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samedi 18 novembre 2006

Tant-BourrinLeçon de vie n°5

Amie lectrice, ami lecteur,

je le sens bien : le boeuf placide du temps a brouté les herbes folles de ton impatience depuis que je t'ai dispensé le substantifique foin de mes quatre précédentes leçons de vie. Ô, comme je devine aisément que la frêle marguerite de ta soif de savoir a dû devenir un puissant baobab sous la pluie lancinante des secondes écoulées depuis que j'ai moulé à la louche pour la dernière fois le fromage de mon vécu dans la faisselle de ton inexpérience !

Las, amie lectrice, ami lecteur, le faix de ton immaturité indécrottable me pèse autant que les lourdes valises de ta désinvolte irresponsabilité. Oui, insignifiant scarabée pusillanime, tu es mon sparadrap haddockien, mon phtirus pubis gonovore, la déjection canine à ma semelle collée. Car, pour ma plus grande affliction, je me suis donné pour sacerdoce d'être le grand frère rassurant dans la cité délabrée de ton existence, la tondeuse à gazon électrique qui coupe à ras la pelouse de tes névroses, le GPS intime de la Twingo de ta destinée, qui t'indique à chaque instant le chemin le plus direct vers la félicité et te prévient à l'approche des radars automatiques des vicissitudes humaines. Et crois-moi, ce n'est vraiment pas de la tarte !

Il m'eût paru souhaitable, jeune sarcophaga stercoraria inconséquent, de laisser la bride de la liberté sur le cou de ta propre expérience, tant il est vrai que c'est en goûtant soi-même à la merde du vécu que l'on affine les papilles gustatives de son épanouissement pour mieux la distinguer plus tard du chocolat de l'ataraxie.

Malheureusement, la serpillière de ma clairvoyance nettoie le linoleum de l'évidence : tu n'es pas encore prêt, petit cancrelat hésitant, et la main de ma responsabilité déroule le papier-toilette du devoir et tire la chasse d'eau de mes réticences. Je reviens donc ici te dispenser une nouvelle leçon de vie dont tu sauras, j'en suis convaincu, tirer le meilleur parti pour faire un pas de plus sur le chemin vicinal de la condition humaine qui sentira pour toi la noisette de la plénitude.

Tu n'es pas encore prêt, disais-je donc comme tu l'auras remarqué si tu as bien suivi, ami lecteur, amie lectrice, car, à l'instar de la coquette découvrant une tâche de vin sur sa belle robe blanche, je perçois encore en toi la souillure de la tentation de la violence la plus bestiale. Ne le nie pas, petite cicadelle pruineuse, j'ai passé l'aspirateur de ma curiosité dans les recoins poussiéreux du net et j'y ai débusqué, de-ci de-là et ailleurs, l'araignée de la fureur impétueuse.

Or, tu commences à connaître le grand timonier de ta pensée que je suis, je file toujours, tel le chat affamé se précipitant vers sa gamelle de Ron-Ron au poisson, à l'essentiel. "L'essentiel, toujours l'essentiel, droit à l'essentiel", telle est la devise à laquelle, tel un pou pubien intraitable, je me tiens fermement. Je laisse aux autres, aux beaux parleurs à la petite semaine, aux rhéteurs de bas étages, aux laïusseurs verbeux, le soin de continuer à mouliner ad nauseam leurs creuses paroles en de vaines volutes de mots ampoulés, en un sirupeux dégueulis de phraséologie boursouflée, en une écume excrémentielle de prosaïques insipidités. Car hors le message, point de salut, petit myriapode boiteux, et je ne vais certainement pas couper le fil de mon raisonnement limpide avec les ciseaux de la logorrhée la plus stérile qui soit. Concision, rigueur, sobriété, voilà qui caractérise mon discours tout autant que le doigt plongé dans la narine caractérise l'automobiliste arrêté au feu rouge. Alors que l'outrecuidante lalomanie de certains pipelets danse un fade slow au son de l'orchestre poussiéreux de leur fatuité, mes phrases claires et directes exécutent une époustouflante chorégraphie au rythme endiablé du boys band de ma dialectique. En effet, peut-être l'ignorez-vous, ma devise est "l'essentiel, toujours l'essentiel, droit à l'ess..."

