais qu'est-ce qu'elle lui trouve ?!?!

dimanche 1 juillet 2012

Tant-BourrinTares trek (épisode 5)

An 2562. La Terre a, depuis près de trois siècles, intégré la Fédération intergalactique, regroupant des civilisations issues de milliers de galaxies différentes. Paix, connaissances et progrès règnent désormais en maîtres sur une immense partie de l’univers. Et chaque jour, des pionniers, à bord de leurs vaisseaux supraluminiques, explorent des espaces inconnus en quête de nouvelles planètes à pacifier.

Suite des épisodes 1, 2, 3 et 4



Crrrrrr... Tchffff... Blam !
Crrrrrr... Tchffff... Blam !
Crrrrrr... Tchffff... Blam !

Le pas moins léger que naguère du lieutenant Taanb-Ouhrin résonnait dans les coursives du Blogborygmus.

Crrrrrr... Tchffff... Blam !
Crrrrrr... Tchffff... Blam !
Crrrrrr... Tchffff... Blam ! CHTONGGG !

Le lieutenant retint un juron et massa son nez endolori suite à une énième collision frontale avec une paroi. Il avait loupé la porte de la salle de pilotage d'un mètre à peine, mais ce mètre-là coûtait bien cher à son appendice nasal martyrisé. Décidément, depuis sa dernière (més)aventure, il avait bien du mal à se faire à ses prothèses à vapeur.

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jeudi 28 juin 2012

Scout toujoursBernard Dimey

Mais qui était Bernard Dimey, ce poète parisien, amoureux de Montmartre, compagnon des ivrognes, des putes, des truands et des artistes, disparu si prématurément à l'âge de 50 ans en 1981, et à qui nous devons entre autres, deux des plus belles oeuvres de la chanson française ?

Tout d'abord Mémère , cette émouvante chanson taillées sur mesure pour un Michel Simon bouleversant jusqu'aux larmes, qui nous dépeint la complainte d'un vieux couple de Paname.

Et que dire de Syracuse , cette extraordinaire invitation aux voyages si merveilleusement interprétée par la douce voix d'Henry Salador, ce natif de Guyane qui mieux que tout autre pouvait imprimer dans les esprits cette nostalgie exotique si bien décrite dans la chanson.

Dimey écrivit pour les plus grands, d'Aznavour à Greco, en passant par Reggiani, Mouloudji et Montand.

L'interminable liste de ses poèmes serait trop longue à évoquer ici, citons simplement "le bestiaire de Paris", recueil de poèmes désespérés sur les bas-fonds parisiens.

Que rajouter de plus ? Rien, contentons nous simplement d'écouter ces deux chansons et disons nous que si le nom de Dimey est un peu tombé dans l'oubli, ces chansons elles, ont acquis une véritable immortalité. Même si les ruines de Syracuse disparaissaient dans un séisme, sa chanson survivra et continuera d'émouvoir les esprits, tant que la langue française existera. Dans cent ans encore, on aura la larmiche à l'oeil en écoutant la voix chevrotante de Michel Simon, et pour cela, je vous dis un grand MERCI Monsieur Dimey, vous nous avez beaucoup apporté.

lundi 25 juin 2012

AndiamoLa souris verte

C’est une belle journée de printemps. Eric Chalan sort de l’hôpital, sa petite valise à la main. Il est joyeux, un peu pâle certes, le long séjour sans aucun doute. D’un pas décidé, il se dirige vers la brasserie toute proche.

- Un demi s’il vous plaît, garçon !

Le « garçon » est une serveuse qui lui apporte son verre, avec juste de la mousse « comme il faut », ni trop, ni trop peu.

- Oh ! Excusez-moi, Madame, je vous ai appelé garçon, car habituellement…

- Oui, je sais, ça n’est pas la première fois…

- Je suis un peu perdu vous savez. Quand on sort de là...

Joignant le geste à la parole, il lui montre l’hôpital situé de l’autre côté de la rue.

- Oui, je connais, et vous savez où aller ?

- Ben… Pas trop, non, il y a si longtemps, alors les amis…

- Si ça vous intéresse, je loue une chambre de bonne au sixième, au-dessus de mon appartement, pour vous ça ne sera pas trop cher !