Hein ? Plaît-il ? Qu'il y a-t-il, jeune longicorne cérambyx ? Je l'ai déjà dit ?... Tu en es vraiment sûr ?... Oui ? Ah bon !... Tu auras sûrement mal saisi une subtile nuance entre mes deux formulations, j'imagine !... Bon, voyons, où en étais-je ?... Ah oui, l'essentiel ! Je fais foin des circonvolutions verb...

Pardon ? Pourquoi m'interromps-tu encore, petit machaon impétueux ?... Quoi ? L'essentiel ?... Eh bien, justement, je suis précisément en train de t'en parler, de l'ess... Quoi ?... Je m'égare ? Mon message ?... Evidemment que j'allais y venir à mon message, le rail de ma parole ne connais que la ligne droite de l'efficacité... Oui, donc, mon message... heu... de quoi voulais-je te parler, en fait ?... Ah oui ! Ta violence larvée, c'est ça !

Or donc, disais-je il y a une seconde à peine, les abeilles de la clairvoyance ont déversé le miel de l'évidence dans la ruche de mon cerveau : je le sens bien, la vessie de ta réserve déborde de l'urine de la fulmination et tu as besoin, ami lecteur, amie lectrice, de faire une petite pause pipi dans les wawas de la violence.

Et c'est là que j'interviens pour dire halte-là, malheureux ! Ignorerais-tu donc, jeune anthrène naïf, qu'une fois percée la canalisation de tes pulsions tempétueuses, le plombier de la civilité est bien ardu à trouver ? Ne mesures-tu pas que le ridicule dont tu t'enduis est si épais que tu ressembles alors à un pâté en croûte ? As-tu donc tout oublié de la dialectique du Zizou et du Materazzi ?

En vérité je te le dis, ami lecteur, amie lectrice, il ne faut point ouvrir la cocotte-minute de tes humeurs les plus noires, le ragoût de ta colère est meilleur cuit à la vapeur, cela conserve mieux les vitamines de tes emportements. Le temps sauvageon a tagué ma chevelure à la peinture blanche de l'expérience, aussi tu peux me croire, jeune pois sauteur du Mexique, quand je t'affirme haut et fort qu'il vaut mieux laisser le 38 tonnes de l'imperturbabilité rouler sur le hérisson de ton ressentiment. En d'autres termes, si un léger échauffement ébranle quelque peu ton flegme habituel, néglige donc les écoulement urétaux ! Je traduis pour les quelques préadolescents en grande difficulté sociale qui auraient pu se glisser parmi mon lectorat : si t'es véner, laisse pisser !

Mais que vois-je, jeune orthétrum réticulé, pourquoi lèves-tu encore le doigt ? Je conçois que tu puisses être empressé de me remercier pour la limpidité de mon précieux message, mais tu pourrais attendre que j'en aie totalement fini ! C'est d'ailleurs presque le cas, je souhaitais juste vous remercier de votre att...

Pardon ? Que dis-tu encore ? Pas clair, mon message ?... Comment ça, pas clair ?... Quoi ? Je n'ai pas dit pourquoi ce n'est pas bien de céder à la violence ?... Ah, je te reconnais bien là, petit fourmilion flavicorne irréfléchi ! Pense bien à la chose, appuie sur le démarreur de tes neurones pour faire pétarader la mobylette de ta réflexion, et tu trouveras la réponse en toi ! Voilà, je vous remercie donc de vot...

Quoi encore ?... Comment ça, tu ne trouves pas ?... Mais c'est incroyable, ça ! Il faut tout leur dire à ces petits jeunes !... Eh bien, voilà, heu, tu ne dois pas céder à la tentation de la violence parce que... heu... bin... heu... parce que c'est pas beau de se mettre en colère, quoi ! Voilà, cette fois, je vous remerc...

Mais qu'est-ce que tu me veux encore, jeune pou teigneux ?... Quoi ? C'est un peu court comme réponse ?... Non, mais dis donc, petit morveux, tu te prends pour qui pour te permettre de juger ainsi de ce qui est bon ou mauvais, hein ? C'est encore couvert d'acné juvénile et ça voudrait en remontrer aux anciens pleins de sapience ! Mais ce n'est pas aux vieux sages qu'on apprend à faire la grimace, frêle lombric impudent !... Bon, l'incident est clos, je vous remercie de...

Quoi ??? Qu'est-ce que t'as dit, là ? Je suis un vieux nul, moi ? C'est ça que t'as dit ? Allez, allez, répète, couille molle ! Espèce fumier à lapin méphitique ! Troufignard chiasseux ! Fistule purulente ! Résidu de vidange ! Allez, viens te battre, qu'on voit un peu si t'en as, cloporte à purin !... Que de la gueule, hein ? Allez, ferme-là, ta grande bouche, y'a des colombins qui dépassent ! Sale marmouset empoicré de merde ! Petit Jean-Foutre de mes gonades ! Oui, c'est ça, casse-toi avant que je t'explose la gueule à coups de barre à mine, espèce de cloporte décérébré ! Béjaune à andouillers ! Castrat merdouilleux ! Sac à liqueur séminale ! Je t'urine à la rainure anale ! Je copule avec Madame ta mère ! C'est ça dégage, tu feras remonter le QI moyen de l'assemblée !... Non mais !... Heu... Bon, que disais-je ?... Heu... Oui, voilà, j'en ai fini avec cette leçon de vie, je suis sûr que vous saurez en sucer la tige pour en tirer la sève de la sérénité.

Je vous remercie de votre attention. Sortez en ordre et sans faire de bruit.

vendredi 17 novembre 2006

Saoul-FifreTant qu'c'est poilu et qu'ça pue...

À Louis

26 Février. 6 Juin. 22 Septembre. Et puis cette questionnante et bizarre veille du 11 Novembre. Cette année 2006 n'aura pas été bonne pour les derniers poilus de 14 / 18. Ils étaient 8 au début de l'année et ils ne sont plus que 4. Et l'année n'est pas finie.

Faut dire qu'on les emmerde, depuis qu'ils ne sont plus nombreux. Les journalistes viennent les voir, les filmer, les associations d'anciens combattants les démarchent, les politiques se font photographier à côté d'eux, ça coûte pas cher et ça peut rapporter gros.

Mais il semble qu'ils rechignent. Ils se font prier pour aller aux commémorations. 2 mois avant "l'armistice", rien n'était décidé, les décideurs et les communiquants étaient superinquiets. Ça y va la brosse à reluire dans le sens du poil. On leur envoie du lourd, des préfets, des ministres, et Jacques Chirac lui même y va de son célèbre serrage de louche. Il a affirmé que le dernier poilu aura droit "à des funérailles gigantesques, pas nationales, non, mais presque", comme le souhaitait Brassens pour la femme d'Hector. Certains pensent au Panthéon.

Le hic, c'est que beaucoup de poilus ont la dent dure et qu'ils crachent un peu dans le rata, quand on leur pose des questions. C'est pas le genre à dire aux jeunes "allez vous faire tuer la fleur au fusil". Les témoignages que j'ai lus sont plutôt dans la tonalité du film "Joyeux Noël". Européens, pro-allemands, passe, mais ils sont carrément pacifistes, ces icônes mythiques de la Grande Guerre, et ça, ça fait tache.