- Ça n’est pas de refus. Pour le paiement, je vais chercher du boulot tout de suite, je suis honnête vous savez !

- Je n’en doute pas une seconde ! Repassez ce soir à dix-neuf heures après mon service, je vous conduirai, j’ai une voiture.

A dix-neuf heures tapantes, Eric est devant l’établissement. La femme sort, caban bleu marine, petits escapins noirs, elle est âgée de quarante ans tout au plus, cheveux blonds, une très jolie teinture. Elle se dirige vers une Dauphine verte, ouvre la porte et invite l’homme à monter.

- Je suis un peu perdu, vous savez. Depuis le temps que je suis soigné, j’ai perdu le fil : les nouveaux francs, la vague des yéyés... Décidément, les sixties comme ils disent ont tout chamboulé ! Les Batteles notamment !

- Vous voulez dire les Beatles ?

- Oui, c’est ça, vous savez l’anglais et moi !

Après un parcours relativement court, ils arrivent devant un immeuble assez cossu de Meudon. Ils descendent, la femme précède l’homme, un antique ascenseur à grilles métalliques les conduit au second. Toujours devant, la femme ouvre une porte en bois exotique verni.

- Entrez et attendez-moi là ! L’homme pose sa valise sur une moquette bordeaux sans la moindre poussière, se penchant un peu, il aperçoit le séjour richement meublé.

- C’est joli chez vous !

- Je suis veuve, répond la femme qui s’avance une clé à la main. En mourant, mon mari m’a laissé tout ça (d’un geste large elle désigne l’appartement). Pour le reste, je suis obligée de travailler, mais je ne me plains pas : avec les pourboires, je gagne confortablement ma vie.

L’ascenseur les a mené au cinquième étage, le dernier, c’est à pied qu’ils l’ont gravi. Autrefois l’ascenseur ne desservait pas le dernier étage réservé aux gens de maison.

Une porte grise, une petite chambre mansardée, un lit, une armoire, une table, une chaise.

- Voilà, vous êtes chez vous !

- Je ne sais comment je pourrai vous remercier, Madame.

Nous verrons plus tard, le travail ne manque pas, vous trouverez rapidement un emploi. En attendant, je suis sûre que vous n’avez rien pour le dîner ?

- Euh... Non !

- Bon, je vous invite pour ce soir, descendez à vingt heures.

- Mais je…

- Allons, pas de chichis, ce sera à la fortune du pot !

Ding dong ! Vingt heures, Eric est sur le pas de la porte.

- Entrez, je vous en prie, je venais tout juste de nous préparer un apéro ! Vous aimez le whisky au moins ?

- Oui, oui, bien sûr !

A la tienne, à la mienne. Eric en est à son second verre, la tête commence à lui tourner. Le manque d’habitude, depuis le temps qu’il n’a pas bu une goutte d’alcool songe-t-il.

Soudain, tout bascule, sa vue se brouille, les meubles tournent, Eric s’écroule….

Une souris verte
Qui courait dans l'herbe
Je l'attrape par la queue...

La musique lui vrille les tympans, la sono diffuse à fond la comptine, Eric a froid. Petit à petit il émerge du brouillard, il ne sait pas où il est, ses mains sont attachées dans son dos.

Je suis nu comme un ver, voilà pourquoi j’ai froid, songe-t-il…

Je la montre à ces Messieurs
Ces Messieurs me disent...

Et la musique qui hurle !

Bordel ! Y’a quelqu’un ?

La musique soudain s’arrête.

- Soyez poli, Eric Chalan, on pourrait vous entendre !

Un rire suit cette phrase. Debout au bord de la fosse se tient la serveuse, elle tient une caisse serrée contre elle.

- Qu’est-ce qui vous prend, connasse ? hurle Eric.

- Allons restez calme et poli, Monsieur Eric Chalan. Là où vous êtes, nul ne peut vous entendre et encore moins vous secourir. Nous sommes en pleine cambrousse, ordure, dans une usine désaffectée. La fosse dans laquelle tu t’agites descend à trois mètres, les parois sont lisses. Le palan situé juste au-dessus m’a permis de te descendre « en douceur » : je ne voulais pas t’esquinter afin que tu profites au maximum du joli spectacle.

La femme a descendu la caisse de bois à l’aide d’une ficelle. Arrivée en bas, elle a tiré sur l’autre ficelle située sur l’un des bords du couvercle, des petits couinements se sont fait entendre.

- Mais ce sont des rats, ils sont peints en vert, c’est quoi cette horreur ?

Trempez la dans l'huile
Trempez la dans l'eau...

La chanson continue à se déverser dans les oreilles d’Eric

- Moins fort… Moins fort !

- Et en plus, ce sont des horreurs affamées : quatre jours qu’ils n’ont rien mangé, ces pauvres petits rats !

- Mais vous êtes qui à la fin ?

- Ah oui ! Je ne me suis pas présentée : Ariane Novelle, la Maman du petit Flavien, Flavien Novelle, tu te souviens ?

Tout lui revient, ce petit bout de femme au premier rang de la salle du tribunal, ce petit bout de femme se rongeant les ongles jusqu’au sang, se triturant les phalanges, à s’en faire péter les jointures… Tout lui revient, il ne l’avait pas reconnue, dix ans l’ont métamorphosée, en mieux.

Je me suis engagée dans cette brasserie située devant l’hôpital psychiatrique il y a six mois. Je savais que tu allais sortir bientôt. Et tous, je dis bien tous les anciens détenus, viennent s’en jeter un à la brasserie en sortant, il m’a suffit d’attendre !

La musique a repris.

Ça fera un escargot tout chaud.


Dix ans plus tôt...

- Il chantait « la souris verte », votre honneur…

- Vous regardez trop de films Américains Chalan ! Appelez-moi : Monsieur le juge !

- Bi.. Bien votre… Monsieur le juge, alors je n’ai pas pu résister, je l’ai fait monter dans ma voiture. Je n’ai pas pu résister, Monsieur le juge, c’était une pulsion !

- Une pulsion, Chalan ? Vous l’avez violé, un enfant de six ans, puis massacré, il n’y a pas d’autres termes, un acharnement pareil, nous n’avions jamais vu ça, Chalan… Jamais !

La peine de mort avait été requise par le procureur de la République.

La sentence est tombée, les avocats de l'innommable ont plaidé la non-responsabilité au moment des faits : quinze ans en hôpital psychiatrique surveillé. Dans la réalité après traitements, il sera déclaré « guéri » et sortira au bout de dix ans.

Dans la salle, Ariane, la maman de Flavien, s’est tordu nerveusement les mains. Elle a regardé le tribunal, incrédule : c’est tout ? a-t-elle murmurée.

vendredi 22 juin 2012

Saoul-FifreHuile rouge

Ma mère a eu beau plonger ses recherches généalogiques profondément dans le temps, elle n'a pas réussi à nous exhumer d'origines provençales. Catalanes, oui et aussi minorquines, alsaciennes, franche-comtoises, algériennes, mais la Provence a débarqué dans notre arbre par hasard.

Même du côté de Margotte, née à Marseille mais de lignées débarquant d'Aveyron, du Limousin, d'Italie ou du Béarn. Devant ce fait établi, nous n'avons fait ni une ni deux et sommes partis à la conquête de connaissances locales pour nourrir nos racines transplantées. La langue principalement car il faut des mots pour nommer les choses et comprendre les gens. Et puis la climatologie, très liée à la tradition avec ses proverbes prédictifs bien pratiques, les fêtes votives, ses jeux et ses symboles qui nous mènent tout logiquement à sa gastronomie et à la chimie des liquides. A ce stade du petit coup dans le nez, nous accédons directement à la culture de la joie, aux poètes et aux félibres, sans intermédiaires endimanchés. Les yeux sombrés dans ces constellations que notre ciel clair et pur rend fascinantes, nous comprenons mieux Mirèio. Le jour venu, les étoiles, ne tenant pas en place, s'appuieront sur leurs ailes et sillonneront l'espace en piaillant. L'ornithologie nous apprendra à saluer, de leur nom et d'un coup de casquette ces compagnons de vie, nos locataires du dessus.