Louis, le nouveau doyen, fait très fort dans ses déclarations. Ça fait 2 ans que le Maire et le préfet essayent de l'amadouer en venant fêter l'armistice chez lui, en amenant champagne et gâteaux secs. Faut dire qu'il a toujours boycotté les commémorations. L'écouter est un bonheur :

En 1916, nous étions jeunes, patriotes et enthousiastes pour le combat, les peuples français et allemands avaient été montés l’un contre l’autre. On partait, on ne savait pas pourquoi, mais on y allait. Il faut avoir entendu les blessés entre les lignes. Ils appelaient leur mère, suppliaient qu’on les achève. C’était une chose horrible. Les Allemands, on les retrouvait quand on allait chercher de l’eau au puit. On discutait. Ils étaient comme nous, ils en avaient assez. Quand l’Etat major l’a su il a ordonné une attaque. La guerre ? Hay, hay, hay ! Un truc absurde, inutile ! A quoi ça sert de massacrer des gens ? Rien ne peut le justifier, rien ! C'est de la boucherie. La gloire, l’héroïsme ? De la fumisterie ! Le patriotisme ? Un moyen de vous faire gober n’importe quoi ! Les médailles ? Certains de mes camarades n’ont même pas eu le droit à une croix de bois ! Les décorations, c'est de la poudre aux yeux, ça rime à rien...

Revenu à la vie civile, quand ses enfants parlaient des "boches", il leur disait :

Vous devez les appeler "les Allemands". Les soldats français et allemands ont été manipulés. Des tas de gens ont été envoyés à la mort à cause de la bêtise de hauts gradés. C’était une boucherie qui n’a servi à rien et la guerre a, à nouveau, éclaté en 1940. Elles ont surtout permis aux industries de l’armement de faire de l’argent, en Allemagne comme en France.

C'est un gars qui a vécu l'offensive Nivelle, le célèbre "Chemin des Dames", 150 000 morts, qui dit ça. Qui est revenu vivant pour nous dire ça.

Bon. Mais on va quand même pas enterrer un anarchiste au Panthéon ??

jeudi 16 novembre 2006

ManouSouffrance culinaire


Au passage, je voulais vous conseiller d'aller voir la caverne d’Almeria que j'ai découverte entre les blogs de Yael et d'Ab6. J'y ai lu cette note dans laquelle beaucoup de femmes et d’hommes peuvent se retrouver.

D'ailleurs Almeria écrit : "... Je rappelle aussi que tout ce que je dis n'a pas uniquement une fonction cathartique pour moi, mais bien une valeur d'exemple, pour toutes les personnes vivant les mêmes choses que moi, mais n'ayant pas forcément les mêmes moyens pour le dire..." . Que oui.




Une rumeur relative à la souffrance (Byby, Yael, Ab6, Matthieu, Georgewalter,...) circule actuellement sur le net. Savez-vous qu’il existe aussi des souffrances culinaires, parfois extrêmes (tout est relatif) ?

Rapidement.

Un dimanche midi. Nous sommes invités chez de bons amis. Si d’aventure on s’essayait à déterminer une échelle dans l’amitié, on pourrait tenter la suivante :
Les amis sont ceux avec qui vous aimez vous retrouver.
Les bons amis sont ceux qui vous demandent d’être leur témoin de mariage (parfois plusieurs fois de suite).
Les très bons amis vous prient d’être parrain ou marraine de leur rejeton.
Les amis indéfectibles vous supplient de les euthanasier quand la vie leur devient intolérable.
Les amis défectibles vous zigouillent sans vous demander votre avis.

Bref, en l’occurrence nous mangeons chez de bons amis. Quand une chose informe est présentée sur la table. Une masse cylindrique d'un blanc terne et d'une consistance gélatineuse. Renseignement pris, il s’agit du dessert. Mon inquiétude vire à la peur-panique quand on nous informe dans la foulée que la recette initiale a été modifiée. Plus de chocolat, ni de sucre, ni de banane, mais du lait de coco reconstitué, de l’aspartam et des fruits au sirop. « Quelle chouette idée ! » hurle-je pour garder une contenance. Il faut manger. Je limite néanmoins les dégâts, précise que je ne suis pas très dessert et en profite pour repérer les toilettes. C’est simplement infect, sans goût, farineux, à vomir. « Cela ressemble un peu à du SMECTA aux fruits » susurre-je. Les yeux hagards, M opine de la tête en retenant quelques contractions stomacales.

Au bout du compte, je réussis à obtenir la recette complète (on a de bons amis ou on n'en a pas) et vous en ferai profiter dès la semaine prochaine.

mercredi 15 novembre 2006

Tant-BourrinCe soir, on vous met le fouet !

Me voilà ! Fais claquer sur mon dos cette trique
Et dans le même temps, je fais pan-pan cul-cul
Aux fessiers de mon choix, selon mes goûts lubriques !
Aaah, j'aime le SM, soyez-en convaincus !



Moralité :
C'est moi, fouette !
Je fesse qui me plaît, 'se qui me plaît, 'se qui me plaît
J'ai décidé ce soir de m'amuser




C'est de l'humour cinglant, ça,
où je ne m'y connais pas !

mardi 14 novembre 2006

Saoul-FifreFaire-part d'une paire de phares

Salut les nénés (et les nénettes), j'suis un peu débordé, je vous balance notre faire-part de mariage d'il y a 20 ans et c'est marre ! Une seule critique, une seule, et je fais comme ab6 , je chante ma souffrance...

Saoulfifre au texte, et Margotte au dessin.

lundi 13 novembre 2006

ManouViolence. Vukovar (Bernard Hreglich)

(C'est BYBY qui a demandé )

insulte
coup
humiliation
pendaison
mépris
indifférence
médisance
cris
explosion
blessure
viol
haine
meurtre
guerre
torture
sang
famine
froid
maladie
mouches
pauvreté
vermine
puanteur
exécution
douleur
pleurs
gifle (à un faible. Car gifle à un Old-Black, on appelle ça découverte ou suicide)

Et aussi toute la petite violence quotidienne :

Le réfrigérateur vide
La sac à linge sale plein
Le chauffe-eau en panne
Les WC sans papier
Le train bondé
Le petit orteil dans le pied du lit
L’absence de chaussettes dans l’armoire
La portière de la voiture se fermant sur la main
Le spaghetti coincé dans la trachée
L’eau brûlante sur le pied
Le réveil qui sonne


VUKOVAR

Pour Jean-Claude Renard

En sentinelle avec tes griefs, tes chevaux endormis,
Ton corps maigre sous la tenue réglementaire,
La plaine à tes yeux devient indicible ;
Un monstrueux terrain de chasse obscur, inopportun ;
Pauvre exilé ayant perdu ses légendes et l’espoir de fuir
Ce paysage de lacs et de pièges ;
Tu n’es plus
Qu’un pantin revêtu des couleurs militaires, avec le casque
Et le fusil, qui demeure selon l’humeur du temps
Aussi droit que possible, cherchant dans l’obscurité
Celui qui viendra te trancher la gorge, jeune homme
Comme toi mais plus vif et couvert de boue.

Avant la mort tu songes aux femmes qui pleureront,
Qui oublieront après cinq sacrificielles
Le nom de ton père qui mourut sous la neige
Monténégrine, et le tien ; tu porteras
Un grand nombre de coups pour défendre Vukovar
Avant de rejoindre cet exil où abondent les merveilles,
Mais nulle jeune fille pour répondre au chant de la fauvette.