Et l'indispensable botanique, bien sûr. Les plantes nous nourrissent, nous dessoiffent, nous meublent, nous condimentent, nous enjolivent et nous soignent. Justement, un des premiers stages de Flore et Vie que nous avons suivi, avec Margotte, était sur les herbes de la Saint-Jean. Car la Saint-Jean est la période de l'année où, sous nos latitudes, le soleil reste visible le plus longtemps et monte le plus haut au dessus de l'horizon. Les plantes "solaires", celles dont la quantité et la force de leurs principes actifs dépendent de l'ensoleillement, abondent et les herboristes savent que c'est le moment de les cueillir, de les préparer pour s'en servir tout au long de "l'an que ven". Il s'agit du caille-lait, de la cataire, de la reprise, de la toute-bonne, de l'armoise, du chrysanthème commun, de la cynoglosse, de l'immortelle jaune, de l'herbe-au-vent, de la mélisse, du bouillon-blanc, de l'épine-du-christ, de la rue...

Mais la plus célèbre, c'est le millepertuis, l'Hypericum Perforatum ou erbo de sant Jan, erbo de millo traou, Trescalan, en langue d'Oc.

On ne peut pas confondre cette plante avec une autre. Déjà ce petit buisson couronné de fleurs jaunes en cette saison attire l'œil de loin. Rapprochez-vous, prenez un bouquet floral et frottez-le entre vos doigts, ils devraient rougir. Allez, si vous voulez être bien sûrs, prenez une de ses petites feuilles et présentez-la au soleil. Ses rayons traversant la feuille par des dizaines de trous microscopiques vous indiqueront le pourquoi de son appellation en français. Nous sommes le 22 Juin, vous avez donc, selon votre lieu de vie, un mois pour préparer votre huile rouge. La plupart des sites internet qui en parlent vous conseilleront de ramasser votre millepertuis au midi solaire (14 h, en été). Permettez-moi de corriger ici cette erreur. Traditionnellement, les provençaux se levaient très tôt le matin du 24 Juin afin de se trouver aux lieux de récolte, au sommet des collines, au lever du soleil. Il faut ramasser les sommités florales encore noyées de rosée, et les tasser au fur et à mesure dans un petit bocal en verre. Quand celui-ci est bien plein, remplir les vides avec une bonne huile d'olives, fermer et abandonner le bocal en plein soleil pendant un mois. Filtrer, conserver votre huile rouge dans un flacon pendant 2 ans maximum. En fait les provençaux se faisaient leur "oli roudgé" tous les ans.

Plusieurs études scientifiques ont paré le millepertuis de qualités. Il serait analgésique, anti-inflammatoire, anti-dépresseur léger, anti-prurigineux, utile pendant la ménopause, en cas de règles douloureuses... Vous avez là surtout un produit cicatrisant à l'efficacité redoutable, tellement qu'il ne faut surtout pas l'utiliser sur plaies profondes : la plaie se referme si vite qu'elle risque d'emprisonner un foyer infectieux. Il est donc idéal pour :

- Brûlures
- Râpures superficielles
- Coups de soleil. En curatif ! En préventif, il a au contraire un effet inverse photosensibilisant. Ce n'est pas une crème solaire !
- Bonne huile de massage en cas de douleurs articulaires, rhumatismes, ulcères...

Perso, nous en avons été ravis pour nos trois enfants en période de couches. On nettoyait bébé à l'eau, on le séchait à la serviette, on l'enduisait d'huile rouge bien dans les plis et on lui remettait une couche propre. Pas un seul érythème fessier, ni boutons, ni démangeaisons... Ah ça ! On s'est pas ruiné en talc Mort-ange !

mardi 19 juin 2012

Tant-BourrinCroque en Jap

- Tant-Bourriquet, mon garçonnet,
Vas-tu enfin cesser de lire
Tous ces comic-books japonais
Qui ne feront que t'avilir ?

Car, dedans, point de phylactères,
Point de contenu alambiqué !
Qu'apprécies-tu dedans ? Mystère !
Je ne comprends pas, mon biquet !

- Mais le texte, papa, on s'en fout,
Car il y a la bonne mesure
De gros bruitages qui assurent
Et d'onomatopées de fou !

Tant pis si tu as des vapeurs !
Je trouve au fil de ma lecture
Le plaisant frisson de la peur
Et je m'ouvre aux autres cultures !

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samedi 16 juin 2012

Scout toujoursDieudonné de Cayenne

Dès mon arrivée à Saint Laurent du Maroni en 1986, le hasard fit que je cotoyai le dernier bagnard vivant encore en Guyane. L'homme était d'origine polonaise, il était particulièrement attachant et s'appelait Icek Baron. Il faisait office de bibliothécaire à l'hôpital de Saint Laurent, sa minuscule bibliothèque se situait entre le dispensaire où je travaillais et le service de médecine tous deux établis dans les anciens bâtiments du bagne. Nous nous retrouvions souvent lui et moi dans sa bibliothèque et j'avais plaisir à discuter avec lui, friand que j'étais de ses vieux souvenirs, lui qui avait vu et vécu l'enfer terrestre qu'était le bagne.

Un jour, je me risquai à lui poser la question fatidique : "qu'aviez vous fait pour vous retrouver au bagne ?". Il me répondit qu'étant engagé dans la légion étrangère, son officier l'ayant frappé, il avait tout simplement rendu le coup !! En insistant un peu, je finis par lui faire avouer que l'officier en question était mort des suites de ses blessures. Et j'appris plus tard que ce fameux coup rendu était en fait un coup de baïonnette bien appuyé... Non sans humour, il se plaisait à invoquer que si son geste avait été commis quelques mois plus tard, on lui aurait remis une médaille, eh oui l'officier était allemand et l'incident s'était passée en 1914 !

Un autre jour, il me confirma ce que je savais déjà, à savoir que Papillon n'était qu'un imposteur, qui s'était borné à se vanter des exploits de ses co-détenus, et surtout des exploits de l'un d'eux qui s'appelait Eugène Dieudonné. Ce nom m'interpela et je voulus en savoir plus. Alors Icek consentit à me raconter l'histoire de son camarade qui avait été emprisonné un an ou deux avant lui. Dieudonné était un anarchiste ami de Bonnot, le célèbre chef de bande qui terrorisa Paris dans les années 1912. A l'époque, un hold-up à main armée venait d'avoir eu lieu à la société générale de la rue Ordenner. La victime, un convoyeur de fonds, avait été blessée par arme à feu par un individu masqué qui était gaucher. Bonnot était anarchiste, et les brigades du Tigre qui n'y allaient pas par quatre chemins décidèrent d'arrêter tous les anarchistes sans faire de détail. Dieudonné était du nombre et fut reconnu par le convoyeur de fond, on se demande comment puisqu'il était masqué. Il cria son innocence, lui qui était droitier et qui avait un alibi (il était chez sa mère en banlieue parisienne au moment des faits). Il fut innocenté par Bonnot et par Callemin, tous deux étaient d'accord, c'était Garnier qui avait tiré. Néanmoins, devant l'insistance du témoin, Dieudonné fut condamné à mort puis gracié par Raymond Poincarré et sa peine commuée en travaux forcés. Au bagne, Il était devenu un détenu exemplaire malgré ses velléités à vouloir s'évader (1). Un jour qu'il était détenu aux îles du salut, il avait réussi une évasion spectaculaire, seul parmi les requins, sur un radeau fait de noix de coco et de troncs de bananiers, il avait regagné la rive. Malheureusement les courants ne furent pas favorables et il fut repris peu de temps après près de Kourou.