Bernard Hreglich


Evidemment, je me dois de transmettre cette chaîne : Tee Bee (le chevaleresque), Michou (qui s'en fout), Bake (la toulousaine)

dimanche 12 novembre 2006

Tant-BourrinPour un peu de pouvoir

Dieu que le cuir de son fauteuil paraissait doux et sensuel à la main de Bruno Tartin ! Il savourait pleinement ces premiers instants passés dans son nouveau bureau. Son nouveau bureau de chef de service pour lequel, avec le départ annoncé de Monsieur Piécette à la retraite, il avait dû faire montre d'un dynamisme et d'une efficacité redoutable dans son travail ces derniers mois, les candidats potentiels à la succession étant nombreux dans le service.

Mais maintenant, c'était fait, le Directeur l'avait convoqué pour lui proposer le poste qu'il s'était bien évidemment empressé d'accepter.

Tout à son bonheur et à sa volonté de marquer rapidement son territoire, il décida de provoquer une série d'entretiens avec chacun de ses ex-collègues, désormais subalternes, pour leur assigner des objectifs ambitieux dans leur activité. Et aussi un petit peu pour le plaisir de les sentir verts de jalousie, assis sur une simple chaise, en très léger contrebas de son imposant fauteuil, digne d'un ministre.

Bruno Tartin passa ainsi une semaine sur son petit nuage. Puis cela se gâta quelque peu, par toutes petites touches.

Oh, ce ne fut vraiment pas grand chose au tout début, il eut juste l'impression que les choses lui échappaient par moment : un dossier qu'il retrouvait à un endroit tout autre que celui où il croyait l'avoir posé, un stylo déniché dans la corbeille à papier après l'avoir vainement cherché partout, des tâches étranges qui apparaissaient sur la moquette...

Sa première réaction fut d'engueuler sa secrétaire. Sa seconde fut de faire poser une serrure sur la porte de son bureau, afin de s'assurer que personne ne puisse y pénétrer en son absence.

Mais cela ne changea rien. Bruno Tartin commença peu à peu à douter insidieusement de lui-même, à se demander s'il ne fallait pas mettre cela sur le compte d'un petit surmenage passager. Car il faut dire qu'il se dépensait sans compter depuis sa prise de fonction, alignant des journées de quinze heures, emportant du travail chez lui pour ne pas perdre une seconde de son précieux temps. Dans ces conditions, quoi de plus normal que la fatigue lui fasse parfois louper une marche ? Il avait tellement de choses en tête qu'il pouvait bien de temps en temps ne plus se rappeler où il avait mis un dossier !

Il consulta un médecin, se fit prescrire quelques médications ravigorantes, essaya même de se ménager quelques petites pauses pour souffler, rien n'y fit. Au contraire, il semblait même que les choses empiraient. Il retrouva un jour sa veste sur la moquette de son bureau et non dans son vestiaire, son fauteuil en position basse, un gobelet empli de café froid dans son tiroir de bureau... Bruno Tartin ne savait plus trop que penser de tout cela. La raison lui disait clairement qu'il avait affaire à des malversations orchestrées contre lui, mais une petite angoisse sourdait en lui. Et si...

C'est un soir, alors qu'il était le seul encore présent dans les locaux de l'entreprise, que tout se précipita. Il était au téléphone avec un important client italien, à mettre la dernière main aux termes d'un contrat juteux qui allait, il en était convaincu, constituer son premier coup d'éclat dans son nouveau poste.

- ...so, if we refer to the memorandum of understanding, we should agree on these specifications. That's why I propose you to join an annex with the memorandum. Do you agr...

- Bruuuunooooo !

Un murmure s'était fait entendre au milieu de la conversation. Un étrange murmure qui semblait...

- Bruuuunooooo !

...oui, qui semblait prononcer son prénom, comme une plainte lointaine, très lointaine. Et ce n'était pas la voix de son client potentiel. Celui-ci avait l'air également surpris par la tournure des événements.

- Mister Tartin ? Is there any problem ?
- Heu... no... no... I just told you that we could...

- Bruuuuuuuuuuunooooooo ! Reeeeejoins-moi... Reeeejoins l'ombre !... Bruuuuuuunooooo !

Cette fois, il n'y avait plus de doute : une voix sépulcrale, dans le combiné, l'appelait dans un souffle sans vie...

- Bruuuuunoooooooooooooo ! Je suis mort, viens me rejoindre !

- ...
- Mister Tartin ? Is there any trouble with the line or is this a stupid joke ?
- Heu... No, Mister Manini, c'est un... heu... it's... je ne sais pas... je pen...

- Bruuuuuuuuuuuuuuuuunooooooooooooooooooo ! Paaaasse sur l'autre rive ! Viens !

- Well, Mister Tartin, I think it's no use having any further discussion. Good bye !

Le client italien venait de raccrocher. Un contrat perdu, vraisemblablement. Bruno Tartin regardait encore avec hébétude le combiné téléphonique dans sa main.

Le ver était cette fois dans le fruit, qui allait le bouffer peu à peu. Après s'être fait copieusement sermonner par le Directeur pour la perte inexpliquée du contrat italien, Bruno Tartin eut comme un ressort définitivement cassé en lui. Même si son solide cartésianisme voulait toujours croire à un mauvais coup, ses tripes se tordaient à la pensée d'être dans un bureau hanté.

- Dites, Mademoiselle Racledot, vous savez s'il y a déjà eu un mort dans les locaux ?
- Pardon, Monsieur Tartin ? Vous voulez savoir quoi ?
- Heu... non, rien...

Bruno Tartin retourna s'asseoir dans son bureau, le regard absent.

Le soir même, alors qu'une fois encore il était le dernier présent dans les locaux, mais cette fois pour essayer d'écluser le retard accumulé par manque de concentration, il leva un instant le nez de son écran, pour constater que la lumière du jour tombait et que la pénombre avait déjà envahi son bureau. Il tendit le bras pour allumer la lampe de bureau.

Il ne finit pas son geste : là, en face de lui, sur le mur, une pâle lueur verdâtre. Une tête de mort. Luminescente.

Bruno Tartin, déjà passablement ébranlé par les événements récents, ne voulut pas en savoir plus : il planta tout sur le champ, s'enfuit littéralement de son bureau et rentra chez lui en bras de chemise. Tout plutôt que de rester une minute de plus dans ce bureau hanté.

Le lendemain, l'oeil hagard, harassé par une nuit sans sommeil, il refit son apparition au bureau. Il demanda à sa secrétaire de le suivre dans son bureau, dont il se mit à fermer les volets pour y faire l'obscurité.

- Regardez bien le mur, là, Mademoiselle Racledot, vous allez voir, attendez que j'ai fermé complètement les volets...
- Heu... oui... heu... je ne vois pas grand chose.
- Mais si... heu... non... enfin...

Il n'y avait rien là où la veille au soir il avait vu une tête de mort lumineuse et grimaçante. Il rouvrit les volets et retourna s'affaler dans son fauteuil, sous le regard inquiet de sa secrétaire.

Sa conduite étrange commença bientôt à faire jaser dans l'entreprise. Il fut de nouveau convoqué par le Directeur qui le menaça de le rétrograder, voire pire, s'il ne se ressaisissait pas. Ce fut comme un coup de poignard pour Bruno Tartin, qui ne se sentait plus capable de faire face.

Le soir même, il entendit à nouveau la voix, qui semblait sortir de son ordinateur en un mince râle d'agonisant :

- Bruuuuuuuunoooooooo ! Reeeejoins-moi ! Viens ! Bruuuuuuuunoooooo !

Nouvelle fuite.

Il n'osait plus rester seul le soir dans son bureau, accumulait le retard, perdait définitivement pied.

Jusqu'à ce matin où Mademoiselle Racledot poussa un terrible cri en ouvrant la porte du bureau de son chef de service : Bruno Tartin gisait, affalé sur son bureau, le crâne explosé par la balle qu'il s'était tirée dans la tête.