L'histoire commençait à me passionner et je pressai Icek de me raconter la suite. Il était tard, mais Icek se mit en tête de me raconter les deux dernières évasions de Dieudonné, celles qu'il connaissait le mieux. Une évasion, ça se prépare, pour cela, le plan est indispensable : le plan c'est une espèce de petit étui à cigare que les détenus cachent dans leur fion et qui contient une lame de couteau, une lime, et toutes leurs économies en billets roulés et en or. Les bagnards vendaient leur ration de pain pendant plusieurs années pour financer une évasion qui échouait la plupart du temps. Dieudonné avait organisé la sienne au village chinois de Cayenne qu'on appelle maintenant Chicago, près du lieu où je me suis fait agresser. Le rendez vous avec le piroguier avait eu lieu dans un bordel chinois. Dieudonné ne s'était pas laissé distraire par la pute chinoise qui cherchait à lui faire dépenser son argent, la "Belle", la vraie, celle qu'ils aiment plus que tout avait un autre charme que cette gourgandine un peu fanée. Rendez-vous est donc pris sur la crique Mahury avec quatre autres détenus. Les six hommes pagaient de nuit dans la pirogue et ne tardent pas à être enveloppés d'une nuée de moustiques qui ne les lâchera qu'à l'aurore. Quatre fois ils essaient de gagner la haute mer, mais quatre fois ils sont ramenés par le courant sur les sables mouvants. Enfin, après des efforts héroïques, ils finissent par réussir à franchir la barre, puis le piroguier hisse la voile, et voila nos lascars poussant des cris de joie en route vers la liberté. Le lendemain, ils essuient une tempête et la pirogue chavire. Chacun doit regagner la rive à la nage et traverser les sables mouvants. Pour avancer dans les sables mouvants sans s'enfoncer, il convient de marcher avec les jambes repliées et retirer ses jambes doucement, Icek me montre le geste. Malheureusement, l'un des évadés, moins adroit que les autres s'enfonce un peu plus à chaque pas et avance très lentement. La marée monte et le submerge peu à peu. On ne lui voit que les épaules, puis la tête, et lorsque seules les mains dépassent encore appelant au secours, le spectacle devient insoutenable. Dieudonné cherche à le secourir mais n'y parvient pas, c'est la fin. Arrivés à terre, le piroguier leur promet d'aller chercher de l'aide, mais les abandonne purement et simplement. Que faire, rentrer au bagne pour subir une peine de cachot, ou essayer de survivre en forêt, en proie aux chasseurs de prime, au risque d'y laisser sa peau? Deux d'entre eux préfèrent rentrer et Dieudonné reste seul avec un autre, vivant de cueillette et de pêche, dans une cabane au milieu de la forêt.

Mais il est très tard et je vois que Icek est fatigué. Je lui propose de remettre la suite de son récit au lendemain. Le soir suivant, il reprend son histoire : Dieudonné décide d'organiser une nouvelle évasion. Pour cela, il faut trouver d'autres détenus avec de l'argent. Ils ne tardent pas à se manifester et Dieudonné les enrôle avec un autre piroguier réputé meilleur marin que le précédent. Cette fois, la pirogue file vers l'est en longeant la côte. Après sept jours de mer, ils arrivent au Brésil. Enfin finie la peur d'être abattus comme des chiens par un chasseur de primes. Les quatre hommes débarquent et font 60 kilomètres à pied à travers la forêt amazonienne, rongés par le paludisme. L'un d'eux est blessé à la jambe, la gangrène s'installe, sa jambe empeste, mais à force d'efforts surhumains, ils arrivent tous quatre épuisés à Santa Isabel, vendent leurs dernières pépites pour se payer un billet de train jusqu'à Belem où ils arrivent en plein milieu du carnaval, portant leur camarade mourant sur leurs épaules et prétextant qu'il aurait bu un coup de trop pour n'être pas démasqués. Les voila inondés de confettis, baignés dans l'euphorie générale, jusqu'au domicile d'un ancien ami évadé, mais le blessé décède. Quelques mois après, les deux autres sont dénoncés, repris et extradés. Dieudonné reste libre. Il ne tarde pas à trouver du travail (il était ébéniste) et gagne honnêtement sa vie. Tellement honnêtement, que lorsqu'il est enfin reconnu à son tour, les brésiliens prennent sa défense et refusent de l'extrader. Il ne consentira à rentrer en France qu'à la condition que son procès soit révisé, ce qui finit par avoir lieu. Dieudonné sera réhabilité et retrouvera les sien pour mener une vie de famille paisible jusqu'à sa mort en 1944. Icek Baron vivra plus que centenaire jusqu'au début des années 90 : il n'avait pas revu la France depuis presque 80 ans.

Un jour, un médecin de Saint Laurent eut la néfaste idée de lui organiser un retour en terre natale, Icek ne reconnut pas son pays, il ne supporta pas le choc et décéda quelques jours après...



(1) Le bagne est "abominable", disait Dieudonné, et ses mœurs y sont abjectes, on y dépense toute son énergie à s'extraire du vice. La malaria et les mauvais traitement faisaient osciller le taux de mortalité entre 10 et 20% par an. Le bagne sera fermé en 1938.


Veuillez me pardonner mais j'ai écrit ce texte de mémoire, je ne suis pas certain de tous les détails.

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