Dieu que le cuir de son fauteuil paraissait doux et sensuel à la main de Raoul Sieff ! Quinze jours à peine s'étaient écoulés depuis l'enterrement de ce pauvre Tartin et il accédait enfin à son rêve : devenir chef de service, ce poste qui lui était passé sous le nez quelques mois plus tôt à cause de Tartin, justement.

Il caressa avec délice le bois massif du bureau. Magnifique ! Aucune trace de sang n'y demeurait, tout avait été méticuleusement nettoyé après que son prédécesseur s'y soit donné la mort.

Tout s'était si bien passé, encore mieux qu'il n'aurait jamais osé l'espérer. Au début, il avait juste, par dépit et par jalousie, voulu se venger de Tartin et des grands airs qu'il se donnait, en déplaçant ou en volant des objets dans son bureau. Vengeance puérile et stupide, mais la réaction de colère de Tartin l'avait incité à continuer, après avoir réussi à se procurer un double de la clé du bureau.

Ensuite, il avait commencé à pressentir que ce petit jeu pouvait, en le poussant plus avant, rapporter gros. C'est pour cela qu'un soir il était resté caché au bureau et avait attendu que Tartin soit en ligne avec le client italien pour aller hanter la conversation. Rien de bien complexe à mettre en oeuvre : le secrétariat de Tartin était désert à cette heure avancée, et le poste téléphonique de Mademoiselle Racledot pouvait filtrer les appels de Tartin... et accessoirement permettre de s'y infiltrer. Un mouchoir sur le combiné, une voix travestie, et l'effet avait été total : Tartin s'était révélé beaucoup plus impressionnable que prévu.

Encouragé par ce résultat dans son intention de le faire craquer, il avait alors enfoncé le clou : un peu de dessin à la peinture phosphorescente sur le mur de son bureau, soigneusement nettoyé après que Tartin se soit enfui, une petite bidouille sur son ordinateur pour que celui-ci diffuse à heure programmée un petit fichier sonore, et le tour avait été joué.

Bien sûr, il n'avait pas prévu que Tartin se tirerait une balle dans la tête, il espérait juste obtenir son licenciement en le rendant à moitié fou. Mais tant pis pour lui, Tartin était un faible et il n'allait pas pleurer sur son sort des jours et des jours. De fait, Raoul Sieff n'éprouvait aucun regret, aucun remord. Il était même plutôt satisfait de son coup.

Il regarda l'heure. Sept heures quarante-cinq. Mademoiselle Racledot, désormais sa secrétaire, n'était pas encore arrivée. Il imprima les fiches de mission qu'il avait préparées et se rendit à la photocopieuse. Ses ex-collègues, désormais subalternes, allaient voir ce qu'ils allaient voir : chacun aurait des objectifs quantifiés précis et ambitieux à atteindre, il allait leur faire voir ce que c'était qu'un vrai chef !

Mais quand il appuya sur le bouton du photocopieur, celui-ci produisit un étrange bruit, semblable à une plainte. Une plainte presque humaine. Et un étrange halo lumineux verdâtre enveloppa l'appareil, se fondant en mille fumeroles.

Dans sa stupeur, Raoul Sieff eut un mouvement de recul et resta interdit face à cet étrange phénomène. Ce n'est que quand le halo eut disparu, que la plainte se fut tu qu'il osa, d'une main hésitante, prendre la photocopie qu'avait recrachée la machine.

Rien n'y figurait du document qu'il voulait reproduire. Sur la feuille qu'il tenait d'une main tremblante, il pouvait discerner comme des traits. Les traits surexposés d'un visage humain. Celui de Bruno Tartin.

Les traits d'un visage humain grimaçant et qui semblait lui dire : "maintenant, ces bureaux sont VRAIMENT hantés et je te promets bien du plaisir !"

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